mercredi 31 décembre 2014

14-18, Les Chemins de l'enfer : Ces premiers humains qu'on tue


Et voici la suite de la série "14-18", qui suit un groupe d'habitants d'un petit village français au fil des années de guerre. Le premier tome, "Le Petit Soldat", campait les personnages et partait de la mobilisation générale et des prémices du conflit, avec ses répercussions sur la vie de la bande d'amis. Dans ce deuxième opus, on entre de plain-pied dans la guerre, la vraie, celle qui tue, en septembre 1914. Ce sont les débuts, rapides, d'une prise de conscience : finalement, les Boches, on ne les repoussera pas rapidement jusqu'à Berlin en quelques semaines. Cela va durer ("L'impression que ça dure depuis longtemps, que nous sommes condamnés à nous battre pour toujours", dit un personnage avant de prier en partant à l'assaut). Cela va tuer. Cela va pleurer, au front comme à l'arrière, chez les combattants comme dans leurs familles. Ce sont les premiers humains qu'on tue, c'est la peur qui ronge le ventre et qui pousse à se mutiler pour retourner à l'arrière, à mentir, à mettre un chiffon ensanglanté sur ses prétentions patriotiques, c'est la gnôle qu'on boit autant pour se remonter le moral que pour anesthésier la morale.
Ce deuxième album poursuit l'oeuvre de façon intéressante et reste dans le focus de la série : décrire le vécu des gens. L'histoire au niveau des tranchées. Avec Corbeyran au scénario et Le Roux au dessin, pas d'inquiétude, on est entre de bonnes mains.

"14-18 : Les Chemins de l'enfer (septembre 1914)" - Eric Corbeyran et Etienne Le Roux. Editions Delcourt. Novembre 2014.

mercredi 24 décembre 2014

Metronom' : La culture attaque le glauque



Ce qui frappe d'emblée dans l'univers de Metronom', c'est la glauquitude des lieux. Les couleurs sont sombres, dominantes bleues ou brunes. On est bien sur Terre, on ne sait pas trop dans quel pays, et on ne sait pas trop dans quel futur non plus, mais c'est franchement pas joyeux d'y vivre. Le niveau technologique semble élevé, mais tout est sale, plein de détritus, comme une dalle de ville nouvelle mais en plus crade et délabré encore. Ça sent la merde et l'huile de moteur à pleines pages.
Les gens sont sous le joug d'une dictature, qui prétend donner la parole aux citoyens par le biais de référendums truqués, destinés à légitimer des décisions aussi délirantes que l'interdiction du suicide. Le tout sous un régime de corsetage de la presse qui n'a rien à envier aux dictatures actuelles ou passées de tous poils. Dans cet univers oppressant et répressif, seuls les oiseaux, omniprésents et polluant de pattes de mouches chaque vue d'extérieur, semblent libres. 

L'histoire elle-même recèle pas mal de dimensions - romanesque, science-fictionnelle, aventurière, policière... - mais la dimension politique est prépondérante : face au pouvoir dictatorial et totalitaire, un groupe d'individus agit pour la liberté. Par la meilleure arme de ceux qui n'ont pas de force armée : la culture. Ils préparent clandestinement une pièce de théâtre qui dénonce le totalitarisme. Et surtout ils diffusent discrètement un livre qui dénonce par allégorie les abus du pouvoir : le Métronome. En espérant que les esprits embrigadés de ceux qu'on ne peut même plus définir comme "citoyens" soient réveillés par ces pages et se révoltent pour obtenir leur émancipation. Parallèlement, d'autres individus, dont un vrai journaliste, sont en quête d'informations sur un virus qui a atteint des éboueurs de l'espace - et parmi eux le mari d'une héroïne de l'histoire -, virus dont l'existence est cachée par le pouvoir. 

Un grand dessein culturo-émancipateur

Au terme du 4e et (provisoirement) dernier épisode, on semble pas loin du dénouement. Avec des tas de questions en suspens. Que vont devenir les deux personnages qui cherchent la vérité sur ce virus, et qui sont dans de sales draps depuis qu'ils se sont fait chopper par la police dans le dernier opus ? Que vont devenir les rebelles et leur grand dessein culturo-émancipateur ? Le totalitarisme tombera-t-il à la lumière du Métronome ? Ce serait en tout cas une des rares fois dans l'histoire de l'humanité qu'une rébellion interne renverse à elle seule une dictature, sans intervention ou pressions extérieures. Contre l'occupation nazie, des résistants certes, mais aussi des Alliés. Contre l'occupation britannique en Inde, l'action de Gandhi soit, mais aussi la pression internationale. Contre l'apartheid sud-africain, un Mandela bien heureusement, mais aussi un boycott économique et politique quasi mondial... Contre le communisme du bloc soviétique, des dissidents courageux, mais aussi un étranglement économique.

Or là, dans cette histoire, point d'acteurs externes pour l'instant en vue. Juste quelques individus courageux, de ceux dont on se dit : "Si je vivais là, j'aimerais être l'un d'eux". Aurions-nous ce courage ? Mais ne boudons pas notre plaisir de lire l'apologie de l'émancipation, et rappelons-nous qu'il reste du boulot pour éradiquer la folie totalitaire dans pas mal de contrées de notre monde actuel. Ceci dit, tant qu'on est devant notre écran d'ordinateur ou de smartphone, on ne fait pas grand-chose, hein ? Mais allez, faut pas culpabiliser.

En attendant, vivement la suite de cette série. Avec enfin une réponse à la grande question : la culture est-elle un rempart contre la barbarie ? Vous avez 5 tomes.

Metronom'. Eric Corbeyran (scénario) et Grun (dessins). Editions Glénat. 4 tomes parus de 2010 à fin 2013.
Il y a même des bandes annonces sur ces BD sur le site de Glénat. Classe. 

samedi 13 décembre 2014

"Stratégie de l'Inespoir" : Thiéfaine a marché dans le vécu


Rien que la couverture du dernier album de Thiéfaine, Stratégie de l'Inespoir, c'est genre : j'ai un truc pour mettre sur les yeux pour quand je suis dans l'avion et que je veux dormir, mais ça veut pas dire que je passe mon temps dans un avion, mais que vraiment le monde va si mal que je suis dans l'inespoir et que je ne veux plus rien voir.

Bon franchement j'ai adoré Hubert-Felix Thiéfaine quand j'étais jeune, comme tous les quinquas ou quasi-quinquas d'aujourd'hui qui avaient 25 ans à l'époque, à trouver vachement super cool éclatant des chansons comme La Fille du Coupeur de joints, vachement dansé et hurlé dans les soirées légèrement alcoolisées au vin rouge qui tache ; ou Loreleï, Loreleï, au rythme vachement lancinant mais beau ; ou encore Les Dingues et les Paumés, vachement signifiant parce qu'à ce qu'il paraît Hubert Félix fut infirmier psychiatrique et il en gardé des souvenirs hyper marquant tu vois. Je rigole un peu, mais j'adorais vraiment, et je trouve Les Dingues et les Paumés très (voire vachement) abouti.

Donc là surgit un nouvel album du Maître, je me dis "Tiens je vais écouter, on ne sait jamais, ça fait hyper (voire vachement) longtemps que je n'ai pas écouté du HFT". Et là, gonflade rapide. La musique, passe encore. Rien de très prenant, rien de lancinant, rien d'entraînant, mais peut-être n'ais-je pas pris le temps de la pénétration musicale dans mes petits neurones. Mais alors les paroles ! Non vraiment, une caricature des paroles les plus "baths" de l'artiste dans les années 80, des mots qui se suivent et qui se veulent ultra interpellant au niveau du vécu, comme un poème d'ado qui se dit que "si l'auditeur ne comprend pas c'est normal c'est profond tu peux pas comprendre".

Eh ben mon gars, si je ne peux pas comprendre, je ne peux pas acheter. Si on me demande de marcher dans le vécu, je fais gaffe à mes pompes. Je viens de trouver sur le site de France Inter la preuve absolue que j'ai vachement raison. On y trouve une parole de Hubert-Felix Thiéfaine qui dit : "J'élargis le hublot pour laisser entrer le soleil. J'ai en moi de la grisaille et des brumes d'automne, mais en même temps des envies de ramener des couleurs plus vives".

Mais surtout, on a une citation de Didier Varrod, directeur de la musique de France Inter, que je ne connais pas mais ce n'est vraiment pas grave, et qui justifie le ton de cette modeste chronique :"C’est le grand retour de Thiéfaine, cet aviveur de mots, à peine revenu de l’état des lieux Nietzschéen de son précédent album "suppléments de mensonges", et déjà remis en selle par la grâce d’un néologisme verlainien "l’inespoir" comme pour nous signifier un état de conscience d’extrême lucidité qui transcende toute la noirceur du désespoir."

Et je ne vous parle pas de la critique dithyrambique de Télérama. Quelqu'un a un doliprane ? Allez, au revoir... 

Revue Dessinée d'hiver : Mâtin, quelle revue !



La 6e livraison de la Revue Dessinée est toujours sous le signe de la qualité (des reportages et des dessins), conjoncturellement sous le signe du froid (c'est le numéro d'hiver, malgré la végétation équatoriale qui tapisse sa couverture) et parcourue d'un fil rouge (enfin j'ai trouvé ça) : le risque.

Et des risques, en veux-tu, en voilà !

Le risque Sarkozy : pas seulement celui qu'il fait peser sur nous en tentant de retrouver le pouvoir, mais aussi celui qu'il a lui-même pris ces dernières années en se plaçant au centre de multiples affaires. Une enquête dessinée permet d'y voir plus clair dans ce magma nauséabond qui mériterait d'aller directement à la case Prison, sans toucher un quinquennat.

Le risque d'être un tueur : la case Prison est là inéluctable, et la revue a suivi une enquête policière de A (comme assassinat) à Z (comme Zut la police m'a retrouvé), avec des agents du fameux "36, quai des Orfèvres". Tout simplement intéressant, palpitant, humain, avec des vrais gens dedans. A ne pas rater.

Le risque Travail : là on n'est pas en prison, mais dans le témoignage d'un ancien journaliste qui a dû passer par la case intérim pour simplement vivre. Il y raconte les longues attentes auprès du téléphone dans l'espoir de grappiller quelques jours ou quelques heures de boulot, les tâches ingrates, aux gestes répétitifs, et la fâcheuse propension des employeurs de caser les intérimaires sur des jobs parfois dangereux pour la santé. Après tout, ce ne sont que des salariés de passage, non ? Avec le risque supplémentaire, quand on est précaire et qu'il n'y a pas de syndicat dans la boîte (ou que ceux-ci ne se bougent que pour les salariés stables), de se retrouver dehors si on veut dénoncer ces aberrations. Pas la prison certes, mais de fortes contraintes sur le temps, l'argent, l'esprit.

Le risque culturel osé et gagnant : on sort totalement de l'enfermement, pour entrer dans les cases... de BD, avec la narration de l'aventure du journal Pilote ("Mâtin, quel journal !") et la révolution culturelle qui agitait le monde de la bande dessinée dans les années 60. C'est pas mal fait, et surtout, elle repose sur une interview dessinée du grand, du sublime, du dieu de la BD d'humour, de faribole et de dérision : j'ai nommé Marcel Gotlib.

En revanche, si la Revue Dessinée s'est risquée à ouvrir des rubriques sur des créneaux décalés par rapport à la BD, je n'y adhère pas des masses. Toujours pas trouvé l'intérêt de l'analyse d'un film (là : Affreux, sales et méchants) avec des dessins. Quant à la chronique musicale, qui raconte la vie et l'oeuvre d'un artiste, ce mois-ci encore, elle doit s'adresser aux bobos ultra-téléramiens canal historique tendance underground. Tant pis, je n'ai pas la joie de faire partie des initiés.
Et je ne prendrai pas le risque de tenter d'en faire partie.

A noter toujours l'excellent site de la Revue Dessinée.

La Revue Dessinée. Hiver 2014-2015. N° 6. 

lundi 1 décembre 2014

Le Lauréat : MILF, amour et révolte

Cette jambe féminine n'appartient pas à Anne Bancroft.
Mais à Linda Gray : Sue Ellen dans Dallas !
(info véridique, importante pour briller en soirée)

Revoir Le Lauréat (de Mike Nichols, faut-il le préciser), lundi soir sur la télévision numérique terrestre, trente ans après l'avoir vu au cinéma... Snif, la nostalgie m'étreint (de voyageurs. C'est pas drôle ok mais c'est moins dangereux que la nostalgie m'habite). Une nostalgie d'autant plus saisissante (yago du Chili) que la musique, de Paul Simon, dont le célébrissime "Mrs Robinson", fait partie d'un 33 tours que j'écoutais en boucles quand j'avais 13 ans chez un pote qui écoutait aussi Johnny Halliday, c'est vous dire comment je l'ai échappé belle niveau choix musicaux.
Trente ans donc que je ne l'avais pas vu, ce film. Et il avait déjà 17 ans (calculez bien : il est donc sorti en 1967, bravo).

Quand on y pense... Dans les années 60, le film fait le gros scandale sur un truc qui fait maintenant partie des fantasmes favoris des fans de Youporn des années 2010 : un petit jeune (Dustin Hoffman) se fait honteusement draguer par une MILF (Anne Bancroft) et se la tape ! Et bien sûr (mais là on sort du genre Youporn pour aller sur le drame antique), il finit par tomber amoureux de sa fille (à la MILF, suivez un peu), jouée par Katharine Ross.

Mais !
Mais comme on n'est pas à une contradiction près, et comme on n'est pas encore en 1968 (à un an près) et que la dépravation n'a pas totalement atteint l'esprit fragile des jeunes, s'il est amoureux, alors il faut se marier ! Bah oui. Et là, on sent le poids des habitudes familiales, de l'autorité, des interdits édictés par les parents (ah le bon vieux temps). La maman (la MILF donc), ultra jalouse et fort marrie d'avoir perdu son amant (ah ah !), use de fourberie pour conduire sa fille à rejeter Dustin Hoffman, et lui faire préférer un autre jeune homme, de bonne famille certes, mais de bonne tête de nœud aussi. Et là c'est triste, car malgré une course haletante du héros pour tenter de stopper l'inéluctable, le mariage a bien lieu avec le naze.

Mais !
Mais comme on n'est pas loin non plus de 1968, le final du film livre en quelques minutes tous les éléments de rébellion contre la société que la jeunesse portera dans cette période. Le héros enlève sa bien aimée consentante, et le jeune couple convole. Ainsi soit-il : famille, je vous hais et je vous emmerde ; le mariage est prononcé mais on s'en fout ; la croix chrétienne n'est pas sacrée ; il n'y a pas de chemin tout tracé décidé par d'autres que moi...

Et finalement, même trente après, c'est frais. 

lundi 24 novembre 2014

Raoul Petite, le grand nom du Luberon


Je ne connaissais pas Raoul Petite avant de tomber dessus par hasard sur un site de musique à la demande dont je tairai le nom mais qui sonne à l'oreille comme l'heure à laquelle je commence seulement à me déglauquer le matin.

Et Raoul Petite, pour déglauquer, ça déglauque. A toute heure du jour et de la nuit.

En résumé, et sur trois axes (comme disent les diplômés) :
- Ça râle : contre le systême qui ne le récupèrera pas  ("Ouais c'est ça ouais..."), contre le colonialisme et ses suites (avec une excellente reprise de Mamadou m'a dit de François Béranger), contre les dérives commerciales en tous genres. 
- Ça rigole : sur les paranos (Paranorama), sur la voisine (Voisine), sur soi-même (Raoul Petite n'est pas avare d'autodérision), et sur tout ce qu'on veut...
- Ça met la pêche : "sRaoul Petite a su créer son propre style, tour à tour qualifié de « barock’n roll » ou de « rock agricole sophistiqué », certaines influences sont indéniables, en particulier celle de Frank Zappa à qui il est explicitement rendu hommage dans différents albums. Le groupe associe des textes humoristiques, ciselés et décalés, à des airs métissés, alternant les riffs arabo-reggae aux morceaux plus hard, les hymnes folk-rock aux rengaines slaves" (article de Wikipedia, sans qui j'aurais été incapable de mettre des mots sur ce style de musique).

Et puis un groupe qui se forme à Apt dans le Luberon, avec un leader surnomme Carton, ça ne peut qu'être intéressant à écouter. Voyez et écoutez plutôt :




lundi 17 novembre 2014

Rugby : Assez des "Cinq dernières minutes", rendez-nous Columbo



J'ai regardé le match de rugby France-Australie samedi soir. 

Je pense que le XV de France est sponsorisé par les canapés Château d'Ax (sans la pouf blonde de la pub). Anéfé, les canapés ne peuvent pas résister aux griffes des membres supérieurs d'un individu normalement constitué atteint de gestes de nervosité extrême face aux cinq dernières minutes que cette équipe nous inflige systématiquement. Les Boules Quies sont aussi de la partie, à n'en pas douter, pour protéger les oreilles des hurlements du supporter moyen en train d'estimer que "non vraiment ptain mais pourquoi on se fait rattraper à chaque fois?!"
C'est insupportable. Étouffant. Pas croyable.

Et pourtant. La source de tous ces maux est facile à identifier : les managers du XV des Bleus ont la quarantaine. Ils ont été biberonnés à des séries policières dans les années 80 qui les ont marqués. Séries dont le dénouement final rivalisait d'ingéniosité pour susciter un torride suspens. Rappelez-vous : Arsène Lupin, L'Heure Simenon, Mimi Cracra... Autant de bijoux télévisuels qui ont donné à nos vaillants managers rugbystiques un goût prononcé pour le péril de dernière minute. Pensez-y. Et vous vous direz : bon sang de bon soir, mais c'est bien sûr !
Comparez : la génération précédente, avec des fins de matchs moins stressantes, de qui est-elle l'héritière ? De Columbo. On sait tout dès le départ. 

Il y a toujours des retours de mode. Ça tombe bien, et je le dis haut et fort à la face de la FFR : rendez-nous Columbo ! 

dimanche 9 novembre 2014

Revue Dessinée d'automne : une bonne livraison d'enquêtes politiques et sociales



Oui je sais, le numéro 5 d'automne de la Revue Dessinée est paru depuis début septembre et nous sommes début novembre. Mais on est encore en automne que je sache, donc je suis dans les temps.
Cette nouvelle livraison présente toujours des enquêtes, des reportages, des documentaires très bien fouillés, avec un vrai travail de journalisme mis en scène par une excellente troupe de dessinateurs. Sur le principe, sur la forme, c'est (toujours) très bon.

Les années 70, société violente

Dans ce numéro : une enquête sur l'assassinat du juge Renaud, en 1975. Le titre de cette séquence résume bien le contexte : "Crime d'Etat". C'est la grande époque de la Guerre froide, des "années de plomb" qui suivent Mai-68, c'est le règne du SAC, Service d'action civique, et de ses basses œuvres. C'est une société violente au sens premier du terme. La société d'aujourd'hui est également violente, c'est vrai, mais surtout sur le plan social et économique. A l'époque, on n'hésite pas à poser des bombes ou à tirer à vue sur des gens dans l'espoir crétin de faire triompher une cause.
Face à ces malfrats, il y avait des héros, et apparemment le juge Renaud en faisait partie, qui prétendait pouvoir faire face : "Que ce soit le pape ou le président de la République, des députés ou des sénateurs, j'en ai rien à foutre, si quelqu'un doit aller en taule, il ira !" disait-il. Courageux. Mais suicidaire, dans le contexte, quand on s'attaque, comme lui, ni plus ni moins qu'au financement occulte et voyou d'un parti politique au pouvoir, défendu par le sinistre SAC.

Bref, Benoît Collombat, grand reporter à France Inter, enquête sur cette trouble affaire, sous le crayon de Etienne Davodeau. Et le moins qu'on puisse dire c'est que c'est glauque, et que les affaires qui touchent aujourd'hui l'UMP - ou je ne sais quel tordu dit "de gauche" qui ne paye pas ses impôts ou planque son argent en Suisse - à côté, c'est les aventures du Club des Cinq (pour repiquer dans une littérature jeunesse de la Bibliothèque Verte des mêmes années 70). Une enquête très bien menée. Seul bémol, la BD relate les entretiens avec les différents protagonistes encore en vie, mais du coup le dessin n'apporte pas beaucoup de plus-value par rapport à un reportage écrit. Cette remarque est valable pour d'autres BD de la Revue.

Rions sur la xyloglossie

A propos de politique, j'aime bien la petite chronique sur le langage, "La sémantique, c'est élastique", consacrée cette fois-ci à la "xyloglossie", autrement dit à la "langue de bois". Où on apprend que l'expression vient du russe "langue de chêne", qui se moquait de la bureaucratie tsariste, et qui est devenue "langue de bois" à l'époque soviétique. En Allemagne on parle de "langue de béton" et de "langue de plomb" en Chine... Le "héros" linguiste de la chronique interpelle François Hollande et Jean-François Copé, qui répliquent dans une parfaite xyloglossie, c'est assez marrant.

Côté social, on trouve une enquête intéressante sur les salariés qui doivent se déplacer à la semaine pour renforcer des équipes sur un autre site, éloigné, de leur entreprise. Un univers d'hommes, contraints de s'éloigner de leurs familles toute la semaine, pour garder un emploi. Dommage, ce reportage n'est pas en BD, et les illustrations ne me plaisent pas. Pas inintéressant mais un peu trop prudent : l'auteur ne s'avance pas beaucoup. C'est bien ou pas ? Après tout, la mobilité géographique est une question importante qui mérite d'être questionnée dans un pays où ce n'est pas, loin de là, inscrit dans les habitudes... Mais cette séquence ne permet pas trop d'avancer sur le sujet.

Enfin de la pédagogie économique, avec une explication un peu ardue mais passionnante et éclairante sur le piège des emprunts toxiques dans lequel sont tombés moult communes de France. L'engrenage est redoutable.

En revanche, je reste froid devant la nouvelle rubrique "La Revue des cinés", qui commente et explique une séquence d'un film culte. En l'occurrence un extrait du "Cabinet du Dr Caligari". Je ne vois pas l'intérêt, dans le registre visuel, de reprendre un autre registre visuel. Là aussi, la plus-value de la BD m'échappe.

Mais au total, encore un beau numéro, très pédago, et un appel à s'abonner à cette Revue car elle est une initiative originale qui mérite de s'inscrire dans le long terme.

La Revue Dessinée n° 5. Automne 2014. http://www.larevuedessinee.fr 

jeudi 23 octobre 2014

The Walking Dead : Et vous, combien de rôdeurs avez-vous tué ?


Des râles, un corps qui se déplace comme un gros naze, de la chair putréfiée, un regard qui manifeste assez peu d'amour pour son prochain, une mâchoire qui se referme sur votre épaule... Trop tard, vous voilà vous aussi, dans quelques minutes, un "walking dead".

Devenir accro à la série The Walking Dead prend le même chemin contaminant : l'approcher, la regarder, y entrer, se laisser entraîner, c'est choper le virus. Idem pour la BD, qui est à l'origine de la série télé, avec le même fond de contexte, les mêmes personnages, mais pas toujours les mêmes aventures et en tout cas (sauf le tome 1) pas dans le même tempo. Du coup, évitez de suivre la série sur les deux supports en même temps : ça embrouille sec.


A l'approche de l'arrivée de la saison 5 sur les écrans français (mais diffusé en ce moment même aux USA et qu'on peut voir sur internet en cherchant un peu), je veux le dire : le virus m'a atteint.

Au moins deux ou trois causes à l'origine de ma contamination :

- C'est la fin du monde. Ou d'un monde. Et c'est super excitant. Qui n'a jamais, dans sa tendre jeunesse boutonneuse, fantasmé qu'en se réveillant demain matin, on se retrouverait seul au monde, tout le monde aurait disparu, sauf peut-être sa petite copine (ou petit copain, je ne veux me fâcher avec personne) ? Bon certes, dans The Walking Dead on n'aurait pas envie de se retrouver totalement tout seul. Mais refaire le monde, c'est un job fascinant.

- J'aime bien Man vs Wild. Vous savez, le timbré, Bear Grylls, qui se jette dans les canyon avec un intestin de coyote gonflé en guise de bouée, qui traverse des déserts sous un soleil de plomb en buvant son urine ou qui plonge à poil dans l'eau gelée du pôle Sud juste pour plonger à poil dans l'eau gelée du pôle Sud ? Eh bien j'aime bien. Et The Walking Dead c'est un peu pareil : des humains qui doivent survivre dans une nature hostile. Comme dans Man vs Wild, on ne sait pas où ils vont. Vous avez remarqué ? Où il va, Bear Grylls ? Ben on ne sait pas. Par contre, franchement, les humains de la série sont gâtés : ils mangent des écureuils, tandis que l'autre tordu se contente de vers gluants.

- Enfin, dernier point qui m'a attiré dans les bras des Walking Dead : je suis misanthrope. Et dans la série, finalement, les pires, ce sont les autres humains. Les zombies, on sait facilement ce qu'ils veulent : vous bouffer. Les humains, c'est plus sournois. Il y en a même, dans la saison 5 (attention je vais spoiler) qui cherchent à vous bouffer aussi.

Et puis ils sont bien foutus, les "rôdeurs" : ils sont laids, ils font autant frémir que les zombies de la Nuit des Morts Vivants du siècle dernier (donc ils font rire), et leur démarche est impayable. Non, ce qui fait le plus peur, c'est cette situation de grande crise des relations humaines. C'est la jungle, la préhistoire, et il faut compter sur un effort d'humanité terrible des héros de la série. Finalement, on se plaint aujourd'hui, mais on arrive à vivre en société. Certes, il suffirait de peu pour réveiller la bête qui dort, et chez certains, le pas vers la zombification est sans doute franchi. Restons donc vigilants, les "rôdeurs" ne sont pas loin... Comme Rick, le héro principal, posons systématiquement la question à ceux que nous rencontrons : "Combien de rôdeurs avez-vous tué ? Combien de personnes ? Pourquoi ?"

Je suis misanthrope, je vous dis.

Pour aller plus loin

Un site fait la comparaison entre la BD et la série. Intéressant, mais attention, ça spoile dans tous les coins...

dimanche 5 octobre 2014

"1914-1918, Chansons contre la guerre" : Pour que règnent la paix, la justice et la liberté !



Les "Chansons contre la guerre", c'est comme un album de CD qui serait particulièrement complet. Il y a le CD à l'intérieur bien sûr. Mais aussi des textes, qui expliquent le contexte de chaque chanson, avec leurs paroles. Et des dessins de Tardi. Comme une évidence, tant Tardi a travaillé et produit sur la guerre 14-18. D'ailleurs sur le CD, on entend Tardi dire des morceaux de textes extraits de ses BD, entre deux chansons. A la fin du recueil, on trouve aussi quelques photos d'époque.

Le CD, donc. Des chansons contre la guerre, comme son nom l'indique, la guerre 14-18. Des chansons qu'on n'écouterait pas tous les jours, c'est pas du joyeux. Mais chaque fois ça prend aux tripes (sans mauvais jeu de mots avec les horreurs que subissaient les soldats à l'époque). On y trouve bien sûr le Déserteur, de Vian, mais aussi, moins connue, la Butte rouge, la Chanson de Craonne, ou encore d'autres chansons du même tonneau écrites et/ou interprétées par Dominique Grange. Des chansons qui disent par exemple ("Fraternité", de Sébastien Faure) :
"Nous, nous voulons, amis
Que sur toute la terre
Règnent avec la paix, justice et liberté
Nous voulons, des pays
Abolir les frontières
Tous les peuples sont faits pour la fraternité !"

Alors oui, il y a de la naïveté. Une naïveté qui me touche car elle fleure bon ma jeunesse antikaki, ma crise d'ado contre la société, mes espoirs de jours meilleurs. J'aurais pu être séminariste pour faire chier mes parents, rock star pour emmerder mes voisins, clown pour faire peur aux gamins... Mais non, j'étais juste contre l'armée. Et même si je ne suis plus antimilitariste, même si l'anarchie n'est plus pour moi qu'une poésie politique, je reste horrifié par la bêtise absolue que représente la guerre 14-18. Et en 14-18, pas de naïveté. Quand on fréquente la mort au quotidien, il faut chanter pour s'accrocher. J'aurais aussi chanté ces chansons. Enfin, j'espère.

Ces chansons sont touchantes parce qu'elles sont de chair (pas de celle prévue pour le canon) et d'os (pas de ceux qu'on jette aux chiens). D'hommes, quoi. D'hommes qui crient leur dignité, et proclament haut et fort la supériorité des valeurs humaines sur la redoutable crétinerie de la hiérarchie de guerre. Ils chantaient des vers pour se moquer de la mort, ils chantaient en canon pour oublier la mitraille, ils poussaient la complainte pour recouvrir les râles. Mais aussi pour rêver de la paix et d'un monde meilleur. Voilà un beau recueil pour ne pas oublier l'essentiel.


Chansons contre la guerre. Chansons : Dominique Grange. Textes : Jean-Pierre Verney. Dessins : Tardi. Casterman. Août 2014




mardi 16 septembre 2014

Juillet de Sang : Je ne vous dis que ça


Richard Dane se fait cambrioler mais il tue le malfrat. Pas de bol, le père du malfrat n'est pas content et veut se venger. Mais... Je n'en dis pas plus. J'ajoute juste que tout cela va finir en bain de sang et impliquer une mafia mexicaine du sud des Etats-Unis.

Je n'en dis pas plus, mais j'aurais bien envie de vous dévoiler toute l'intrigue, tant elle est étonnante, stressante et parfois drôle. Vous me diriez : "Pas grave, je ne lirai pas ce polar, il y en a plein d'autres." Vous auriez en partie raison. D'autant que pour avoir lu un autre polar du même auteur (L'Arbre à Bouteilles), vous pourriez vous tourner vers une autre de ses œuvres et y prendre le même plaisir que j'ai eu à les lire.

Mais vous n'auriez qu'en partie raison de prendre cette menace à la légère. Car Juillet de Sang a été porté en film, et sortira dans les salles françaises en décembre. Là, dans peu de temps. Et les extraits que j'ai pu voir ainsi que la bande annonce sentent bon l'ambiance terrible du livre, la tension qui monte, les personnages hauts en couleur, la violence latente et la violence déclarée, les menaces... Une bonne transposition, apparemment. Et donc si le battage médiatique est bon, et comme vous n'êtes pas raisonnables, vous irez voir le film. Vous aurez sûrement raison. Mais si je vous ai tout dit avant, ça risque de gâcher.

Je serai donc bon seigneur et... je n'en dirai pas plus. Ce n'est pas le chef-d'oeuvre inoubliable, mais l'intrigue est originale et bien ficelée. Entre le personnage principal qui se demande dans quel merdier il est tombé, le père qui veut se venger mais qui finira par (je n'en dis pas plus), et le détective un peu plouc-Texan-macho mais très pro (et au comportement lourdingue qui force le rire), on ne s'ennuie pas.

J'ai lu le livre, j'ai hâte de voir le film. Mais si vous l'avez déjà vu (aux Etats-Unis où il est sorti depuis janvier)... ne m'en dites pas plus.


Juillet de Sang, par Joe R. Lansdale, Folio Policier, 320 pages.

lundi 1 septembre 2014

The Salvation : Moi, spectateur, j'ai bien aimé



Eh bien j'ai bien aimé. 
Parce que moi, spectateur, j'aime bien regarder des westerns des fois. 
Moi spectateur, j'aime bien les westerns qui ne concernent pas les Indiens, mais qui rappellent que les "cow-boys" était des immigrés d'Europe, des Danois, des Français, des Italiens, et pas seulement des Anglais.
Moi, spectateur, j'aime bien voir le sang gicler et les tripes s'étaler.
Moi, spectateur, j'aime bien sentir mon sang glacer et mes tripes se nouer. Sans pause, pendant une heure et demie.
Moi, spectateur, j'aime voir les personnages fourbes se faire détruire par les gentils. Et haïr les méchants qui font du mal aux gens biens.
Moi, spectateur, j'aime bien Eric Cantonna, même quand il joue au méchant, et même si on ne le voit que quelques minutes pour dire trois pauvres phrases en anglais, sans bien se rendre compte s'il les prononce avec l'accent méridional et ça c'est dommage.
Bref, moi spectateur, j'aime bien regarder un bon vieux film avec toutes les bonnes recettes du western à la Sergio Leone et de superbes images en plus, et j'ai bien aimé ce film.

The Salvation. Western britannico-dano-sud-africain (rien que ça, ça m'éclate), réalisé par Kristian Levring. 

dimanche 31 août 2014

"14-18, Le Petit Soldat" : Début de guerre, début de saga



L'entrée en matière est brutale : 1919, une femme accompagne son mari chez le médecin. Le visage enroulé dans une écharpe, l'homme se découvre. C'est une "gueule cassée" particulièrement amochée. Non seulement les restes de son visage ne sont plus guère humains, non seulement il souffre atrocement, mais il semble bien atteint psychologiquement : il anone sans arrêt la même phrase, difficilement quand on n'a plus de machoire : "Il a été blessé, il a perdu sa baïonnette, il ne peut plus se défendre, tu peux le protéger, toi, tu es un vrai soldat".

Pour comprendre cet épilogue, il faut maintenant replonger cinq ans plus tôt, au début de la guerre 14-18. Et c'est parti pour une saga de 10 albums prévus, qui paraîtront jusqu'en 2019. Le nom de la série a dû torturer les méninges d'un bataillon de communicants : "14-18". Point très positif : chaque album a un début et une fin, sans "A suivre" à la fin, même si la succession des BD suivra l'évolution de la guerre.

Le tome 1, intitulé "Le Petit Soldat", qui commence par cette scène atroce, pose le décors. Ce sera l'histoire de huit hommes et huit femmes, issus du même village, embarqués dans les atrocités du conflit. Nous sommes au début de la guerre, et on vit les premières heures de la mobilisation générale, annoncée par le garde champêtre pendant une fête de village, les trop courtes 48 heures laissées aux mobilisés pour préparer leurs affaires et profiter de la vie, puis le départ au front et les premières confrontations avec la mort.

Les dessins d'Etienne Le Roux sont très bons, le scénario bien campé par Corbeyran. Les expressions utilisées, la manière de parler, les usages,tout y est très documenté. Comme dans toute évocation de 14-18, on y retrouve aussi les dures conditions de vie des soldats, et surtout les ordres débiles de supérieurs stupides qui sacrifient la vie de leurs hommes. Le "plus" de cette série, par rapport aux BD sur le même sujet, résidera sans aucun doute dans la narration de la vie quotidienne du soldat et des familles restées au village. D'autant que chaque personnage est doté d'une vraie personnalité, d'une histoire, de quoi s'y attacher. Pour le reste, attendons les prochains albums. Le premier épisode passe du temps à installer la situation et les personnages. Gageons que les prochains seront plus "enlevés".

Pour en savoir plus, un document pdf des éditions Delcourt explique le projet.

14-18. Tome 01. Le Petit Soldat. Corbeyran et Etienne Le Roux. Coll. Histoire et Histoires. Ed Delcourt.


mardi 19 août 2014

Black Storm : un film catastrophe.Vraiment.


Voilà un film catastrophe dans tous les sens du terme.

Allez, j'exagère, les effets spéciaux sont particulièrement réussis, même sans 3D, comme quoi on peut provoquer des montées d'adrénaline sans être obligés de chausser une paire de lunettes de kéké.

Pour le reste, l'histoire est affligeante comme une histoire bien américaine où à la fin, le drapeau étoilé est en lambeaux, mais où les citoyens US se retroussent les manches pour reconstruire. Il ne manquait plus que l'intervention du président des Etats-Unis pour sauver ces pauvres gens frappés par de méchants cyclones (vraiment méchants, ceci dit), et le tableau aurait été parfait. Mais l'intérêt général n'est pas l'objet de l'intrigue de ce film, qui s'adresse plutôt à des niches de spectateurs.

Parmi ces niches : les sadiques. C'est l'objet même d'un film catastrophe que de voir des gens en danger de mort, non ? Eh bien là c'est réussi. Avec une touche supplémentaire : les personnages sont tous en train de filmer en direct tout ce qui se passe autour d'eux. Jamais vu autant de caméras (de tous genres : smartphone, mini-caméras, caméras pro...) dans un film. Ton frère est coincé sous une tonne de ferrailles dans un trou qui se remplit d'eau : avant tout, cale ta caméra sur un trépied, puis seulement, pars à sa rescousse. Ce film propose une conception des priorités qui laisse songeur.

Une priorité : filmer. 
Autre niche : les romantiques. Comme tout film catastrophe, il faut un couillon qui tombe amoureux en plein milieu des éléments déchaînés. La mort imminente, ça doit pousser à vouloir perpétuer l'espèce. Je ne vois que ça. En tout cas ça perpétue les scènes larmoyantes et les accolades de soulagement.

Les psychologues de comptoirs et les Freud de supermarchés y trouveront également leurs comptes. Un des personnages principaux est un père qui a perdu sa femme dans un accident de voiture, du coup il est bourru, du coup il ne pense qu'au boulot, du coup il n'est pas très causant avec ses deux ados, du coup ça va lui jouer des tours dans le film, mais du coup il va prendre conscience qu'il est un peu con, et à la fin il comprend que la famille, il n'y a que ça de vrai. Voilà, tirez-en les conclusions psys qu'il faut.

N'oublions pas les geeks : comme tout film des années 2010, il faut que tout le monde soit branché sur son portable, son smartphone, etc. Je l'ai dit plus haut, ils ont tous un appareil à la main pour filmer tout en permanence. Même sous des vents à 350 km/h, ils sont dehors, l'oeil sur l'écran. Au passage, histoire de décontracter les choses, on a l'apparition de deux crétins geeks complètement bourrés qui filment les cyclones pour briller sur YouTube, qui se font embarquer par les vents, et qui ne meurent pas à la fin : ils se retrouvent juste accrochés à un arbre, et il y en a un qui tombe juste avant le générique final. Lol, mdr, ptdr.

Les écolos devraient s'y retrouver un tout petit peu dans ce film. Mais vraiment un tout petit peu. Car la multiplication des cyclones,ça pourrait avoir un lien avec le dérèglement climatique. Ouhla ! Mais attention, on est aux States : pas question d'accuser la pollution ou les gaz à effets de serre ! Le monde ne tourne plus rond, brothers et sisters ! Voilà l'explication (énoncée par un bon vieux gars qui a connu le bon vieux temps où il n'y avait pas de tempête). Mais n'accusons pas le mode de vie des habitants des pays évolués, ce sont ceux qui viennent se régaler devant les films catastrophes !

En tout cas moi j'ai bien aimé et j'ai bien ri (intérieurement, car je sais me tenir). De là à me retrouver dans une des niches que je viens de citer... Quoique, à bien y penser...

Pour aller plus loin... (pas difficile)

Il y en a qui se demandent si on ne peut pas détruire un cyclone avec une arme nucléaire...  Si, je vous jure, et c'est sur la FAQ d'un site apparemment sérieux, le bien nommé ouragan.com...
Et y a-t-il un lien entre les cyclones et le changement climatiques ? Des éléments de réponses ici. Intéressant.

dimanche 17 août 2014

Ne lâche pas ma main : tripes, stress, torpeur et ti-punch


La couverture est hideuse, genre à faire honte de sortir le livre dans le métro. Et les correcteurs de texte devaient se prélasser (sans doute un ti-punch à la main, sur l'Île de la Réunion où se déroule l'intrigue du roman), car quelques mots ont sauté dans cette édition (j'en ai repéré au moins deux, exemple en p. 283).
Voilà, j'ai fait mon petit caca nerveux, mais c'était nécessaire. Ce n'est pas parce que c'est un livre de poche que le lecteur est un sous-lecteur.

Passons au fond de l'affaire de ce polar. Tout se passe à la Réunion, donc. Un homme, soupçonné du meurtre de sa femme, s'enfuit à travers l'île pour échapper à la police. Dans cette chasse à l'homme, il y a aussi un enfant, sa fille (d'où le titre). Mais les choses ne sont pas si claires que cela...

Voilà, je ne peux pas en dire plus, sauf à éveiller des soupçons chez le futur lecteur, ou lui gâcher le plaisir du suspens, et ça serait dommage. Car ce polar est d'une efficacité redoutable pour prendre aux tripes et ne les relâcher qu'une fois lue la toute dernière page. Un modèle du genre. Des fins de chapitres qui rebondissent, mais dont la suite n'est pas dans la page suivante (ce serait trop simple). Des flics qui foncent, avec nous, dans d'apparentes évidences qui s'avèrent trompeuses. Une narration explosée sur plusieurs trajectoires d'histoires qui finissent bien sûr par se rejoindre. Des personnages qui parlent à la première personne, qui ont des tripes, une vie perso, bref des gens auxquels on s'identifie facilement.

Seul bémol : c'est presque trop. L'intrigue est prenante, bien imaginée, pleinement logique, mais un peu tordue. Toutes les recettes du suspens sont là, on se laisse certes porter, mais on sait que ce sont des recettes. C'est la seule limite de ce polar. Mais après tout, comme ce sont les vacances, lâchons-nous. Il faut plonger sans réfléchir et avec plaisir dans cette histoire, sentir la moite torpeur de l'île, entendre parler créole, galoper avec les personnages dans la végétation tropicale, marcher sur les cendres chaudes du volcan. Le tout en sirotant un bon ti-punch, comme il se doit.

Et pour aller plus loin...

La recette du ti-punch réunionnais c'est ici ! Et des images de cette île, c'est là !

Ne lâche pas ma main, de Michel Bussi. Pocket. 448 pages.



vendredi 8 août 2014

Je suis un sournois : Un polar plein de saouls entendus



Un polar assez spécial, raconté à la première personne par le chef de la police du bled où vient d'avoir lieu un meurtre. Le gars est un bon flic, mais aussi un bon chrétien, adulé par tous les vieux du coin, pour sa réputation de perfection morale.
Sauf que le titre du livre annonce la couleur : le gars est un "sournois", un faux-cul, bref, il n'est pas aussi "moral" qu'il n'en a l'air. Et pour cause : il fornique (mais avec amour quand même) avec une amie d'enfance aussi engagée que lui dans la paroisse, mais surtout mariée. Mariée à un véritable crétin qui ne l'a jamais touchée, certes, mais mariée quand même. Et ça, c'est pas bien.
Cette situation va interférer avec l'enquête qu'il doit mener pour déterminer qui a tué Rita, une femme dite aux "moeurs légères", bref une femme à hommes. Et justement les hommes du village sont quasiment tous divisés en deux catégories : ceux qui ont couché avec elle, et ceux qui en rêvent. D'où quelques "tiraillements" entre les mâles, aggravés par une propension assez nette à consommer de l'eau de feu sans modération.
L'enquête est donc assez compliquée pour le héros, qui doit faire face à des zigotos qui n'hésiteront pas à s'accuser mutuellement, à menacer de dévoiler ce qu'ils savent les uns des autres, ou à jeter en pâture de la police le moindre maillon faible un peu plus imbibé d'alcool que les autres. Et comme tous ont des idées "malsaines" ou des actes "impurs" à se reprocher, cela donne des scènes assez drôles où ce ramassis d'ivrognes libidineux déploie une imagination débordante pour se sortir d'affaire par alliances de circonstances ou par basses attaques entre eux. Et il faut finalement du temps pour le lecteur (et un peu de mémoire des noms) pour que les soupçons deviennent des certitudes. Original.

Je suis un sournois. De Peter Duncan. Folio Policier. 256 pages.


vendredi 1 août 2014

La Planète des Singes-L'Affrontement : Ces singes qui singent les Hommes comme des cons


Les militants de la Ligue de défense des animaux, de  la SPA, Brigitte Bardot et les téléspectateurs de 30 millions d'amis n'ont plus qu'à vaquer à d'autres occupations (aller à la pêche par exemple) : les animaux sont aussi cons que les humains. La preuve dans cette reconstitution historique (un peu par anticipation certes) qui explique pourquoi un jour le singe sera totalement maître du monde, comme l'a très bien expliqué Pierre Boulle dans son documentaire La Planète des Singes.

Le documentaire filmé de La Planète des Singes (1968) finissait comme ceci. Souvenez-vous.

Ainsi donc, La Planète des Singes-L'Affrontement montre les débuts de la coexistence d'un groupe d'humains rescapés de l'épidémie mondiale qui a décimé l'humanité il y a dix ans, et un groupe de singes devenus intelligents comme les humains. De là, il y a les gentils humains et singes, qui souhaitent une coexistence pacifique, et qui se font confiance. Mais il y a aussi les méchants dans les deux camps, qui ont soif de vengeance (des hommes qui ont peur des singes, des singes qui se souviennent comment les hommes les ont traités), et qui sont prêts à toutes les bassesses pour attiser les peurs pour mieux provoquer des violences.
Et là bien sûr, on pense à des tas de conflits qu'on connaît ou qu'on a connus, ou qu'on a lus dans les livres d'histoire. Mais on voit surtout que les singes, une fois affublés de l'intelligence humaine, peuvent devenir aussi redoutables que les humains.
Alors pour vivre heureux, vivons cons ? N'allons pas jusque là : l'intelligence humaine apporte, on le voit aussi dans le film, la capacité à prendre de la distance, être capable de discuter, de négocier, de faire confiance.

En fait, devant le bien et le mal, face à la haine et à la confiance, les singes deviennent comme les humains : il faut faire avec ces sentiments ambivalents, mais c'est justement cela qui fait de nous des humains.
Là où c'est désespérant, mais après tout on ne fait pas mieux, c'est que les autres singes (le peuple en quelque sorte) suivraient n'importe quel petit Hitler qui leur promettrait vengeance, pureté, contrôle du territoire.
En deux mots, le film est bien fait, on ne s'ennuie pas (ou peu), il y a de l'action, et les effets spéciaux sont plus que jamais bluffants.

On vous dit tout : en fait César, le singe principal du film, c'est lui, Andy Serkis. Ça s'appelle un "effet spécial". 


Réflexion finale : par contre les téléspectateurs qui, comme moi, aiment regarder des documentaires animaliers les nuits d'insomnie à 2 heures du mat' peuvent continuer : savoir que ces connasses de bestioles seraient capables, devant les caméras, d'accomplir des trucs très humains (fourberie, violence, mensonges, manipulation...), voilà qui peut dilater les pupilles. Restez attentifs.



mercredi 30 juillet 2014

Fleur de Tonnerre : Arsenic et serial coliques



Hélène Jegado a tué des dizaines (oui, des dizaines) de gens. C'était en Bretagne, dans la première moitié du 19e siècle. Il en a fallu du temps, pour la débusquer, et comprendre que partout où elle passait, elle empoisonnait le monde, au sens premier du terme. A coups de soupes aux herbes ou de gâteaux garnis d'arsenic, elle a ainsi tué sa mère, des vieux, des jeunes, des enfants et des nourrissons. Pour rien, comme ça. Plus fort qu'elle. A l'époque, point de moyens modernes de communication, sa réputation de malheur n'avait pas trop le temps de se faire ici qu'elle repartait là-bas vers d'autres contrées pour continuer ses basses oeuvres, sous couvert de son métier de cuisinière dans les maisons bourgeoises. Ce n'est qu'au bout de 18 ans de meurtres qu'elle s'est fait cueillir, elle que sa mère avait appelé Fleur de Tonnerre, surnom donné au coquelicot, dont les croyances populaires disent que l'arracher attire l'orage et porte malheur. Bien vu.

Jean Teulé raconte tout ça, de l'enfance d'Hélène jusqu'à sa décapitation par guillotine le 26 février 1852. Romancé bien sûr : il n'y était pas. Mais la longue litanie des détails des empoisonnements finit par lasser. De temps en temps une variante - elle tue quelqu'un qui cherche la fin de vie, ou vit une histoire d'amour avec un homme qu'elle a rendu veuf. C'est à ce moment qu'on comprend qu'elle est prise par les affres d'une "voix intérieure" qui la pousse à tuer. La fin de l'ouvrage, au moment du procès, ouvre des tentatives intéressantes sur la situation politique du pays - Napoléon et son score de 2 millions de morts épate totalement Hélène - et avance quelques explications psychanalytiques sur les pulsions de Fleur de Tonnerre, qui se prend pour l'Ankou, un personnage mythique qui amène la mort dans les campagnes de l'époque, et fait cauchemarder les petits enfants. Donc un livre pas inintéressant, mais on finit par s'ennuyer un peu des morbides escales d'Hélène, et on aurait aimé davantage entrer dans sa tête pour mieux la détester, ou l'apprécier, ou la plaindre, ou avoir pitié, comprendre ses affres d'enfant, ses luttes internes, son alcoolisme progressif, bref, un peu d'humain dans ce compte rendu.

Pour aller plus loin

Préparez aussi votre mixture, faites comme Hélène Jedago ! Mais avant, lisez bien ce que c'est l'arsenic. Et une interview sur l'histoire des meurtres à l'arsenic. Bref, empoisonnez intelligemment ! (c'est pour rire ce que j'écris, hein ?)
Quant à la vie d'Hélène Jegado, c'est par ici, notamment.

Fleur de Tonnerre. Jean Teulé. Editions Julliard. 2013. 260 pages

jeudi 19 juin 2014

La Cote 512 : un meurtre parmi les meurtres



Dans la flopée de livres sur la guerre 14-18 qui ornent les rayons des librairies en cette période célébro-centenaire, il y a des rééditions récentes intéressantes. La Cote 512, paru en 2005, en fait partie.

L'histoire ? Un mort sur le champ de bataille.
- Original... Quel talent ! Il y avait un carnage à cette époque, monsieur. Vous n'avez rien d'autre à raconter ? Fermez votre blog !
Mais attendez, vous allez voir ! Un mort sur le champ de bataille, en 1914, au cours d'une attaque. La mort d'un officier français, un balle dans le dos. A ses côtés, au moment où il meurt, il y a Célestin Louise. Un officier de police dans le civil, simple poilu pendant la guerre. Ses instincts policiers restent vifs : pour lui, ce n'est pas une balle perdue. Au milieu de l'assassinat industriel que représente la guerre, il voit en la mort de cet officier un assassinat crapuleux. Policier dans l'âme, il veut comprendre et mène l'enquête...
Ce roman policier en période de guerre débute au moment de la mobilisation générale. On suit Célestin Louise, avec en toile de fond l'enthousiasme délirant des populations pour partir batailler contre les Boches. Louise lui-même pourrait rester policier à Paris : il refuse, préfère partir en première ligne. "Je n'aurais pas supporté de savoir les copains au front". Rapidement, c'est l'enlisement qu'on connaît. Et les deux mondes qui s'éloignent, entre le front, sanglant et dégueulasse, et l'insouciance de l'arrière.

Ces imbéciles galonnés qui rêvaient de médailles sans avoir jamais connu la guerre...
L'intrigue réside dans l'enquête policière, certes. Mais elle permet de flinguer au passage l'absurdité et l'ignominie de la guerre et de ses acteurs. Magnifiquement écrit, on lit dans ce roman la haine, la bêtise, la foule inconsciente. Ce sentiment du personnage principal, certainement partagé par le plus grand nombre, que cette guerre ne serait pas plus violente que la société dans laquelle on vivait : "Le jeune flic connaissait la barbarie des hommes, il en avait trop vu, de ces pauvres types assommés, égorgés, éventrés à la suite de mauvaises rixes, des querelles d'alcool, de filles et de misère qui laissaient chaque semaine à la morgue une litanie de cadavres effarés". Après tout, la guerre, c'était juste une violence comme les autres, mais institutionnelle...
Mais rapidement, on lit aussi la haine générale, la foule haineuse, ce début d'émeute contre des Allemands faits prisonniers et trimbalés dans des wagons à bestiaux... les mêmes wagons à bestiaux qui serviront à emmener les soldats français au front. Et pendant ce temps, les hauts gradés qui s'acharnent à envoyer toujours plus de chair à canon pour gagner quelques mètres de terrain. Ces "imbéciles galonnés qui rêvaient de médailles sans avoir jamais connu la guerre", mais à qui il fallait obéir. Les gradés en prennent... pour leur grade : ainsi celui-ci, qui "portait les galons d'adjudant et, sur son visage, la marque d'une insondable bêtise."
Le tout est fascinant, car sur une toile de fond ensanglantée, meurtrière, peuplée de chefs complètement timbrés, l'enquête est passionnante, l'écriture superbe, et au final, ce meurtre qui aurait paru odieux dans n'importe quelle histoire, paraît finalement bien pâle dans la boucherie ambiante.

Pour aller plus loin...

Les sites sur la guerre 14-18 sont légions. A noter un intéressant "lexique des termes employés en 1914-1918", ou la page Facebook de Léon Vivien, journal d'un poilu mort le 19 mai 1915.

La Cote 512 - Une enquête de Célestin Louise, flic et soldat dans la guerre de 14-18. Thierry Bourcy. Folio Policier. 2005.

samedi 24 mai 2014

Frites Moules : les Nonnes Troppo, mieux que Stromae

Arrêtez, mais arrêtez avec votre Stromae. Le "nouveau Brel" ! Et puis quoi encore ? Ah oui, si ! Le Brel du film "L'Emmerdeur" !
Notez-le bien : le chanteur qui fait vibrer les bobos d'aujourd'hui ne fera plus rêver les vieux bourges de demain. Il ne sera plus sur le marché. On en reparle dans vingt ans. Allez, même dans dix ans.

Il paraît qu'il est l'auteur d'une chanson qui s'appelle "Moules Frites". Je ne l'ai pas écoutée, et je m'en fous. Pourquoi je vous parle de moules-frites ? Parce que j'ai failli prendre ça l'autre soir dans une brasserie au Havre, et finalement j'ai pris un steak tartare. Intéressant hein ? Oui, mais pas plus-pas moins que les paroles de votre Stromae.
Et à propos de ce plat aussi simple que bon, moi je vous conseille d'écouter plutôt "Frites Moules", par les Nonnes Troppo. Certes ça date un peu (une vingtaine d'années), certes on n'entend plus parler des Nonnes Troppo (comme Stromae dans 20 ans). Mais au moins c'est drôle, ça se la pète pas, c'est pas cérébralo-prétentieux, pas besoin de quarante musiciens, pas besoin de soixante intermittents pour monter la scène. Bref, beaucoup plus digeste. Bon app'.



mercredi 30 avril 2014

La peine de mort est barbare, la Revue dessinée le rappelle superbement

J'ai lu avec horreur ce matin que l'exécution d'un condamné à mort aux Etats-Unis, par injection de produits chimiques, s'était très mal passée. Le type est mort, ce qui est déjà une abomination en soi. Mais surtout il a souffert pendant trois quarts d'heure, à cause d'un sédatif qui n'a pas été bien injecté. Et là, on se dit, "c'est abject, c'est barbare, abolissons la peine de mort vite partout dans le monde !".

Eh bien non. Ou pas tout à fait, dirais-je avec moins de provocation. L'émoi provoqué par cette nouvelle est normal. Mais ce n'est pas parce que la peine de mort peut être douloureuse qu'il faut l'abolir. C'est parce qu'elle est par essence barbare, et qui plus est, inutile.

Ce qui m'amène à ma lecture de ces derniers jours. Dans la Revue dessinée n° 3, il y a justement un documentaire sur l'histoire de la guillotine (par Marie Gloris, dessiné superbement par Rica). Or, en instituant la "décapitation mécanique" en 1789, nos ancêtres révolutionnaires voulaient justement humaniser la peine de mort. Une peine égalitaire : tous les condamnés à mort, quel que soit leur niveau dans la société, auraient dorénavant la tête tranchée, alors qu'avant, la décapitation était réservée aux nobles. Dans cet article en BD, la Revue décrit avec précision comment on en arrive à ce "fait étrange : la guillotine matérialise les idées nouvelles et révolutionnaires dans le domaine de la justice. Le postulat est humaniste et philanthropique, mais l'idée aberrante est bien celle de vouloir humaniser la peine de mort. Décapiter semble plus propre, plus humain que les tortures jusqu'alors en vigueur". Qu'on en juge en effet : le supplice du chien, l'éventrement, le bûcher, le pal, le sciage (oui, le condamné suspendu les jambes en l'air écartées, et on le coupait en deux avec une grande scie en partant de l'entre-jambes).

Tout est décrit dans cet article. Même la mécanique de la guillotine. La science au service de la mort programmée. Ainsi sait-on que le couperet arrivait à la vitesse de 23,4 km/h sur la nuque du condamné. Entre le déclenchement du couperet et la fin de la "décollation", s'écoulait moins d'une demi-seconde. Mais l'important c'est que tout ça, c'était mieux qu'avant, c'était égalitaire, c'était propre et net.

Et pourtant. Même avec cet instrument de sciences, il arrivait parfois des problèmes. S'y reprendre à deux fois pour trancher la tête, parce que le condamné est trop gros, ou trop agité (tranchage de la calotte crânienne le 10 juin 1916...). Finir le travail au couteau (la tête doit être totalement tranchée, article 12 du Code pénal).

Tout ça pour dire quoi ? Oui une exécution c'est affreux parce que ça peut être douloureux et complètement gore. Mais même avec un instrument de la plus grande précision, qui fonctionnerait bien à 100 %, et qui ferait même presque le plus grand bien au condamné dans le dixième de seconde qui précède sa mort, même avec le plus merveilleux des instruments, la peine de mort doit être abolie.
Point barre.


Outre le coup de chapeau à cet article de la Revue dessinée, je salue une revue vraiment bien foutue, avec de très bons dessins, qui racontent des tas de sujets très intéressants et très documentés. Par exemple un sujet complet sur le Front national, que je vais m'empresser de lire. Un vrai travail de journalisme et de dessinateurs réunis. Non seulement je préconise, mais je vais de ce pas m'abonner. Allez voir leur site, c'est vraiment très bon.

 La Revue Dessinée n° 3. 15 euros. En librairie. 

jeudi 3 avril 2014

La Maison à Vapeur : du Jules Verne, du pur chocolat dégusté sur un lit



Un gamin... Comme un gamin que j'étais à lire cette BD inspirée d'un roman de Jules Verne (pas sûr que la BD corresponde vraiment au roman, celui-ci je ne l'ai pas lu, mais qu'importe). Comme un gamin que j'étais qui rêvait sur toutes les histoires du père Jules, que ce soit un Capitaine de 15 ans, 20 000 lieues sous les mers, Le Tour du Monde en 80 jours, etc. Tout ça m'a fait profondément rêver, m'a évadé, m'a forgé, même. Juste un truc : malgré les aventures aux quatre coins du monde qu'a racontées l'écrivain, je ne suis pas un globe trotter. Mais Jules Verne non plus, à ce que je sache. Et qu'importe, tout cela n'est que littérature. Et c'est déjà beaucoup.
Bref, toujours est-il que l'aventure racontée dans cette BD est typique "vernien". D'abord une avancée technologique (imprégnée d'un côté bien suranné typique de l'époque) : une machine à vapeur qui permet de se déplacer en-dehors d'une ligne de chemin de fer (un truc de ouf) sur de longues distances, avec des wagons derrière. Côté "époque", la machine à vapeur a l'allure d'un éléphant. Tranquille, mais puissant. On est, avec Jules Verne, dans l'idée que le progrès scientifique est sans limite, il est en marche et ne s'arrêtera pas.
Là-dessus, un voyage à travers des pays exotiques. Ce sera en Inde que se traînera l'éléphant à vapeur. Ce sont les nouvelles frontières du monde, qu'il faut explorer puis civiliser.
Et puis, pour le côté "ouhla, une histoire à faire frissonner"... un histoire à faire frissonner, lardée de populations locales un peu frustres et violentes (les civiliser, vous dis-je !).
Tout y est, le progrès, l'exotisme, la civilisation en marche, les sauvages à faire évoluer, une intrigue simple mais efficace. A déguster, vautré sur son lit, avec un carré de chocolat, comme quand on avait 10 ans.

Et pour aller plus loin...

Le 24 mars dernier, Jules Verne disparaissait il y a 109 ans. La Maison de Jules Verne à Amiens peut être visitée. Mais il y a surtout les Machines de l'Ile, à Nantes (où il est né en 1828) qui font partir en vrille l'imagination des visiteurs. A voir absolument, c'est fantastique.

La Maison à Vapeur. Samuel Figuière. Ed. Clair de Lune. 


mercredi 26 mars 2014

Meilleurs vœux de Mostar : une tranche de vie dans les Balkans



Frano Petrusa raconte une belle histoire de gamin, avec ses émois amoureux, ses rivalités entre potes, ses bagarres de kids, ses admirations de héros sportifs... Tout ça dans une ville splendide...
Je reprends : Frano Petrusa est né en Croatie et part vivre en Bosnie-Herzégovine chez sa grand-mère, après la mort de sa mère, dans la splendide ville de Mostar. Il y vit ses premières années d'adolescence, ses émois amoureux pour une jeune fille musulmane, ses rivalités avec son pote serbe, ses bagarres avec des kids d'autres communautés, son admiration pour un basketteur black... C'est en 1991, et il devient "le plus heureux" de gamins de Bosnie-Herzégovine, pendant que la guerre frappe la Croatie.
Cette BD est très centrée sur la vie de l'auteur, avec ses anecdotes d'ado, mais laisse apparaître le contexte difficile de l'époque. Elle montre, en arrière-plan, puis insensiblement au premier plan, comment des conflits décidés ailleurs finissent pas réveiller des instincts identitaires excluant, dans un pays où des communautés diverses (religieuses et culturelles) avaient l'habitude de vivre ensemble. "Heureusement, il y a toujours un crétin qui arrive pour t'expliquer, pour te rappeler, à quel point nous sommes différents", écrit l'auteur, tandis que la ville commence à être défigurée par des bombardements.
Une belle BD, émouvante, délicate, qui plaide pour la fraternité avec subtilité. On aurait envie de la diffuser auprès de bon nombre d'électeurs français qui ont voté récemment pour le repli sur soi et l'exclusion des autres. Une méthode (le repli) qui n'a jamais, mais alors jamais, dans toute l'histoire de l'humanité, permis de s'en sortir.


Un ptit tour autour du sujet...

Voici où Mostar se trouve (je vous conseille la visite guidée proposée, c'est joli).
Mais avant, pour mieux comprendre le contexte de cette BD, faire un tour sur le site d'Hérodote pour lire un résumé de l'histoire de cette guerre des Balkans des années 90.

Meilleurs vœux de Mostar. Par Frano Petrusa. Ed. Dargaud. Coll. Long Courrier. 

vendredi 21 mars 2014

Bête à Bon Dieu : un polar sur la table de nuit



Je m'emm... à lire ce roman, mais je m'emm... Quatre fois (pas plus, pas moins) que je recommence à le lire. Et je n'arrive pas à trouver le déclic qui fait que ça m'intéresse, que je me passionne, que j'ai envie de lire la page suivante. Je n'ai même pas envie de vous raconter l'histoire, autant que vous la lisiez là (et encore, le début du résumé fait peur : "Bête à Bon Dieu est un livre crépusculaire et sans issue". Mdr, ptdr, lol.)
Résultat, impossible de passer les 50 premières pages. Frustration. Enervement. Envie de balancer le bouquin contre le mur. Ce côté insupportable des auteurs qui veulent faire de l'intimisme en entrant dans la tête du héro, et qui veulent en profiter pour faire des belles phrases "bien pensées". Genre : "Nous trimbalons notre monde avec nous". Ou "Si l'humanité ne supporte pas trop la réalité, elle n'a pas non plus besoin qu'on lui parle avec trop de vérité". On devine le gars qui veut faire des phrases mémorables. En attendant, puisque c'est un polar, je cherche toujours l'objet du défi. Du coup ça reste sur ma table de nuit, ça l'encombre, il y a de la poussière qui commence à grandir dessus...

Il y a des oeuvres comme ça, qu'on commence à lire et, chose terrible, on n'accroche pas. Ouf je ne suis pas le seul, sur ce blog quelqu'un s'épanche sur le même problème, et en plus sur des oeuvres qu'on n'a pas le droit de ne pas aimer. Mais je suis très d'accord avec elle, et je sens que j'ai les mêmes "non-envie" qu'elle. Et sur ce roman, non, je n'ai pas envie. Dommage, ça avait l'air bien.

Bête à Bon Dieu, une enquête de Lew Griffin. Par James Sallis. Folio. 


dimanche 9 mars 2014

Bello Ciao : mourir pour des idées d'accord, mais de mort lente



Dans la série on nous cache tout, on nous dit rien, l'affaire du manifestant tué à Gênes, en Italie, le 20 juillet 2001 pendant les journées du G8. Voici la présentation du pourquoi du comment de la BD en question, comme ça vous saurez tout :
"Le 20 juillet 2001 pendant les journées du G8 de Gênes, un manifestant est tué sur la place Alimonda. Les premiers témoignages sont confus : on parle d'un coup de revolver, d'une pierre ou de bombes lacrymogènes. Peu après, une photographie de l'agence Reuters révèle un jeune homme avec une cagoule et un extincteur qu'il soulève au dessus de sa tête tandis qu'une arme le vise depuis l'arrière d'une camionnette. La reconstitution hâtive s'arrête à cette photo retenue comme le point final d'une enquête qui semble déjà écrite : un manifestant est resté au sol, tué par un militaire lors d'une attaque des insurgés contre une camionnette de carabiniers. Un verdict de légitime défense prononcé non par un tribunal mais par des représentants politiques et forces de l'ordre et adopté par les médias."
Je ne doute pas qu'il y a quelque chose de douteux dans ce qui s'est passé, et que ce mort ne pouvait pas être totalement assumé par les forces de l'ordre. Le rapport mis en image dans cet ouvrage montre qu'il y a des zones d'ombres sur le déroulement des faits, et se centre sur la personnalité de la victime, qui n'était pas un fou furieux activiste gaucho mais un jeune tout simplement révolté par la violence policière qui se produisait alors.
La BD - ou plutôt l'enquête illustrée, tant les textes prennent la place de l'image - charge la responsabilité policière.
Elle aurait pu aussi charger la responsabilité des organisateurs de la manif qui a dégénéré : ces organisateurs savent que les forces de l'ordre font exprès de provoquer les manifestants, pour mieux pouvoir les réprimer. Et ces mêmes organisateurs ont besoin de leur lot de victimes, de blessés - ils ne pensent pas à la mort, bien sûr - pour mieux mobiliser... mobiliser contre quoi ? C'est une autre histoire, et d'ailleurs peu importe, les ultras gauchistes ne sont pas là pour apporter des solutions. Le jeune mort dans ces violences peut avoir été une victime de cet enchaînement stupide.
Mais ce n'est pas l'option de cette enquête. Une chose est sûre, en lisant ça, en voyant ce gâchis, ce mort, ces souffrances pour la famille, et au final l'inutilité totale de cet événement au regard des aspirations censées être portées par les manifestants, on se dit que Georges Brassens avait raison. Mourir pour des idées, d'accord. Mais de mort lente.




Pour aller plus loin

Les événements du G8 de Gênes de 2001 sur Wikipédia.
Les paroles de Mourir pour des idées, de Georges Brassens.

Bello Ciao : G8, Gênes 2001. Par Francesco Barilli et Manuel de Carli. Ed. Les Enfants Rouges.


mercredi 5 mars 2014

Les Pieds dans le Béton, la tête ailleurs



Il en va des BD comme des films : tu lis dans Télérama que tel film est super génial, le ptit bonhomme de l'hebdomadaire est heureux, tu te dis ok j'y vais, moi aussi je veux être heureux comme le bonhomme de Télérama. Et finalement tu t'ennuies, ou tu ne comprends rien. Tu sens bien que le film est intelligent, qu'il y a un message, que tu devrais l'aimer, que tu vas avoir honte de dire que tu t'es emmerdé à le regarder. Mais voilà, t'as pas aimé. Alors tu rentres chez toi penaud, tu te fais un plat de pâtes et tu te cales devant L'Amour est dans le Pré pour oublier.

Eh bien avec Les Pieds dans le Béton, c'est pareil. Toutes les critiques lues sur les blogs de BD (par exemple ici) sont bonnes, on sent qu'il y a du contenu, de la chair, de l'idée, mais je n'ai pas accroché, trop glauque tant du point de vue de l'histoire que des dessins.

C'est quand la prochaine saison de l'Amour est dans le Pré ?

Pour aller plus loin

Pas de doute, vous êtes venus lire cet article parce que vous voulez faire du béton. C'est facile, suffit de suivre le mode d'emploi.
A moins que vous ne soyez passionnés par le "ptit bonhomme de Télérama", qui s'appelle Ulysse, figurez-vous. Lisez ceci, on voit que les lecteurs de Télérama y sont super accros. Ca fait même peur, à la limite.
Sinon faites-vous plaisir, L'Amour est dans le pré, on n'a jamais été aussi proche de la prochaine saison... ;)


Les Pieds dans le Béton. Nicolas Wauters, Michael Ross. Ed. Sarbacane. 


vendredi 28 février 2014

Madie : une belle tranche de vie



J'ai bien aimé Madie. Le quotidien, les affres, les questionnements de cette femme, illustrent bien la crise de la trentaine et son cortège d'histoires de couples (dans lequel on est bien et c'est ça qui est nouveau et bizarre, peut-être même loûche), d'amours passées (qu'on a encore en tête mais on est quand même bien avec l'amour présent), de nostalgie (mais en même temps, l'avenir... c'est l'avenir !), de parents qui nous emmerdent (mais dont on ne peut pas se passer)... C'est touchant pour un presque-quinqua de replonger dans cet âge farouche, avec le recul du vieux sage, et un petit sourire compatissant et complice à la fois. Le dessin est agréable, les couleurs aussi, ce qui n'enlève rien au plaisir de lire cette BD.

Madie. Paul Filippi, Mathias Mercier, Damien Raymon. Casterman, Coll KSTR.


dimanche 23 février 2014

"Biscottes dans le vent", avalées vite fait



C'est gentil, bucolique, rapide à lire - comptez vingt minutes pour tourner les 240 pages. C'est l'histoire d'un jeune qui cherche du boulot et qui réussit le concours des Postes et se retrouve, en deuxième partie d'ouvrage, préposé de ce service public dans un bled paumé. Le jeune a une passion : l'aéromodélisme.
Vu comme ça, ça n'a l'air pas terrible. En fait ce n'est pas terrible. Sauf à s'amuser à chercher tous les lieux communs sur les catégories de personnes qui apparaissent dans l'histoire.
Ainsi notre jeune héro est certes au chômage au début de l'histoire, mais il se déchire la gueule avec ses potes, rate donc son rendez-vous boulot.
Il couche avec la voisine - les jeunes ne pensent qu'à ça - mais il est un peu romantique et drague une autre voisine - celle d'en face, qui apparaît à la fenêtre -  grâce à des messages écrits sur des banderoles tractées par son avion miniature (mais néanmoins télécommandé), qu'il fait voler devant la demoiselle, touchée par tant de poésie aéroportée.
Le jeune a des potes qui sont jeunes et abusent de son appart, mais qui ont toujours des trucs à boire et à fumer.
Mais au hasard de l'épopée, on rencontrera également :
- des parents fatalement un peu demeurés, un peu racistes, mais sympas,
- un ouvrier qui lit nécessairement l'Humanité,
- des femmes seules qui sont toutes des excitées sexuelles (même la petite mamie propriétaire aurait aimé se faire son jeune locataire),
- des villageois qui sont nécessairement un peu concons. Exemple, à l'occasion d'un enterrement, ils vont répéter à plusieurs reprises tous les lieux communs possibles ("Nul n'est éternel", "C'est notre lot à tous", "Personne n'y échappe"...),
- un collègue de la Poste qui lance des vannes Carambar tout le temps,
- et des histoires de cul comme dans tout village qui se respecte.
A vous de jouer et de retrouver les personnages !
Sinon, pourquoi ça s'appelle Biscottes dans le vent ? Parce qu'on tourne les pages tellement vite que ça fait de l'air ? Ca pourrait être une très bonne explication. Non, parce que cet album reprend dans sa première partie l'album précédent, intitulé Tartine de courant d'air. Cela vous suffit-il comme explication ?

Pour aller plus loin

Faites comme le héro, faites de l'aéromodélisme. Apparemment ça fait rencontrer l'âme soeur. Sinon rappelez-vous que pour draguer, rien de tel que d'être drôle : allez donc voir sur le site de Carambar, qui a dû inspirer le collègue postier de cette BD, bien qu'à vue de nez il ne doit pas connaître internet. A propos, puisque ça a l'air d'embaucher, allez donc voir sur le site de recrutement de la Poste, histoire de vivre les mêmes péripéties que notre héro.
Enfin ne ratez pas ce site : "Toutes les phrases qui tuent". Il y en a des biens dans cette BD (normal, les villageois sont obligatoirement des champions en la matière), mais ce site internet est une mine d'or. Vous allez voir, c'est pitoyable.

Biscottes dans le vent. Pascal Rabaté, Bibeur Lu. Ed. Vents d'Ouest. 2013.


vendredi 14 février 2014

Le Centre historique minier donne un coup de grisou aux nostalgiques


Ah le bon vieux temps !
Le bon vieux temps où le mineur commençait à travailler à 8 ans pour pousser des berlines au fond de la mine, remplie de charbon par son père, par 35 degrés et 80% d'humidité. 
Le bon vieux temps où les ouvriers vivaient dans des villages pour ouvriers, propriétés du patron, comme l'école, la boulangerie, le club de foot ou l'église, seul le cimetière échappant à sa coupe. 
Le bon vieux temps où le mineur était payé à la quantité de charbon extraite, donc plus tu bosses plus tu gagnes (travailler plus pour gagner plus, y a que ça de vrai !) jusque 12 à 14 heures par jour du temps de Germinal. Et plus encore la quinzaine avant la Sainte Barbe (4 décembre), patronne des mineurs (mais aussi des pompiers, des métallos, des architecte et de l'Ecole Polytechnique) : fête oblige, donc dépenses obligent, le mineur était autorisé à amasser davantage d'argent par anticipation pour assumer les agapes à venir. Le respect des traditions...
Ah le bon vieux temps qui cassait le travailleur à force de travail. Le bruit infernal des machines qui rendait sourd en cours de carrière, la chaleur qui déshydratait, et la poussière, malgré les tonnes de flotte balancées sur la roche pour la plaquer au sol (et qui obligeait à bosser les genoux dans la boue), la poussière qui attaquait les poumons et provoquait des silicoses. Les silicoses, plus mortelles encore que les coups de grisou, mais moins rapide quand même : en 1906, un coup de grisou provoque un dégagement de poussière de charbon qui s'enflamme, la vague de feu parcourt plus de 100 km de galeries à 1000 km/h et tue 1 099 travailleurs. C'est la catastrophe de Courrières.

Tout ce bon vieux temps, le Centre historique minier du Nord Pas-de-Calais à Lewarde fait bien de le mettre en valeur. Edifiant, instructif, émouvant. La visite de ce haut lieu de mémoire de l'histoire ouvrière, sur le site même où 1 000 personnes travaillaient, accompagnée de témoignages d'anciens mineurs, est la meilleure réponse à apporter aux nostalgiques d'une époque et d'un fonctionnement heureusement révolus. Non ce n'était pas mieux avant. En revanche, c'est bien dans ces situations difficiles que les ouvriers ont su s'organiser pour tisser des liens concrets de solidarité entre eux (mutuelles, syndicalisme, actions pour obtenir des droits), et ça, c'est un des fruits positifs de ce passé, dont les salariés bénéficient encore maintenant. Et qui aurait mérité d'être davantage expliqué et exposé sur ce lieu de mémoire (voir à ce sujet le musée virtuel de la Mutualité française). Histoire de faire taire aussi bien les nostalgiques d'extrême droite que les dépressifs d'extrême gauche qui prétendent qu'on vit encore comme du temps de Zola.
Il y a, à Lewarde, tellement à voir, à entendre, à sentir, à s'émouvoir, à penser. Un site à visiter absolument.

Centre historique minier. Fosse Delloye. Rue d'Erchin. 59287 Lewarde. Tél 03 27 95 82 82. Email : contact@chm-lewarde.com

dimanche 9 février 2014

Arto Paasilinna, un "Potager de malfaiteurs" aux légumes un peu fades



L'écrivain Arto Paasilinna a un nom tellement chiant à écrire qu'on a envie de l'oublier très vite. Mais le finnois c'est comme ça, il y a plein de "a", de "i", de "s" et de "l". Faut faire avec. Mais ce qui relativise l'entame de mon propos, c'est qu'en fait, une fois qu'on a lu du Arto (si vous permettez je vais simplifier), on n'oublie pas. D'abord parce que ça dépayse de lire des histoires où les personnages s'appellent Jyllänketo, Kasurinen, Röpelinen ou Kylmäsaari. Qui évoluent non pas à Manhattan, le Bronx ou La Courneuve, mais dans les forêts de Laponie. Et qui vont se détendre au sauna comme ici on va au bistrot, et qui boivent du vin de groseille à maquereau, mangent des pirojkis, du poisson salé et du renne fumé, et pas un hamburger-bière.
L'écriture elle-même est spéciale. Les histoires sont loufoques mais souvent vraisemblables (dans un monde déjanté certes) et sont racontées presque "à plat", sans superlatif, sans émotion, comme on rédigerait un rapport (plus agréable à lire, je vous rassure), genre "c'est normal". Son passé de journaliste transparaît sans doute là. Et de cecalage entre la quasi-platitude émotionnelle du texte et l'histoire démesurément dingue, naît un sentiment vraiment jubilatoire.
Généralement
Mais pas toujours. 
Arto écrit presque un roman par an, donc il a ses faiblesses. Et là, en 1998, il a dû avoir une faiblesse en écrivant Le Potager des malfaiteurs ayant échappé à la pendaison. L'histoire, dans ses grandes lignes, est a priori délirante "à la Arto". Un inspecteur de la sûreté nationale finlandaise enquête sur de mystérieuses disparitions, dans un ancien kolkhose nommé "L'Etang aux rennes", situé aux fins fonds de la Laponie , et qui affiche une prospérité insolente avec une production de champignons et de plantes bio dans lesquels le site s'est reconverti. L'inspecteur se fait passer pour un contrôleur en agriculture biologique, et découvre que les disparus, tous des malfrats à degrés divers, sont employés de force et gratuitement sur le domaine, et en particulier dans les mines transformées en champignonnières. Vue comme ça, l'histoire est drôle et prometteuse. On a même droit à un passage anticapitaliste, avec l'enfermement de PDG bourgeois exploiteurs dans les mines. Et un peu de morale, quand le héro du livre, l'inspecteur Jyllänketo, se retrouve par erreur contraint aux travaux forcés avec les malfrats, et reconnait que "dans son enfance, il avait martyrisé le chat de sa grand-mère, qui était mort d'une inflammation de la prostate après qu'il lui avait passé les couilles au goudron. C'était horrible, et il le payait maintenant."
Sauf qu'il y a des moments de lectures assez longs, c'est un peu poussif, on a même droit à des descriptions inutiles, comme celles des caractéristiques techniques de divers avions dans le chapitre "En quête d'un avion-cargo".
Bref, je n'en veux pas à Arto Paasilinna (qui d'ailleurs s'en fout totalement) parce qu'avant ça, il a écrit Le Meunier Hurlant, Le Fil du Dieu de l'orage, La Forêt des renards pendus, Prisonniers du Paradis ou La Douce Empoisonneuse, qui sont des vrais moments de bonheur. Pour retrouver ce niveau, il faudrait juste qu'il prenne un peu plus de temps pour trouver l'inspiration.

Pour aller un peu plus loin

Mais où est donc ce site de l'Etang aux rennes ? Le roman indique qu'il est dans la commune de Turtola en Finlande.
Arto Paasilinna est un auteur prolifique. Un article sur Bibliomonde résume bien son oeuvre, et explique notamment pourquoi l'auteur sort un livre par an en Finlande, alors qu'en France il n'est édité qu'une oeuvre tous les deux ans environ.
Ah au fait, j'ai cité le pirojki dans mon article un peu plus haut : ça se prépare comme ceci.
Quant aux noms finlandais, en particulier ceux qui se finissent par "nen", ils ont une étymologie particulièrement vivante et pleine de poésie : c'est ce qu'explique cet article. Ca vaut le détour.


Le Potager des malfaiteurs ayant échappé à la pendaison. Arto Paasilinna. Ed. Denoël, coll. Folio. 375 pages.