mardi 25 août 2015

Tu me plais : Le hasard et l'inéluctable


"Le train 1225 de la ligne 1 quitte la station Sablons à 21 h 34 et 52 secondes. Assise en face de Vincent, une très jolie jeune femme parcourt avec application son Elle et écoute de la musique, dont il perçoit le grésillement ténu." Ainsi résumé dans les premières pages par un narrateur qui viendra faire le point régulier au fil de l'histoire, ce polar captivant plaira à ceux qui vivent des moments de grâce dans le métro (à ce sujet je ne saurais trop vous recommander l'excellent blog zarbidanslemetro.blogspot.com). Car l'essentiel se passe sur cette ligne du métro parisien, et le suspens va progressivement monter, à mesure que le Vincent en question va nouer une relation de plus en plus proche avec la voyageuse installée devant lui, et que le lecteur comprendra que si un grain de sable ne vient pas enrayer l'engrenage qui se met en place, il se passera quelque chose de grave.

Ce qui fascine dans ce roman, c'est cette prise de conscience que tout n'est que hasard. Ne serait-ce que ce premier acte : Vincent a failli rater cette rame de métro ; il n'aurait pas rencontré la jeune femme. Tout ce qui suit souligne ces petits virages que chacun prend - ou pas - et qui conduisent à un destin.
Ce qui fascine également c'est l'option du temps réel : tout se passe sous nos yeux minute par minute, sur à peine plus d'une heure, avec parfois des détours sur d'autres personnages dont la vie va croiser celle de ces deux voyageurs, et dont la chorégraphie d'ensemble, à la fois chaotique et inéluctable, conduira au dénouement qu'il n'est pas question ici de dévoiler.

Une fois dévoré ce polar, on se plaît à se faire un bon délire "philo", à se demander par quel hasard on l'a lu, par quelle succession de choix - ou de contraintes - on l'a acheté, pourquoi et comment on a pu prendre le temps de le lire. Et de fil en aiguille, vient "la" question existentielle : si je l'ai lu, c'est que j'existe, c'est que je suis... mais par quel hasard ?
Vous avez une heure...

Tu me plais. Jacques Expert. Le Livre de Poche. Coll. Policier/Thriller. 2015.



jeudi 13 août 2015

Méchant garçon : Des envies de meurtres


Ronald est effectivement un "méchant garçon". C'est rien de le dire : il a violé et tué une jeune fille. Sa maman est une pourriture et une malade mentale aussi : son fils doit devenir médecin, il doit donc être protégé, il a été vilain mais maman va tout faire pour que les grands desseins qu'elle lui assigne ne soient pas perturbés par un meurtre, et va le cacher pour qu'il ne soit pas pris par la police. Elle lui aménage un petit espace secret à la maison avec toutes les commodités, et le planque 24 heures sur 24 pendant des semaines et des mois... Jusqu'à ce qu'elle tombe malade et doive être hospitalisée.

La lecture de ce livre provoque un malaise. Pour plein de raisons. D'abord on a envie d'être aussi sadique et psychopathe que Ronald. Une envie de l'attraper, de lui mettre un pain, de lui arracher les yeux, tant il est fou et insupportablement prétentieux. Cela pousse à ne pas lâcher le livre avant le dénouement. Surtout, se dit-on, surtout qu'il ne gagne pas à la fin !

Cliniquement vivants
Ensuite on ne plaint pas cette pauvre maman qui élève son crétin de fils toute seule. A un degré inférieur (j'ai le sens de la mesure), on compatit avec les profs d'aujourd'hui qui ont face à eux des parents qui soutiennent leur gamin même quand celui-ci fait les pires conneries. Elle a le profil des mamans qui rendent fous leurs enfants, en les empêchant d'être eux-mêmes, en leur mettant la pression pour qu'ils satisfassent non pas leur plaisir de vivre, mais les ambitions - et les névroses - de leurs parents. Ces mamans, ces papas, sont des assassins d'enfants, ils tarissent leurs espoirs, ils anéantissent leur avenir, ils transforment les gamins en zombies, et ils agissent en toute liberté, en toute légalité, en toute impunité. Aujourd'hui on a le droit de massacrer des enfants en les laissant cliniquement vivants.

Mais là n'est pas le propos. Ce qui met mal à l'aise également, c'est que dans ce thriller, le meurtrier est parmi nous. Classique, dans un polar, direz-vous. Mais là il est parmi nous sans qu'on le sache... Et ça fout les jetons quand on rentre chez soi le soir...
Bref un roman très prenant, qu'on ne lâche que pour aller manger ou pour dormir - mal...

Jack Vance, surtout auteur de science-fiction, avait écrit ce Bad Ronald en 1973. Il avait dit de ce roman qu'il était sans doute le meilleur qu'il ait écrit. Dans sa production SF j'avais beaucoup aimé le Cycle de Tschaï, un space opera en plusieurs tomes avec des créatures extraterrestres étonnantes. Mais pour le coup, ce polar dépasse en émotions sa production spatio-futuriste. 

Méchant garçon, de Jack Vance. Folio Policier. 

vendredi 7 août 2015

Face à face : Une enquête avec des ø et des å


Si je vous dit que dans ce polar il n'y a pas d'action, que les personnages se prénomment Hildegunn, Ståle, Gunnhild voire Frydenberghjemmet, et qu'ils évoluent sur des sites aussi dépaysants que Løvstakksiden, Damsgårdsgaten ou Dokkeskjærskaien, vous réagirez mal, je le sais, je le vois, je le sens, ne dites pas le contraire. 

Réaction compréhensible certes, mais ce serait dommage parce que ce polar norvégien, malgré l'absence de bagarres et une nécessaire concentration sur les noms et les lieux qui ne nous sont pas super familiers, tient en haleine. Aux commandes, le détective privé Varg Veum (11e bouquin dont il est le héros) raconte son enquête à la première personne, tout son cheminement de pensée, ses rencontres, ses questionnements, ses hypothèses. Il cherche avec autant d'ardeur que tout commence par un type qui a le mauvais goût de mourir dans sa salle d'attente. Ses recherches le conduiront à gravir des versans sentimentaux et politiques, qui prennent naissance dans les années 70. Le tout est superbement emmené, on reste scotché au texte jusqu'à la dernière page car, comme tout bon polar, tout se comprend dans les ultimes minutes de lecture. 

Allez, ce n'est pas du cinéma chiant suédois à la Bergman. C'est du polar norvégien à la Staalesen, c'est spécial mais j'y regoûterai. 

Face à face, de Gunnar Staalesen. Folio Policier.