samedi 23 juillet 2016

Têtes de Maures : En quête corse


Melvin, petit escroc parisien, reçoit un jour de juin 2012 une enveloppe bordée de noir : le faire-part de décès de Lysia Dalersa, une jeune femme corse qu'il a connue une dizaine d'années auparavant sous le nom d'Élise. Intrigué et désœuvré, il décide de se rendre à ses obsèques et découvre qu'Élise lui a laissé un journal et deux têtes de poupées maures. Pourquoi ? Que voulait-elle lui faire comprendre ? En Corse, tout a un prix et la mort se nourrit du passé, de ses haines ancestrales, ses secrets et trahisons...
(4e de couverture)

*******

Son ancien amour se suicide, apparement. Elle lui laisse des indices pour le conduire à comprendre pourquoi. Pourquoi cet acte violent sur elle-même, pourquoi cette violence qui rêgne sur sa famille, et même, au-delà, comment l'histoire familiale, croisée à l'ambiance corse - vendetta, honneur, et tutti quanti - a pu produire tant de malheurs. Le personnage principal est plongé lui-même dans la violence dès son arrivée sur l'île. Il n'a pas d'autre choix que de chercher à dénouer la pelote de laine, de haines et de câbles d'explosifs dans laquelle il se prend les pieds. 

Au-delà de cette quête de vérité racontée avec la limpidité des eaux maritimes corses malgré la complexité de l'intrigue, Didier Daeninckx dépeint de splendides paysages, exhale les odeurs chaudes du maquis, donne envie de siroter une mauresque à l'ombre d'une terrasse sur une petite place de village. Il plonge aussi le lecteur dans une ambiance étouffante, où, comme le dit le proverbe corse, "tout se fait, tout se sait, tout se tait". Derrière la beauté de l'île, il y a la violence des secrets de famille, les vengeances, la méfiance et la mafia. Et un code d'honneur ancestral qui n'est plus que la loi du plus fort, du plus retors et du plus friqué. Daeninckx en profite pour délivrer quelques messages politiques, en bon communiste libertaire. Sans être ni communiste ni anarchiste, le lecteur conclura que ces messages sont sans doute les plus importants de ce roman qui suinte la sueur, le sang et le plomb. 

La page 77


Têtes de Maures, de Didier Daeninckx. 2013. Folio Policier. 

mardi 19 juillet 2016

Le Magasin des Suicides : Un squelette rongé jusqu'à la moëlle



Imaginez un magasin où l'on vend depuis dix générations tous les ingrédients possibles pour se suicider. Cette petite entreprise familiale prospère dans la tristesse et l'humeur sombre jusqu'au jour abominable où surgit un adversaire impitoyable : le joie de vivre...
(4e de couverture)

**********
L'idée de base est amusante. Contre toute morale, crachant sur l'avenir et l'espoir, mais avec un culot riogolo, une boutique proclame : "Vous avez raté votre vie ? Avec nous vous réussirez votre mort". Dans cette boutique, une famille au nom prédestiné et à la consonnance bédéesque, les Tuvache. Qui depuis une dizaine de générations aident les gens à se suicider, en leur proposant des lames de rasoir rouillées - même si vous vous ratez vous choperez bien un tétanos fatal -, des cordes déjà nouées prêtes à aggriper au plafond ou déjà fixées à un parpaing  - on a le sens du pratique chez les Tuvache -, des bonbons empoisonnés pour les enfants - mais dans le bocal un bonbon sur deux est mortel car la loi oblige, dans cette société futuriste, à laisser une chance aux mineurs de s'en sortir... Les clients sont contents, il y en a même qui invitent les Tuvache à leurs obsèques avant d'utiliser l'article acheté dans leur boutique. 

Non contente de vendre de quoi mourrir en toute quiétude, les Tuvache sont imprêgnés de leur commerce : il faut être triste, leurs enfants sont dépressifs, ils sont contraints de regarder les infos à la télé pour alimenter leur mal-être, et plus ils vont mal, plus ils y sont encouragés. Sauf que le petit Alan, conçu par erreur en testant un préservatif troué - un article de la boutique qui favorise la mort par propagation de MST - va changer cette ambiance, car la vie, lui, il l'aime et il veut en faire profiter tout le monde. Peu à peu, en encourageant le côté artistique de son frère dépressif, en persuadant que sa grande soeur est belle, en tirant une fibre maternelle dont il a saisi la bribe, il finit par imposer les forces de vie sur les forces du mal. 

Comme un hommage funéraire
Jean Teulé a dû s'amuser à écrire ce roman. Son côté fable, ses personnages hauts en couleur, son histoire caricaturale laissent à penser qu'il avait en tête l'idée qu'il puisse être adapté en film d'animation, ce qui fut fait (en 2012 par Patrice Leconte). C'est très bien, entre deux romans plus "sérieux" (le précédent était Fleur de Tonnerre, chroniqué ici), de vouloir respirer. Mais là, Jean Teulé a rongé le squelette jusqu'à la moëlle. Des inventions de produits suicidaires à la pelle (genre d'imagination qui fait un peu peur pour lui et ses proches !), des ambiances mortuaires poussées au maximum du glauque mais attention avec les clins d'oeil car on est dans le registre comique, et qui plus est, du comique de répétition. Et une morale finale de l'histoire aussi gentille qu'un hommage funéraire. Bref ça se lit avec plaisir, vite fait, comme un bonbon un peu trop sucré. Mais pas mortel, si ma main, dans le bocal, ne m'a pas trahi...

La page 7



Le Magasin des Suicides. Jean Teulé. Ed. Pocket. 2007. 

jeudi 14 juillet 2016

Meurtre aux Jeux olympiques : Un polar antique sans flamme ni couronne


Rosalis et Costas, "deux entraîneurs" qui tiennent le célèbre gymnase "Victoire" à Alexandrie en Egypte, se retrouvent à Olympie à la veille des Jeux olympiques au milieu des officiels et des champions du monde entier.

Le pharaon Ptolémée qui rejoint sur place son fils Alexandros et sa compagne Héléna, espère que les champions alexandrins remporteront le maximum de médailles. Mais Rosalis disparaît mystérieusement. Ne serait-ce pas plutôt un crime? Les athlètes de "Victoire" sont tous susceptibles d'être impliqués dans l'affaire. Quant aux autres cités, jalouses d'Alexandrie, elles sont également suspectes. Alexandros mène l'enquête avec Héléna et l'aide de Kipiou, le singe de Rosalis.

********

"Meurtre aux Jeux olympiques"... Rien que le titre fleure bon l'histoire bien surrannée en noir et blanc, pleine de barbouzes et de flics qui boivent du whisky et bouffent du boeuf en daube tous les midis. On s'attend à voir débarquer Raymond Souplex. Ça vaudrait des noms comme "Du rififi dans la schnouf" ou, côté Marmiton, "Purée traditionnelle au jambon de pays" : c'est plein de promesses mais c'est parfois insipide. 

Eh bien là, pareil. Sans compter que bien sûr les JO en question ne sont pas de l'époque moderne. Alors forcément faut expliquer plein de trucs au lecteur. Et pour expliquer il faut du temps. Du temps pris sur l'intrigue elle-même. Résultat, on lit pour moitié un livre d'histoire sur les habitudes sportives de l'antiquité. Ça tombe bien l'auteure est historienne spécialiste de cette époque. L'autre moitié, c'est le livre d'une histoire, un polar. Ça tombe mal, l'auteure n'est pas écrivaine. Son écriture est sans relief. Et l'assemblage "cours d'histoire"-"évolution de l'intrigue" est lourdement monté. 
Bref, j'ai déclaré forfait dès la soixantième page. Les JO, ce sera sans meurtre j'espère, devant ma télé en août. Il y aura plus de suspens que dans ce livre. 

La page 77



Meurtre aux Jeux olympiques. Violaine Vanoyeke. Ed. Le Masque. 2008. 

mardi 5 juillet 2016

Revue Dessinée d'été : Du bonheur et des cris


Je ne sais pas si c'est la saison estivale qui veut ça, mais voilà une nouvelle livraison de la Revue Dessinée qui déprime moins que d'habitude. On y parle du Bonheur national brut, un concept développé au Bouthan, un petit pays perché dans l'Himalaya. Bon c'est le concept qui est développé hein, parce que l'épanouissement du bonheur, lui, reste un combat. Qu'à cela ne tienne, cherchons la zenitude personnelle avec la pratique du yoga : un des journalistes a testé pour vous, c'est assez frais et la chute est rigolote. Droit à la différence, droit à l'indifférence, peuvent aussi contribuer au vivre ensemble et à se sentir libre : un enquête est consacrée au quartier parisien où l'homosexualité peut être vécue sans tabou, dans une société adulte qui a bien évolué en quelques années, même s'il reste beaucoup à faire. Au chapitre des libertés, on lira également avec intérêt les quelques pages sur l'histoire des dessins de presse qui disent des gros mots ou qui magnifient des personnages assez crades genre le Gros Dégueulasse de Reiser... 

Un chouïa de déprime
Bref tout cela est vivifiant et optimiste. Certes il y a aussi du déprimant : cette enquête sur les "Cat Bonds", nouveaux produits financiers censés assurer contre les risques environnementaux majeurs (volcan qui s'éveille, tsunami qui déferle, tornade qui balaye, centrale nucléaire qui explose... À côté, vos histoires de dégât des eaux c'est minable). Censés assurer donc, mais conçus de telle manière qu'ils n'assurent pas mais qu'ils nourrissent les spéculateurs. Egalement à lire en l'absence de corde, de flingue ou de boîte de médicaments à proximité : l'histoire de la découverte de la radioactivité et ses usages, ou l'enquête sur la bombe atomique et sa relative inutilité opérationelle en cette époque post-Yalta où on ne sait même pas vers qui dresser nos ogives nucléaires...

Mais la Revue Dessinée ne serait pas la Revue Dessinée si elle ne dénonçait pas, si elle n'expliquait pas le monde dans lequel nous vivons, si elle ne criait pas, à grands coups de dessins, les aberrations, les injustices et les scandales qui nourrissent à juste titre nos indignations. Et comme trop d'indignation peut aussi conduire à la paralysie, la Revue fait bien de développer davantage de sujets qui donnent espoir en la nature humaine. Continue, Revue ! 

La Revue Dessinée. Nº12, Été 2016. 17€ en librairie. http://www.larevuedessinee.fr

vendredi 1 juillet 2016

Les Vieux Fourneaux : Ces croûtons qui attachent


Pierrot, Mimile et Antoine, trois septuagénaires, amis d'enfance, ont bien compris que vieillir est le seul moyen connu de ne pas mourir. Quitte à traîner encore un peu ici-bas, ils sont bien déterminés à le faire avec style : un œil tourné vers un passé qui fout le camp, l'autre qui scrute un avenir de plus en plus incertain, un pied dans la tombe et la main sur le cœur. Une comédie sociale aux parfums de lutte des classes et de choc des générations, qui commence sur les chapeaux de roues par un road-movie vers la Toscane, au cours duquel Antoine va tenter de montrer qu'il n'y a pas d'âge pour commettre un crime passionnel.

*******

Le résumé ci-dessus, ce n'est que le premier épisode. Il y en a trois. Du vrai bonheur. Non, ça ne donne pas envie d'être vieux plus vite que la musique, parce qu'ils sont pas mal chiants les trois vioques. Entre Antoine le nostalgique, Pierrot qui pense encore au Grand Soir et Mimile qui plane à quinze mille, il y a de quoi faire péter les plombs à n'importe qui d'à peu près "normal". D'ailleurs la seule "normale" de la bande, c'est une jeune femme, petite-fille d'un des vieux, maman d'un bébé, qui ramène à l'ordre autant que possible cette marmaille ridée qui n'a jamais tout à fait grandi. Et qui leur rappelle, pour qu'ils cessent de se prendre pour des dieux, l'état dans lequel ils ont légué le monde à leur descendance...

N'empêche qu'ils sont attachants ces croûtons. Parce qu'on s'y retrouve assez bien. On se demande en lisant cette BD "Mais comment je serai moi, à cet âge ?" Certes il suffit parfois de regarder son propre père, mais là ça compte pas, ça fait trop peur (pardon papa, je rigole). Serais-je Pierrot, cet emmerdeur activiste qui anime le collectif "Ni Yeux, Ni Maître", et qui pourrit la vie de tous ceux qui se complaisent dans le Grand Capital ? Ou qui occupe pendant plusieurs jours, avec ses autres copains buveurs de thé et joueur de belote, un bistrot pour jeunes un peu trop bruyant pour forcer le patron à négocier une baisse de décibels...

Serais-je Antoine, qui se fait du mal en pensant à ses amours d'antan ou à ses rivaux maintenant grabataires ? Ou bien Mimile, le taiseux du trio, et qui pourtant pourrait raconter une vie pleine d'aventures qu'il a vraiment vécues, et des histoires qu'il imagine ?

Allez je ferais une réponse facile : un peu des trois, j'espère. Mais si je pouvais garder aussi un peu de la jeunesse adulte et responsable que porte la jeune maman, qui tente tant bien que mal de survivre au milieu de ces histoires de gamins de 70 ans, ça pourrait peut-être m'aider à rassurer mes propres enfants et petits-enfants qui devront me supporter. Ou pas, d'ailleurs... C'est jeunes sont cruels, je vais les engueuler dès ce soir, en anticipation.

En quelques mots, cette BD est à placer entre toutes les mains, à la peau lisse ou ridée : c'est plein d'humour, chargé d'émotion, on en ressort avec le sourire. Et on attend le 4e tome. Bref, ces histoires de vieux qui font leur crise d'ado, c'est bath.

La Page 7


Les Vieux Fourneaux. Tomes 1, 2 et 3. Paul Cauuet, Wilfrid Lupano. Editions Dargaud.