jeudi 29 octobre 2015

14-18, La Tranchée perdue : Un épisode qui prend à la gorge


De retour d'une escapade, à la recherche du « repos du guerrier », Arsène et Jacques dépassent leurs lignes et tombent par hasard sur la tranchée ennemie faisant face à la leur. À leur grand étonnement, elle est déserte. Prévenu, le commandement ordonne une incursion par voie de tunnel. Pierre et Jules, désignés pour cette mission, découvrent au cours de leur progression un étrange objet cylindrique. 
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Quatrième épisode de la saga "14-18" des très bons Corbeyran et Le Roux (lire mes précédentes chroniques ici), on retrouve les aventures individuelles et collective d'un groupe de soldats, tirés du même village pour affronter les horreurs de la guerre. En ce mois d'avril 1915, il n'y a qu'une seule bonne nouvelle à se mettre sous la dent : l'état major a enfin compris que les pantalons rouges, pour faire la guerre, ce n'est pas l'idéal. Les soldats porteront maintenant une seyante couleur bleu horizon, moins propice à se faire canarder par les Boches comme de vulgaires cibles de fêtes foraines. 
Pour le reste, rien pour réjouir le Poilu. La guerre s'enlise, les couples se déchirent, et les gaz de combat font leur apparition. Cet opus est sans doute le plus sombre de la série, mais aussi celui où les personnages ont le plus d'épaisseur, et le scénario le plus dramatique, voire le plus atroce. La lente progression du nuage de gaz poussés par les vents, vers les combattants français qui se protègent de leur pauvre mouchoir, prend à la gorge, au sens propre comme au figuré. Dans le même temps, les tragédies familiales qui se jouent à l'arrière du front, à cause de cette p... de guerre qui dure, conduisent des hommes déjà rendus fous par les combats, à porter cette folie à leur zénith. 

Un scénario dramatique, des personnages qui prennent de l'épaisseur : cet épisode, chargé d'humanité dans un contexte pourtant apocalyptique, est le meilleur de la série. Pour l'instant.


Pour aller plus loin 

Sur le site de la Mission du Centenaire, une page intéressante sur le gaz moutarde et ses dégâts. Première utilisation : le 22 avril 1915, événement que retrace cet épisode de "14-18'.

14-18 Tome 04 - La Tranchée perdue (avril 1915). Par Corbeyran, Etienne Le Roux et Jérôme Brizard. Editions Delcourt. Coll. Histoire & Histoires. 

    mardi 20 octobre 2015

    Paroles de Poilus : Les tripes à l'air


    Oui ok cet album est paru il y a neuf ans. Une éternité. Mais d'une part, cela fait un siècle que ces "lettres et carnets du front" ont été produites par les soldats, on n'est pas à une décennie près. D'autre part une "intégrale" vient de sortir, regroupant ce tome ainsi que le 2e intitulé "1914-1918 : mon papa en guerre". Donc je reste dans l'actu.

    Mais là n'est pas le propos ni l'important. Cette BD secoue. Les textes ont certes été sélectionnés, mais ces soldats, ouvriers ou paysans dans la vie civile antérieure, manient une plume chargée de détails, d'images, d'odeurs et d'émotions. Ils déballent leur âme avant de vider leur arme, et souvent leurs tripes, avec une classe qui tranche avec l'horreur du contexte qu'on imagine.

    Les dessinateurs qui ont manié la leur, de plume, pour traduire en bandes dessinées ces courriers et ces journaux personnels, ont joué le jeu avec splendeur. Parfois en donnant "à voir", parfois en transcendant le texte par la suggestion. Le décalage entre la beauté du verbe et la noirceur de l'image qui l'accompagne frise même l'incongru. Une incongruité inhérente à la rencontre de l'humanité avec la guerre, en fait.

    Paroles de Poilus. Lettres et carnets du front 1914-1918. Ed. Soleil/France Inter. 2006. 

    vendredi 16 octobre 2015

    Le Chat du Rabbin : Paroles et moustaches


    "Et si c'était pas moi, le centre du monde ?" Sacré chat, celui du rabbin, qui se croit tellement indispensable qu'il se permet d'être amoureux de sa maîtresse humaine, jaloux de son enfant en gestation et haineux à l'égard de son crétin de mari. Non le chat, tu n'es pas le centre du monde, mais tu vas apprendre dans cette histoire à l'être un peu quand même.

    Sacré chat surtout, qui fait aimer la philosophie bien plus efficacement, depuis six volumes, que les cours de philo abominables de terminale pendant lesquels l'Education nationale met un point d'honneur à dégoûter définitivement beaucoup de jeunes des joutes spirituelles qu'offre pourtant cette matière vivante. (Merci à cette BD de m'avoir permis de déverser ici un vieux truc qui me pèse depuis longtemps !)

    Prier pour ne rien dire
    C'est donc l'histoire d'un chat amoureux et jaloux. Un chat qui parle. Et qui parle dans le désert car sa maîtresse ne peut pas l'entendre. Qu'à cela ne tienne, il va tenter de se faire entendre de Dieu, en apprenant à prier, avec le père de sa maîtresse, qui est rabbin. Lui, le rabbin, l'entend, le chat, quand il parle. Mais le chat comprend vite que le rabbin l'invite à prier... pour ne rien dire.

    De dépit, il quitte alors maîtresse et rabbin. Et se vautre dans une mésaventure que nous tairons ici, qui lui apprend que la parole peut tuer. La fin est positive : si la parole est un instrument de pouvoir, mieux vaut l'user pour exprimer l'amour que pour tuer les gens. Soudain sa maîtresse comprend sa parole.
    Et ça, ça s'entend. Dans tous les sens du terme.
    Et ça se déguste, comme tous les épisodes du Chat du Rabbin, avec plaisir. Parole ! 

    Le Chat du Rabbin, de Joann Sfar. Tome 6. "Tu n'auras pas d'autre dieu que moi". Dargaud.

    samedi 10 octobre 2015

    La Revue Dessinée d'automne : un coup de mou mais quelques pépites


    Qui aime bien châtie bien. A chaque numéro de La Revue Dessinée, je lis, j'apprécie, je le dis (sur ce blog, voir mes précédentes appréciations). Là j'ai lu, un peu déçu, j'ai attendu. Des fois c'est meilleurs réchauffé donc j'ai relu. Mais non, rien à faire, un goût de fade. 

    Parmi les sujets développés, celui sur la communication politique était prometteur. Il est finalement long, un peu techno, et je n'aime pas ce dessin à seulement trois couleurs qui donne mal au crâne.
     Le business de la viande, autre sujet intéressant a priori, est certes joliment illustré. Mais il s'agit bien d'un article que vient illustrer le dessin. Autant lire Le Monde

    Au contraire des "parias de la SNCF", qui relate à merveille (car il y a du positif dans ce numéro !) l'histoire de ces Marocains, que les chemins de fer français sont venus chercher dans leur pays au début des années 1970, exploités pour faire les travaux les plus durs de la vie des rails, dotés d'un sous-statut (que les syndicats majoritaires de la SNCF ont traîné à remettre en cause, sans doute pour protéger leur propre statut), et qui n'avaient même pas droit à une retraite égale à leurs collègues cheminots. Histoire qui a fini devant les tribunaux où la SNCF a récemment été condamnée, et c'est tant mieux. Ce reportage est bien raconté, au travers du témoignage d'un des leaders de ces "parias", par un vrai travail de scénarisation en images, qui fait toute la différence. 
    Autre sujet, l'exploration de la grotte Chauvet prend aussi le parti de l'originalité de la BD, en donnant la parole aux animaux dessinés sur les murs de la grotte par les premiers artistes préhistoriques, puis en proposant une analyse artistique de la qualité de ces œuvres. Là aussi avec un beau style de dessins. 

    Pour le reste, la chronique musicale (sur les Cramps, que pourtant je connais, pour une fois !) reste élitiste. La chronique  "La sémantique, c'est élastique" s'attarde sur les origines du mot "Dauphin". Bon pourquoi pas. Mais pourquoi... "La Revue des Cinés" me semble toujours aussi lunaire dans une... revue dessinée, mais pas pire qu'une chronique musicale. Quant à la rubrique "Mi Temps" sur les règles sportives, elle porte sur le rugby, ce qui est bien vu en cette période de coupe du monde. 

    En deux mots, je sens comme un coup de mou avec ce numéro. Mais je suis sûr qu'avec les sujets annoncés pour le prochain, ce sentiment sera vite oublié. Un seul truc à ne pas oublier : me réabonner, au fait...

    Pour aller plus loin

    Toujours à consulter jours et nuits : le site de La Revue Dessinée, très bien fait, et qui remet en perspective certains reportages déjà publiés selon l'actualité du moment. 

    La Revue Dessinée n° 9 d'automne 2015. 15 euros. En librairie.