mercredi 4 novembre 2015

L'Ambulance 13, T6 : La gueule ouverte sur la guerre 14


Chirurgien militaire, Louis Bouteloup est désormais entre les mains de ses pairs. Grièvement blessé et défiguré sur le front alsacien, il peut cependant compter sur les talents de sculpteur d’Émilie pour retrouver un visage. Mis hors du cadre de l’armée, Louis est confronté aux peurs de l’arrière, aux monstrueux canons bombardant la capitale. Il découvre aussi le sentiment profond qu’il éprouve pour Émilie. Sera-t-il trop tard pour reconstruire leur vie ?
(Présentation éditeur)

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Nostalgiques d'Urgences, fans de Grey's Anatomy, éteignez vos écrans HD, coupez les gyrophares de vos véhicules rutilants, oubliez les histoires d'amour qui fleurissent à deux pas des entubés, rangez votre ouate immaculée dans vos boîtes bien stérilisées. Nous sommes en guerre, l'une des plus dégueulasses de l'histoire, celle de 14-18.

Ici "l'ambulance 13" fait ce qu'elle peut, auprès des blessés, des gazés, des mutilés, avec les moyens du bord, mais avec les avancées de la science. Pour réparer les corps, et fissa les renvoyer au front. 
Ici, même le personnage principal, le chirurgien Louis Bouteloup, en prend plein la tronche, dans tous les sens du terme, et se retrouve "gueule cassée". Mais c'est un héros, un vrai, qui n'a que faire, à juste raison, que la mort le voie avec un visage à faire peur aux enfants. Au contraire, il tient tête à la Faucheuse : bien qu'en permission, il repart rejoindre ses camarades pour soigner, panser, soulager, réparer. Il défie la Camarde, mais aussi ses zélés auxiliaires, les hauts gradés de l'état-major, à qui il veut faire entendre, en vain, que les traumatisés psychiques ne simulent pas leurs souffrances, que leurs cris, leurs gestes fous qui les rendent inaptes au combat ne méritent pas qu'ils finissent devant un peloton d'exécution.

Ici, l'univers n'est pas aseptisé, et cette très bonne série "ambulancière" donne à voir un versan peu traité de la boucherie à cœur ouvert que fut la guerre 14-18. 

L'Ambulance 13, tome 6. Gueule de guerre. Par Patrice Ordas (scénario), Alain Mounier (dessin). Ed. Bamboo. 

jeudi 29 octobre 2015

14-18, La Tranchée perdue : Un épisode qui prend à la gorge


De retour d'une escapade, à la recherche du « repos du guerrier », Arsène et Jacques dépassent leurs lignes et tombent par hasard sur la tranchée ennemie faisant face à la leur. À leur grand étonnement, elle est déserte. Prévenu, le commandement ordonne une incursion par voie de tunnel. Pierre et Jules, désignés pour cette mission, découvrent au cours de leur progression un étrange objet cylindrique. 
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Quatrième épisode de la saga "14-18" des très bons Corbeyran et Le Roux (lire mes précédentes chroniques ici), on retrouve les aventures individuelles et collective d'un groupe de soldats, tirés du même village pour affronter les horreurs de la guerre. En ce mois d'avril 1915, il n'y a qu'une seule bonne nouvelle à se mettre sous la dent : l'état major a enfin compris que les pantalons rouges, pour faire la guerre, ce n'est pas l'idéal. Les soldats porteront maintenant une seyante couleur bleu horizon, moins propice à se faire canarder par les Boches comme de vulgaires cibles de fêtes foraines. 
Pour le reste, rien pour réjouir le Poilu. La guerre s'enlise, les couples se déchirent, et les gaz de combat font leur apparition. Cet opus est sans doute le plus sombre de la série, mais aussi celui où les personnages ont le plus d'épaisseur, et le scénario le plus dramatique, voire le plus atroce. La lente progression du nuage de gaz poussés par les vents, vers les combattants français qui se protègent de leur pauvre mouchoir, prend à la gorge, au sens propre comme au figuré. Dans le même temps, les tragédies familiales qui se jouent à l'arrière du front, à cause de cette p... de guerre qui dure, conduisent des hommes déjà rendus fous par les combats, à porter cette folie à leur zénith. 

Un scénario dramatique, des personnages qui prennent de l'épaisseur : cet épisode, chargé d'humanité dans un contexte pourtant apocalyptique, est le meilleur de la série. Pour l'instant.


Pour aller plus loin 

Sur le site de la Mission du Centenaire, une page intéressante sur le gaz moutarde et ses dégâts. Première utilisation : le 22 avril 1915, événement que retrace cet épisode de "14-18'.

14-18 Tome 04 - La Tranchée perdue (avril 1915). Par Corbeyran, Etienne Le Roux et Jérôme Brizard. Editions Delcourt. Coll. Histoire & Histoires. 

    mardi 20 octobre 2015

    Paroles de Poilus : Les tripes à l'air


    Oui ok cet album est paru il y a neuf ans. Une éternité. Mais d'une part, cela fait un siècle que ces "lettres et carnets du front" ont été produites par les soldats, on n'est pas à une décennie près. D'autre part une "intégrale" vient de sortir, regroupant ce tome ainsi que le 2e intitulé "1914-1918 : mon papa en guerre". Donc je reste dans l'actu.

    Mais là n'est pas le propos ni l'important. Cette BD secoue. Les textes ont certes été sélectionnés, mais ces soldats, ouvriers ou paysans dans la vie civile antérieure, manient une plume chargée de détails, d'images, d'odeurs et d'émotions. Ils déballent leur âme avant de vider leur arme, et souvent leurs tripes, avec une classe qui tranche avec l'horreur du contexte qu'on imagine.

    Les dessinateurs qui ont manié la leur, de plume, pour traduire en bandes dessinées ces courriers et ces journaux personnels, ont joué le jeu avec splendeur. Parfois en donnant "à voir", parfois en transcendant le texte par la suggestion. Le décalage entre la beauté du verbe et la noirceur de l'image qui l'accompagne frise même l'incongru. Une incongruité inhérente à la rencontre de l'humanité avec la guerre, en fait.

    Paroles de Poilus. Lettres et carnets du front 1914-1918. Ed. Soleil/France Inter. 2006. 

    vendredi 16 octobre 2015

    Le Chat du Rabbin : Paroles et moustaches


    "Et si c'était pas moi, le centre du monde ?" Sacré chat, celui du rabbin, qui se croit tellement indispensable qu'il se permet d'être amoureux de sa maîtresse humaine, jaloux de son enfant en gestation et haineux à l'égard de son crétin de mari. Non le chat, tu n'es pas le centre du monde, mais tu vas apprendre dans cette histoire à l'être un peu quand même.

    Sacré chat surtout, qui fait aimer la philosophie bien plus efficacement, depuis six volumes, que les cours de philo abominables de terminale pendant lesquels l'Education nationale met un point d'honneur à dégoûter définitivement beaucoup de jeunes des joutes spirituelles qu'offre pourtant cette matière vivante. (Merci à cette BD de m'avoir permis de déverser ici un vieux truc qui me pèse depuis longtemps !)

    Prier pour ne rien dire
    C'est donc l'histoire d'un chat amoureux et jaloux. Un chat qui parle. Et qui parle dans le désert car sa maîtresse ne peut pas l'entendre. Qu'à cela ne tienne, il va tenter de se faire entendre de Dieu, en apprenant à prier, avec le père de sa maîtresse, qui est rabbin. Lui, le rabbin, l'entend, le chat, quand il parle. Mais le chat comprend vite que le rabbin l'invite à prier... pour ne rien dire.

    De dépit, il quitte alors maîtresse et rabbin. Et se vautre dans une mésaventure que nous tairons ici, qui lui apprend que la parole peut tuer. La fin est positive : si la parole est un instrument de pouvoir, mieux vaut l'user pour exprimer l'amour que pour tuer les gens. Soudain sa maîtresse comprend sa parole.
    Et ça, ça s'entend. Dans tous les sens du terme.
    Et ça se déguste, comme tous les épisodes du Chat du Rabbin, avec plaisir. Parole ! 

    Le Chat du Rabbin, de Joann Sfar. Tome 6. "Tu n'auras pas d'autre dieu que moi". Dargaud.

    samedi 10 octobre 2015

    La Revue Dessinée d'automne : un coup de mou mais quelques pépites


    Qui aime bien châtie bien. A chaque numéro de La Revue Dessinée, je lis, j'apprécie, je le dis (sur ce blog, voir mes précédentes appréciations). Là j'ai lu, un peu déçu, j'ai attendu. Des fois c'est meilleurs réchauffé donc j'ai relu. Mais non, rien à faire, un goût de fade. 

    Parmi les sujets développés, celui sur la communication politique était prometteur. Il est finalement long, un peu techno, et je n'aime pas ce dessin à seulement trois couleurs qui donne mal au crâne.
     Le business de la viande, autre sujet intéressant a priori, est certes joliment illustré. Mais il s'agit bien d'un article que vient illustrer le dessin. Autant lire Le Monde

    Au contraire des "parias de la SNCF", qui relate à merveille (car il y a du positif dans ce numéro !) l'histoire de ces Marocains, que les chemins de fer français sont venus chercher dans leur pays au début des années 1970, exploités pour faire les travaux les plus durs de la vie des rails, dotés d'un sous-statut (que les syndicats majoritaires de la SNCF ont traîné à remettre en cause, sans doute pour protéger leur propre statut), et qui n'avaient même pas droit à une retraite égale à leurs collègues cheminots. Histoire qui a fini devant les tribunaux où la SNCF a récemment été condamnée, et c'est tant mieux. Ce reportage est bien raconté, au travers du témoignage d'un des leaders de ces "parias", par un vrai travail de scénarisation en images, qui fait toute la différence. 
    Autre sujet, l'exploration de la grotte Chauvet prend aussi le parti de l'originalité de la BD, en donnant la parole aux animaux dessinés sur les murs de la grotte par les premiers artistes préhistoriques, puis en proposant une analyse artistique de la qualité de ces œuvres. Là aussi avec un beau style de dessins. 

    Pour le reste, la chronique musicale (sur les Cramps, que pourtant je connais, pour une fois !) reste élitiste. La chronique  "La sémantique, c'est élastique" s'attarde sur les origines du mot "Dauphin". Bon pourquoi pas. Mais pourquoi... "La Revue des Cinés" me semble toujours aussi lunaire dans une... revue dessinée, mais pas pire qu'une chronique musicale. Quant à la rubrique "Mi Temps" sur les règles sportives, elle porte sur le rugby, ce qui est bien vu en cette période de coupe du monde. 

    En deux mots, je sens comme un coup de mou avec ce numéro. Mais je suis sûr qu'avec les sujets annoncés pour le prochain, ce sentiment sera vite oublié. Un seul truc à ne pas oublier : me réabonner, au fait...

    Pour aller plus loin

    Toujours à consulter jours et nuits : le site de La Revue Dessinée, très bien fait, et qui remet en perspective certains reportages déjà publiés selon l'actualité du moment. 

    La Revue Dessinée n° 9 d'automne 2015. 15 euros. En librairie. 

    samedi 19 septembre 2015

    N'oublier jamais : ça va être dur d'obéir à cet ordre


    Chez Pocket, ils doivent avoir une dent contre Michel Bussi. J'écrivais il y a tout juste un an (9 septembre 2014) que la couverture de son roman Ne me lâche pas la main était hideuse. Pour N'oublier jamais, itou. Le titre correspond bien : c'est tellement moche qu'on ne risque pas d'oublier. 
    Pour le reste, que dire ? Au départ, c'est intrigant. Comment ce pauvre Jamal Salaoui, qui cumule les handicaps au point de venir du 9-3 et d'avoir une prothèse de jambe (c'est vous dire comment on a déjà la larme à l'oeil), mais qui veut se battre pour s'en sortir et ambitionne de devenir champion de course à pieds et donc s'entraîne comme un fou (je peux vous passez la boîte de mouchoirs si vous voulez), comment ce pauvre gars, donc, peut-il se retrouver accusé d'avoir assassiné deux jeunes femmes en les jetant du haut d'une falaise normande ? D'autant que le lecteur est dans la tête de Jamal, il le sait donc bien, le lecteur, que ce n'est pas lui qui a poussé cette fille, et que au contraire il a cherché à l'aider à ne pas sauter. Mais au fil des pages, on finit par se poser des questions, et en tout cas, comme je le dis plus haut, c'est intriguant. 
    Et paf, il y a un moment où, comment dire... Ça devient un peu tordu, tiré par les cheveux, la machination qui se dessine est peu crédible, l'explication des mystères peut parfois prêter à sourire, il y a même un personnage qui est au chômage et qui s'appelle Le Medef, ah ah, bref on se dit que l'auteur nous embarque dans un délire qui ne nous appartient pas. 
    Et comme il ne nous appartient pas, on va partir sur la pointe des pieds et le laisser tranquille...

    Pour aller plus loin...

    Allez, et comme tout le monde y pense (en tout cas moi ça m'a énervé la tête pendant toute la lecture), hop un peu de musique !



    N'Oublier jamais, de Michel Bussi, Ed. Pocket. 


    mardi 25 août 2015

    Tu me plais : Le hasard et l'inéluctable


    "Le train 1225 de la ligne 1 quitte la station Sablons à 21 h 34 et 52 secondes. Assise en face de Vincent, une très jolie jeune femme parcourt avec application son Elle et écoute de la musique, dont il perçoit le grésillement ténu." Ainsi résumé dans les premières pages par un narrateur qui viendra faire le point régulier au fil de l'histoire, ce polar captivant plaira à ceux qui vivent des moments de grâce dans le métro (à ce sujet je ne saurais trop vous recommander l'excellent blog zarbidanslemetro.blogspot.com). Car l'essentiel se passe sur cette ligne du métro parisien, et le suspens va progressivement monter, à mesure que le Vincent en question va nouer une relation de plus en plus proche avec la voyageuse installée devant lui, et que le lecteur comprendra que si un grain de sable ne vient pas enrayer l'engrenage qui se met en place, il se passera quelque chose de grave.

    Ce qui fascine dans ce roman, c'est cette prise de conscience que tout n'est que hasard. Ne serait-ce que ce premier acte : Vincent a failli rater cette rame de métro ; il n'aurait pas rencontré la jeune femme. Tout ce qui suit souligne ces petits virages que chacun prend - ou pas - et qui conduisent à un destin.
    Ce qui fascine également c'est l'option du temps réel : tout se passe sous nos yeux minute par minute, sur à peine plus d'une heure, avec parfois des détours sur d'autres personnages dont la vie va croiser celle de ces deux voyageurs, et dont la chorégraphie d'ensemble, à la fois chaotique et inéluctable, conduira au dénouement qu'il n'est pas question ici de dévoiler.

    Une fois dévoré ce polar, on se plaît à se faire un bon délire "philo", à se demander par quel hasard on l'a lu, par quelle succession de choix - ou de contraintes - on l'a acheté, pourquoi et comment on a pu prendre le temps de le lire. Et de fil en aiguille, vient "la" question existentielle : si je l'ai lu, c'est que j'existe, c'est que je suis... mais par quel hasard ?
    Vous avez une heure...

    Tu me plais. Jacques Expert. Le Livre de Poche. Coll. Policier/Thriller. 2015.



    jeudi 13 août 2015

    Méchant garçon : Des envies de meurtres


    Ronald est effectivement un "méchant garçon". C'est rien de le dire : il a violé et tué une jeune fille. Sa maman est une pourriture et une malade mentale aussi : son fils doit devenir médecin, il doit donc être protégé, il a été vilain mais maman va tout faire pour que les grands desseins qu'elle lui assigne ne soient pas perturbés par un meurtre, et va le cacher pour qu'il ne soit pas pris par la police. Elle lui aménage un petit espace secret à la maison avec toutes les commodités, et le planque 24 heures sur 24 pendant des semaines et des mois... Jusqu'à ce qu'elle tombe malade et doive être hospitalisée.

    La lecture de ce livre provoque un malaise. Pour plein de raisons. D'abord on a envie d'être aussi sadique et psychopathe que Ronald. Une envie de l'attraper, de lui mettre un pain, de lui arracher les yeux, tant il est fou et insupportablement prétentieux. Cela pousse à ne pas lâcher le livre avant le dénouement. Surtout, se dit-on, surtout qu'il ne gagne pas à la fin !

    Cliniquement vivants
    Ensuite on ne plaint pas cette pauvre maman qui élève son crétin de fils toute seule. A un degré inférieur (j'ai le sens de la mesure), on compatit avec les profs d'aujourd'hui qui ont face à eux des parents qui soutiennent leur gamin même quand celui-ci fait les pires conneries. Elle a le profil des mamans qui rendent fous leurs enfants, en les empêchant d'être eux-mêmes, en leur mettant la pression pour qu'ils satisfassent non pas leur plaisir de vivre, mais les ambitions - et les névroses - de leurs parents. Ces mamans, ces papas, sont des assassins d'enfants, ils tarissent leurs espoirs, ils anéantissent leur avenir, ils transforment les gamins en zombies, et ils agissent en toute liberté, en toute légalité, en toute impunité. Aujourd'hui on a le droit de massacrer des enfants en les laissant cliniquement vivants.

    Mais là n'est pas le propos. Ce qui met mal à l'aise également, c'est que dans ce thriller, le meurtrier est parmi nous. Classique, dans un polar, direz-vous. Mais là il est parmi nous sans qu'on le sache... Et ça fout les jetons quand on rentre chez soi le soir...
    Bref un roman très prenant, qu'on ne lâche que pour aller manger ou pour dormir - mal...

    Jack Vance, surtout auteur de science-fiction, avait écrit ce Bad Ronald en 1973. Il avait dit de ce roman qu'il était sans doute le meilleur qu'il ait écrit. Dans sa production SF j'avais beaucoup aimé le Cycle de Tschaï, un space opera en plusieurs tomes avec des créatures extraterrestres étonnantes. Mais pour le coup, ce polar dépasse en émotions sa production spatio-futuriste. 

    Méchant garçon, de Jack Vance. Folio Policier. 

    vendredi 7 août 2015

    Face à face : Une enquête avec des ø et des å


    Si je vous dit que dans ce polar il n'y a pas d'action, que les personnages se prénomment Hildegunn, Ståle, Gunnhild voire Frydenberghjemmet, et qu'ils évoluent sur des sites aussi dépaysants que Løvstakksiden, Damsgårdsgaten ou Dokkeskjærskaien, vous réagirez mal, je le sais, je le vois, je le sens, ne dites pas le contraire. 

    Réaction compréhensible certes, mais ce serait dommage parce que ce polar norvégien, malgré l'absence de bagarres et une nécessaire concentration sur les noms et les lieux qui ne nous sont pas super familiers, tient en haleine. Aux commandes, le détective privé Varg Veum (11e bouquin dont il est le héros) raconte son enquête à la première personne, tout son cheminement de pensée, ses rencontres, ses questionnements, ses hypothèses. Il cherche avec autant d'ardeur que tout commence par un type qui a le mauvais goût de mourir dans sa salle d'attente. Ses recherches le conduiront à gravir des versans sentimentaux et politiques, qui prennent naissance dans les années 70. Le tout est superbement emmené, on reste scotché au texte jusqu'à la dernière page car, comme tout bon polar, tout se comprend dans les ultimes minutes de lecture. 

    Allez, ce n'est pas du cinéma chiant suédois à la Bergman. C'est du polar norvégien à la Staalesen, c'est spécial mais j'y regoûterai. 

    Face à face, de Gunnar Staalesen. Folio Policier. 

    vendredi 31 juillet 2015

    Moisson Rouge : Un bon polar noir, noir et blanc


    Une ville, Personville - Poisonville pour les intimes - gangrenée par la corruption, la violence, les mafias, les trafics... Un détective privé qui a pour mission de tenter de mettre de l'ordre dans ce chaos, en jouant sur les rivalités entre malfrats, tous certainement habillés en costumes sombres et affublés de borsalino. Des mitraillettes qui crépitent, qu'on imagine dotés de chargeurs en forme de camembert. Des hommes qui n'hésitent pas à donner du poing, des femmes - mais très peu - qui jouent fatalement de leur charme, ça fume et ça boit beaucoup d'alcool à tous les coins et les recoins de pages mais ce n'est pas ça qui augmente le plus le taux de mortalité... 

    Bienvenue dans les années 30, époque de la prohibition, dans un polar bien noir, comme on en a vu sur les écrans en noir et blanc avec un Humphrey Bogart en héro. C'est plein d'actions, l'histoire est bien montée, les personnages tous bien campés, et le héros a ses faiblesses. Bref c'est du bon, c'est même du grand classique, que dis-je de l'historique, tant l'auteur, Dashiell Hammett, est reconnu comme un des pères fondateurs du roman noir. 

    Moisson Rouge. Dashiell Hammett. Folio Policier. 

    jeudi 23 juillet 2015

    Chaos de famille : Du bon gras qui tache et qui tue


    J'ai lu ce livre en deux jours (pour moi c'est exceptionnel), et j'ai bien ri. C'est l'histoire du narrateur, M. Plonque, qui vit avec une femme, Camina, véritable mégère qui l'humilie en permanence en le prenant pour son chien pendant qu'elle regarde les pires conneries à la télé. Quinze ans qu'il subit, douze ans qu'il n'a pas pu la toucher, devenant un véritable "obsédé de la femme". C'est l'histoire des frères et soeurs de Camina, complètement timbrés, alcoolos au dernier degré, fiers d'être dépressifs, c'est vous dire... Et de la mère de Camina, une vieille chiante. Il y a aussi Mme Quillard, une voisine et copine de Camina. Une femme à hommes, qui chauffe les fantasmes de M. Ponque...

    Un des frangins dépressifs se suicide, M. Ponque vit une aventure fugace et manuelle avec Mme Quillard, il est au volant au moment de l'acte, il perd le contrôle de son véhicule mais reprend celui de sa vie après l'accident sans gravité qu'il provoque, en décidant de se faire passer dorénavant pour un "paralytique flasque". Plongé dans une fausse apathie, il va néanmoins tenter de coucher enfin avec Mme Quillard, et espérer voir crever tous ces gros débiles de la famille de son atroce épouse. Peu à peu, en effet, tout va partir en pépète, avec du boulot pour les pompes funèbres... 

    C'est à rigoler à chaque coin de page, c'est énorme, foutraque, exagéré du début à la fin, plein de beuveries, de bouffes gargantuesques, de vulgarité, de sexe, de méchanceté, on se dit "non il ne va pas oser" mais si, ses descriptions sont démesurées mais à crever de rire, et ça n'arrête pas sur 250 pages. 
    Il y a des personnages de dingue : Bitove (comme Beethoven, car quand ce brutal queutard tape quelqu'un, il fait "pom pom pom pom") ; le docteur Pételle qui adore couper les jambes ou les bras pour soigner même un eczéma ; Solange, une soeur de Camina, qui, avec sa grosse bouche, a sauté aux yeux d'un des croque-morts qui a enterré le frangin, ce dernier fantasmant de lui faire l'amour le corps dans une camisole à capuche, dans un cercueil ouvert...

    Tous timbrés vous dis-je. Dans le style d'écriture il y a du San Antonio, du Michel Audiard, et un je-ne-sais-quoi qui doit sans aucun doute à voir avec le talent de l'auteur, tout simplement. 
    En un mot : plongez-vous dans ce chaos de famille, dans ce bain de gras, de délire et d'ignoble, on n'en ressort pas tout à fait pareil qu'on y est entré. 

    Chaos de famille, de Franz Bartelt. Folio.  


    mercredi 22 juillet 2015

    S'abandonner à vivre : Des pépites sous la couverture



    Quand on chercher un livre à lire dans une librairie, on peut avoir compulsé en amont toutes les critiques littéraires des parutions récentes. Depuis la disparition d'Apostrophe choisir un livre est en effet devenu une activité harassante. Certains font confiance à Télérama, moi non. On peut aussi écouter les conseils du libraire, mais il vaut mieux qu'il vous connaisse bien. Qu'il vous confonde avec votre voisin lui-même critique littéraire de Télérama, et vous voilà mal. 

    En tout cas pour ma part, j'y vais au feeling. Mais alors le feeling bien commercial : je regarde chez Folio parce que les autres éditeurs j'aime moins ; je regarde l'image de couverture ; si elle me plaît je tâte le nombre de pages ; si le livre a moins de 250 pages je lis la 4e de couverture ; si ce mini-texte m'inspire je jette un oeil à l'intérieur et je lis deux ou trois lignes ; si le style n'est pas pompeux, j'achète. 

    Tout un art. Et pourtant je me trompe souvent et le nombre de livres entamés s'accumule au pied de mon lit. Là, pour "S'abandonner à vivre" de Sylvain Tesson je ne me suis pas trompé. Il avait certes un critère supplémentaire favorable : c'est un recueil de nouvelles et j'aime les nouvelles. Mais je ne connaissais pas du tout cet auteur et j'ai choisi selon les critères ci-dessus. Et globalement j'ai bien aimé. Certes les nouvelles sont parfois écrites dans un style un peu ampoulé, souvent genre "je suis dans mon monde et devinez où je vous amène malgré les jolis mots abscons que j'aligne", et n'échappent pas à un côté un peu intello qui plairait justement à un critique de Télérama. J'ai zappé deux ou trois textes vraiment trop pénibles à lire, qui invitaient manifestement le lecteur à foutre la paix à l'auteur. Mais dans la quinzaine de nouvelles recueillies, qui ne dépassent pas la dizaine de pages, il y a des pépites vraiment drôles et agréables à lire. Donc ça vaut le coup de se lancer dans la lecture du bouquin, et de s'abandonner à le lire...

    S'abandonner à vivre, de Sylvain Tesson. Folio. 

    mardi 21 juillet 2015

    Fluide Glacial d'été : Il fait trop chaud pour ce patchwork


    "Conseilleriez-vous ce produit à d'autres bédéphiles ?" Ma réponse serait non. 
    Et je le regrette car j'aime bien Fluide Glacial. Du moins l'idée que je m'en fais encore (rhaaaa Gotlib, Edika, Goossens...) car pour être franc je ne l'ai pas acheté depuis des siècles. Là dans la torpeur estivale qui annonce de tranquilles plages de lecture autant que de plages de sable, je m'étais dit, devant les rayons journaux du Super U du coin, "Tiens, Fluide Glacial Série-Or Été, voilà qui agrémentera mes vacances et me replongera dans l'univers fluide-glaciaire !"
    Résultat bof. Dans ce patchwork d'extraits d'albums déjà parus ou à paraître, à part quelques historiques qu'on relit avec plaisir (Carmen Cru, les Bidochon, Edika...), voire du très ancien déjà lu et relu (un Lucien de Margerin datant de 1981...), on trouve des "nouveaux" parfois pas mal (un prometteur "Rase campagne" d'Aurel sur des arrangements électoraux locaux à paraître en septembre), mais aussi souvent lourdingues (et je ne nommerai personne). 
    En un mot, sur la plage, de Deauville ou d'ailleurs, choisissez d'autres planches

    Fluide Glacial. Série-Or Été 2015. En kiosque. 

    dimanche 28 juin 2015

    Jurassic World : six films en un, c'est rentable


    Cela faisait au moins dix mois qu'on n'avait pas été au cinéma, ma Mie et moi. Alors allons-y pour du lourd, du gras, du grand, du spectacle, du film qui tache, morbleu ! Donc Jurassic World. En 3D en plus s'il vous plaît.
    Eh bien on en a eu pour notre argent (parce que bien sûr on s'est décidé la veille de la Fête du Cinéma, donc on a payé plein pot) : ce film, c'est un condensé de 5 ou 6 autres films.

    Une base US

    D'abord il y a la base, celle de tout bon film américain.
    Il y a un héros très fort et brave.
    Une héroïne qui n'a rien compris à la valeur "famille" mais qui comprend vite qu'il n'y a que ça de vrai enfin allons, qui court pendant tout le film avec des chaussures à talons et qui parvient à prendre le temps d'embrasser le héros pendant le carnage d'une attaque de bestioles préhistoriques.
    Deux gamins dont un ado en pleine crise de puberté, qui se traduit par des prises de risque ("Larguons notre ange-gardien, on va s'éclater") et des œillades à un groupe de jeunes filles à l'air niais mais aptes à nourrir les fantasmes d'un néopubère. L'autre gosse est le petit frère, il est perturbé par l'éventuel divorce de ses parents, enfin il croit que ça se prépare, mais en fait tout le monde s'en fout c'est juste pour montrer qu'il est petit et sensible.
    Un savant fou (à l'allure nécessairement asiatique) qui crée des animaux ignobles.
    Un directeur de parc qui préfère risquer des vies humaines plutôt que son chiffre d'affaires.
    Un méchant, fatalement un peu gros et un peu con, qui a une idée géniale : utiliser les animaux préhistoriques pour faire la guerre.
    Et un Français, Omar Sy.

    Des ingrédients filmiques  

    Sur cette base vous ajoutez des préparations déjà vues dans d'autres films.
    Indiana Jones pour le côté aventure dans la jungle et héros intrépide.
    King Kong pour l'île et la bagarre entre animaux préhistoriques, à la fin.
    Les Oiseaux d'Hitchcock, pour la scène d'attaque des ptérodactyles sur les visiteurs. 
    Les Dents de la Mer pour le parc d'attraction plein de gens affolés et qui se font bouffer par des créatures alors qu'on avait bien dit au directeur du parc que c'était dangereux et qu'il fallait évacuer.
    Charlot pour la fin du film, où les deux héros partent en amoureux vers un horizon lumineux. Le gars ne fait pas tourner de canne dans sa main comme Charlie Chaplin, mais vous voyez l'ambiance.

    En cherchant un peu on pourrait trouver des tas d'autres références (ou hold up ?) cinématographiques. Mais l'assemblage est réussi et scotche au fauteuil. On a payé plein pot, mais on a eu plein de films en un seul.

    Pour aller plus loin

    D'abord allez faire un tour sur le site internet du film, il y a même un plan du parc. Il y a aussi une page Wikipédia sur la biologie dans la science fiction. Et je vous conseille un truc de fou pour amuser vos enfants puis leur faire peur : jouez au savant fou et fabriquez vous-même votre dinosaure ! 

    mercredi 17 juin 2015

    Revue dessinée d'été : sous le soleil de l'éthique


    Le temps passe bien vite ma brave dame, voici venu le temps de la Revue dessinée d'été (mes autres chroniques de cette belle revue sont ici). Avec l'éthique et/ou la morale (je vous laisse philosopher sur les nuances, en ce jour de bac philo), en fil rouge d'une grande partie du numéro.

    Morale, éthique, en politique : il en est question dans ce reportage sur l'équipe municipale, étiquette UDI, qui a pris les rennes de Bobigny (Seine-Saint-Denis), aux dernières élections municipales, éjectant ainsi les communistes aux manettes depuis presque un siècle. Des pratiques peu sympathiques voire franchement glauques sont décrites, tant des sortants que des entrants. La tonalité générale ne tombe pas dans le "Tous pourris", et c'est heureux : la parole est aux acteurs, des êtres humains qu'on tente de comprendre, dans la situation qu'ils vivent, ici et maintenant. Mais pas de quoi raccommoder la déchirure entre les citoyens et le monde politique, pas de quoi lever la méfiance qui s'est installée. Hélas.

    Morale, éthique, dans le sport : au travers de la saga d'Adidas, qui a inventé un nouveau modèle économique à partir d'activités a priori saines, une enquête explique comment le sport, à un certain niveau (FIFA, CIO, grandes fédérations, voire plus bas dans la hiérarchie sportive...), est gangrené par l'argent, la corruption, la magouille. De quoi mieux comprendre les soubresauts récents à la FIFA. Pas beau à voir. Mais pour être franc, chiant à lire aussi, tant cette partie est plus du texte illustré qu'une mise en scène BD. Autant lire un article du Monde. Mais le contenu est édifiant.

    Morale, éthique, en matière de droits de l'homme, de géopolitique, d'histoire personnelle : un témoignage très intéressant d'un enfant d'Afrikaner, quand l'Afrique du Sud est encore le pays de l'apartheid. Et comment il prend conscience peu à peu, à force de cotoyer des jeunes de pays européens, que la situation de son pays n'est pas "normale". Grave, très humain, touchant.

    Enfin moral (sans "e" final), au plus bas, quand on est "lanterne rouge" dans le peloton du Tour de France. Quoique. Ça dépend pour qui. On voit dans cette enquête la souffrance de ceux qui luttent pour rester dans la course, mais aussi à quel point certains coureurs cherchent absolument la dernière place, celle qui se voit.Et qui ouvre la porte de critériums d'après-Tour, rémunérés. Ils sont capables de toutes les roublardises pour être vraiment le dernier, le seul, l'unique... Le moral et la morale, finalement, trouvent leur lien.

    Repos de l'âme

    Mais il faut bien se reposer de toute cette ambiance peu morale. Inutile d'aller voir un pasteur pour calmer les affres de l'âme : en tout cas en Suisse, ils frisent le burn out, voire la dépression. Reportage original. En revanche, s'il fait moche (et justement une enquête sur la météo montre la place importante que ce secteur représente, tant dans la tête des gens que dans l'économie française), on peut utilement aller au ciné. Certes personne ne connaît sauf les lecteurs assidus de Télérama, mais une scène d'Electra Glide in Blue, de Guerico, est décortiquée. La chronique musicale décrit la vie et l'oeuvre de Nico, pas inintéressant.

    Quant à "la sémantique c'est élastique", elle s'attarde sur le verbe "croire". Croire en Dieu, croire en l'Homme... Ce qui nous ramène, en philosophant un peu, à une question de morale.

    La Revue Dessinée d'été. n°08. En vente en librairie.

    dimanche 7 juin 2015

    La Femme sans Tête : Un polar dans le Paris coupe-gorge et odorant du 16e siècle


    La rougeole et la coqueluche sont en pleine recrudescence aux Etats-Unis, à cause des gros débiles meurtriers qui font campagne contre la vaccination. La France n'est pas épargnée par ces débats. Il est temps que la raison reprenne le dessus et que la désinformation soit combattue. Regardons tout simplement toutes les maladies qui ont disparu grâce à la vaccination. Repérons  dans l'actualité ces enfants qui meurent d'une maladie qui aurait pu être évitée. Et rappelons-nous, histoire de sourire, qu'au 18e siècle, les obscurantistes prétendaient que la vaccination transformait les hommes en vaches...

    Mais que vient faire Une Femme sans Tête dans cette histoire de vaccination ? Juste qu'il y est aussi question de croyances, d'obscurantisme. Avec un médecin qui cherche le secret alchimique de l'élixir de vie. Bien sûr qu'il n'existe pas, mais au 16e siècle on en est encore à espérer le trouver. A avoir foi aux débuts d'une science moderne. A faire des expériences. Mais alors, cette femme retrouvée sans tête (morte donc, vous imaginez bien...), ne serait-elle pas victime de ce médecin aux recherches douteuses et peu catholiques ? Dans cette ambiance de guerre de religions (le massacre de la Saint-Barthélémy a eu lieu quelques années avant), de règlements de comptes, de "parties fines" qui mêlent le gratin politique et royal et où les prostituées finissent parfois mortes (on croirait l'affaire de l'Hôtel Carlton de Lille), le commissaire qui enquête sur le dossier a fort à faire, et doit justement lutter contre lui-même pour ne pas accuser, juste sur des préjugés, ce docteur joliment nommé Théophraste Le Noir, qui ne suit pas le même chemin que les autres. Le tout dans un Paris fort bien décrit - on voit les ruelles coupe-gorges, on sent les odeurs fétides qui y règnent - et avec des personnages hauts en couleur.

    Bref entre le débat actuel sur la vaccination et l'affaire de la femme sans tête, le lien est ténu, j'avoue. Mais j'avais envie à la fois de mettre une claque aux manipulateurs anti-vaccins, et saluer ce roman policier.

    La Femme sans Tête, de Viviane Moore. Ed. 10/18. 

    lundi 25 mai 2015

    14-18, Le Champ d'Honneur, qui ne l'est pas


    C'est reparti pour un nouvel épisode de la saga qui va suivre pour dix albums jusque 2018, le terrible quotidien de Louis, Jacques, Maurice, Armand, Denis, Arsène, Pierre et Jules, huit compagnons du même village, mobilisés le 1er août 1914 dans le même régiment, pour une des plus belles boucheries inventées par le genre humain.

    Après Le Petit Soldat (Août 1914) et Les Chemins de l'Enfer (Septembre 1914), voici les huit compères dans Le Champ d'Honneur. Un titre bien ironique tant l'honneur n'existe plus depuis belle lurette dans la hiérarchie militaire. Dans les phrases, les discours, les harangues, oui sans doute. Pour tenter de donner du sens au massacre, pour faire croire au soldat qu'il va se faire tuer pour quelque chose, certainement. On s'y réfère, à l'honneur. On le porte en étendard. Mais il est massacré lui aussi. Dans cet épisode, les officiers, en fin stratèges, envoient un groupe de soldats attirer l'attention des bombes et des balles allemandes sur eux, en vue d'une attaque surprise sur l'autre flan. La moitié du groupe tombera au champ "d'honneur". Pour rien, car pas un mètre de terrain ne sera gagné par les troupes françaises.

    Mais l'histoire principale de cet album n'est pas seulement dans la dénonciation des ordres absurdes de la hiérarchie militaire. Ça, malheureusement, on connaît, c'est une toile de fond permanente dans cette guerre. Corbeyran et Le Roux décrivent dans cette série des gens, des histoires singulières, qui s'affinent peu à peu. Dans ce troisième tome : l'affichage, la dénonciation, au sein du groupe de camarades, de choses qui relèvent de l'intime de certains d'entre eux. Pour rappeler que derrière les chiffres de masse qu'arbore habituellement le discours sur la guerre 14-18, il y a des individus, faits de chair, d'os et d'esprit, avant d'être des chairs à canon.

    14-18 - Tome 3 - Le Champ d'Honneur (Septembre 1915) - Corbeyran, Etienne Le Roux - Ed. Delcourt.


    lundi 23 mars 2015

    Silas Corey et le Testament Zarkoff : on exige la suite, et vite !


    Mais kesseucé que ce nom bizarre de Silas Corey ? J'ai dû m'y reprendre à trois fois quand j'ai demandé à mon libraire BD favori le dernier album de ce héros au sourire si doux - non, cruel parfois -, ce détective mystérieux qui fut journaliste et soldat, qui travailla en sous-main pour le gouvernement français pendant la guerre 14-18 (selon les deux premiers tomes "Le Réseau Aquila") et qui maintenant, démobilisé, faisant (un peu trop) la fête en ce 11 novembre 1918, va se retrouver embarqué dans une nouvelle aventure. Bref, Silas Corey c'est un peu compliqué à retenir, mais il se serait appelé Georges Petibidon, c'était foutu d'avance.

    Mais kesseucé que cette aventure ? Dans ce premier diptyque "Le Testament Zarkoff", c'est donc la fin de la guerre, Silas machin est bourré dans un bar à putes, et on vient le chercher parce qu'un de ses potes, également détective, vient de se faire poignarder et il a dit avant de mourir "Zarkoff, Wotan, tue-les..."

    Mais kesseucé que cette énigme de ouf, mais bon sang de bon soir comment ça vous prend aux tripes de savoir, que même dans les jeux télé de fin de journée on n'a pas eu cette idée saugrenue, ce suspens trifouillant les entrailles mais ça devrait pas exister !

    Mais si, ça existe, et ça, c'est une énigme mystérieuse, mêlant la fripouillerie, le génie, les bons et les méchants, les intérêts de l'Etat, les intérêts particuliers, qui plait à Machin Corey. Et blague à part, c'est bien foutu parce qu'à la fin de cet opus, on a envie d'appeler les auteurs - l'excellent scénariste Fabien Nury et le néanmoins talentueux dessinateur Pierre Alary - pour leur exiger - oui, exiger ! car nous avons payé pour voir, palsambleu ! - de livrer la suite là maintenant séance tenante tout de suite immédiatement (et je ne reculerai devant aucun synonyme n'insistez pas).

    Bref, kesseucé que cette BD ? De la bonne histoire, très bien documentée sur la vie quotidienne et les réalités de l'époque, bien construite, bien dessinée. Et j'exige toujours la suite là tout de suite. Non mais kesseucé ces manières ?

    Silas Corey - Tome 3 - Le Testament Zarkoff 1/2 - Fabien Nury (scénario) et Pierre Alary (dessins). Editions Glénat. Janvier 2015.


    vendredi 13 mars 2015

    Revue Dessinée de printemps : la justice à la barre



    C'est le printemps, le soleil revient, les oiseaux chantent, et la Revue Dessinée n°7 de cette belle saison vient de paraître. Malgré le beau temps qui revient, ce numéro n'est pourtant pas des plus radieux. Non pas en termes de qualité : cette revue tient la tête haute dans son offre de très bonnes enquêtes journalistiques en BD. Mais les sujets sont particulièrement sombres. Au menu : de graves perversions aux sommets des Etats, en France, en Europe, en Afrique, qui font froid dans le dos de n'importe quel citoyen iota (pour changer de "lambda"). 

    Qu'on en juge : suite de l'enquête sur le Service d'action civique (le SAC) entamée dans le précédent numéro ; plongée dans le système des "biens mal acquis" par des dictateurs africains avec la bénédiction de la France ; analyse de l'obscure politique migratoire de l'Europe et des milliers de migrants morts en quinze ans pour avoir voulu escalader la forteresse européenne.


    "Tous pourris" ? Que nenni !

    A leur lecture, il faut avoir le cœur bien accroché. Parce que ce qui est dénoncé dans les trois plus grosses enquêtes de ce numéro met en cause des responsables politiques de haut niveau, leur connivence avec des mafias ou leur corruption par d'autres puissances politiques ou industrielles. Et la tentation serait grande, à seulement survoler les sujets, de se vautrer dans le populiste "Tous pourris !" Sauf que ce n'est pas l'objet ni le ton de cette revue. Elle appelle au contraire à une démarche positive et mobilisatrice : l'exigence de justice.

    Justice face aux assassinats et aux activités mafieuses en tous genres perpétrés par le SAC. Justice pour ces Africains maintenus dans la pauvreté pendant que leurs dirigeants nagent dans l'opulence avec des propriétés mobilières luxueuses sur Paris notamment, et corrompent, dans un système impliquant des sociétés pétrolières, des pans entiers de la gent politique française. Justice pour ces migrants qui n'ont pas d'autres choix que de fuir leur pays et qui meurent en Méditerranée (27 000 en quinze ans), drame face auquel la seule réponse de l'Europe est d'enrichir des industriels de la défense en achetant des appareils toujours plus sophistiqués pour repérer les migrants, alors qu'"aucun mur, aucun radar ne peut rendre une frontière totalement étanche"...

    Justice aussi que celle, "ordinaire", prononcée par les juges d'instance, dont un reportage dessiné présente les réalités quotidiennes, celles dont a affaire des gens "normaux", parfois dans la détresse, mais qui bénéficient au moins d'un système cadré par des règles démocratiques.

    En dessinant les bons, les brutes et les truands, la Revue Dessinée contribue à expliquer, dénoncer, en un mot à faire la lumière. Justement, les sujets sont sombres, mais après les attentats de janvier, face à l'obscurantisme, et en empruntant à un célèbre livre sans dessins, on a envie de s'écrier "Que les Lumières soient". Tenir bon sur la liberté d'expression, sur la liberté de la presse, c'est la meilleure réponse à faire à ceux qui ont voulu, par la terreur, attaquer des valeurs fondamentales. 

    La Revue Dessinée n° 7 - Printemps 2015. www.larevuedessinee.fr

    dimanche 1 mars 2015

    Une semaine médiatique qui a touché le fond sans le soulever

    Ah bien sûr certains d'entre vous diront qu'il y a plus grave et que notre pays devrait plutôt se pencher sur le chômage ou les risques d'attentats. Non mais et puis quoi encore ? Cette semaine médiatique ne vous a pas suffit pour comprendre où sont les vrais enjeux ? Et les vraies responsabilités ?

    Prenez la chanson des Enfoirés : en voilà une chanson qui a fait couler des litres d'encre, saturé les ondes, occupé des JT... Je ne l'ai pas entendue, ou à peine quelques secondes et en plus je n'ai pas compris les paroles. Mais apparemment ça dirait des méchancetés sur les jeunes d'aujourd'hui. Les défenseurs du morceau disent que non pas du tout, c'est une invitation au dialogue entre générations. J'imagine que ce débat doit passionner les bénéficiaires des Restos du Coeur. 



    Autre sujet de la semaine vraiment passionnant : mais bon sang de bonsoir, quelle est la couleur de cette robe ? Comment vous dire... Au-delà des passionnants sujets sur les illusions d'optique que cette polémique profonde a permis de pondre dans les médias (et le pire c'est que c'est intéressant), il y a bien quelqu'un en vrai qui a porté cette robe, ou qui l'a achetée, ou fabriquée. Il doit savoir la réponse lui, non ? Ah oui tiens, on lui a demandé ? Enfin pour en arriver à se poser ce genre de questions, j'avoue qu'il y a un problème. Une chose est sûre, le débat doit prendre aux tripes des ouvrières du textile qui ne fabriquent plus de robes depuis des années : elles sont au chômage.

    Continuons dans cette folle période : un industriel, Martin Bouygues, est mort, dit l'AFP. Et hop tout le monde reprend l'info sans vérifier. Pas de bol il est vivant. Mais c'est la faute au maire du village voisin, qui parlait de M. Martin au journaliste. M. Martin est mort, lui. C'est vrai que ça passionne l'AFP, la vie (ou la mort) de M. Martin. Normal de parler d'un inconnu à l'envoyé spécial d'une agence de presse. Et normal qu'un journaliste normalement constitué ne se casse pas le fondement à vérifier l'info. Mort ou pas, voilà de quoi animer les débats des pédagogues qui tentent d'inculquer la rigueur aux enfants et aux jeunes. 



    Et pour finir (mais est-ce vraiment fini ?) j'ai bien aimé cette une du Parisien, qui annonce que l'immobilier "Ca baise et ce n'est pas fini". Ah ah ! La faute de frappe de fou. Repris en choeurs sur les réseaux sociaux, et même par certains médias (en Suisse notamment), personne n'est allé vérifier que c'était une fausse une, un "fake". Et pof. Encore une fois, tout va trop vite ma bonne dame, on ne va pas tout vérifier, des fois qu'un concurrent aille plus vite que nous et qu'on se fasse engueuler par le patron et qu'on perde des clients ! On ne peut même pas en vouloir à ces pauvres relais de fausses infos quand ils sont payés pour être plus forts que les autres. L'éthique, dans ces conditions de soumission à l'économique, a bien du mal à s'épanouir. 

    Alors je vous le dis haut et fort : ok on vit dans une société de la vitesse, du sensationnel, du vite-fait. La responsabilité, on verra plus tard. Eh bien moi aussi alors : et je vous dis qu'on en reparlera très vite de ce type vêtu d'une robe pas nette qui fait des fautes de frappe et qui insulte les jeunes. Parce qu'il est mort, le gars. 
    De source sûre. 

    Finalement, vous voyez, cette semaine médiatique soulève des sujets de fond. Non ?

    samedi 21 février 2015

    Nuit des César : fascination, ennui et entre-soi

    Eh bah on va les laisser entre eux, hein ?
    Soyons clairs : je n'ai tenu qu'une demi-heure devant la Nuit des César, avant d'éteindre et de me coucher pour lire un bouquin. Je n'ai même pas tout à fait tenu une demi-heure complète, puisque j'ai un peu zappé... en revenant chaque fois sur Canal +, où c'était retransmis.

    Car c'est fascinant, la Nuit des César. D'abord il faut avouer que Edouard Baer est un bon dragueur de public, et le placer en maître de cérémonie, c'est une assurance tous risques. Et puis toutes ces stars au mètre carré ! Bon d'accord ils sont un peu bloqués dans leur fauteuil, ils sont tous habillés pareils, du coup on ne les reconnaît pas tout de suite : pardi, ils ne bougent pas et ne jouent pas ! Mais quand même, les stars, ça attire. Surtout pour voir la gueule qu'ils tirent quand ils ne gagnent pas leur César. C'en est même gênant, des fois.

    Et puis la Nuit des César, c'est l'occasion de voir si le seul film de l'année qu'on a été voir au cinéma va gagner un prix. Ah ! LE film, celui auquel on a bien pensé en amont, à commencer par le moment où notre CE nous a vendu à vil prix deux tickets de cinéma. Le film qu'on a été voir au bon moment : pas trop tôt une fois sorti sur les écrans sinon c'est la queue infernale, pas trop tard non plus sinon il ne passe plus, le con ! Le film qu'on a été voir le bon jour : il faut que ce soit une journée pas trop ensoleillée sinon on est mieux dehors, et pas trop moche non plus sinon on n'a pas envie de sortir ! Le film qu'on a bien planifié niveau logistique :il faut faire garder la petite, on ne vas pas l'emmener voir un film de grands tout de même !
    Bref on a tout calculé, on a pris au moins cher, au bon moment, le bon jour, la petite est casée... mais on n'a pas choisi le film ! Ah les cons ! Alors on consulte, parce qu'il ne faut pas se tromper, au prix que ça coûte, même avec la remise du CE. On consulte les collègues, les amis, la famille... On regarde sur internet, on vérifie que Télérama n'a pas aimé, c'est un signe que ça va pas être mal...
    Et puis on se lance !
    Et puis on est contents d'y avoir été. On ne se souvient plus du titre au bout de trois jours, mais on a bien aimé.

    Et le soir de la Nuit des César (z'avez vu, c'est comme dire "au jour d'aujourd'hui"), on est déçus parce que le film qu'on a aimé n'est même pas nominé.

    Qu'importe ! On regarde ! Des fois qu'ils se soient trompés !

    Et puis on s'ennuie, très rapidement. Les bons mots et le sourire d'Edouard Baer ne suffisent plus. Les lauréats parlent trop longtemps pour remercier des gens qu'on ne connaît pas, nous, pauvres téléspectateurs. Et les sketchs, préparés sans doute par des stagiaires d'une obscure école de théâtre, sont lourds. C'est long. Pas drôle. Pénible. Tout cela est chiant et plaqué.

    Et on se dit, au bout d'une demi-heure, qu'on ne va pas les déranger plus longtemps, toutes ces stars qui s'autocongratulent, qui se remercient, qui se remettent des prix, qui se font des clins d’œil en parlant de choses qu'eux seuls peuvent décrypter... On va les laisser entre eux, car après tout c'est comme ça qu'ils se sentent le mieux. Et nous aussi. On va se retrouver entre nous, tranquilles, à bouquiner, à papoter. Et à se dire que non, cette année encore, quand on ira voir un film, on ne le choisira pas nécessairement dans la liste des lauréats de la Nuit des César.

    lundi 16 février 2015

    L'Ambulance 13 : ne tirez pas sur cet album



    Et c'est reparti pour les aventures du Docteur Louis-Charles Bouteloup, réparateur des corps des pauvres bougres qui se font hacher menu sur le front, dénonciateur de l'ignominie et de la bêtise des galonnés de cette boucherie sans nom que fut la guerre 14-18. Cette fois-ci, en cet avant-dernier tome de la série, le voilà muté dans les Vosges, pour l'éloigner de son père, officier supérieur, qui en a ras-le-képi de voir sa réputation ternie par son rebelle de rejeton.

    Sur la ligne bleue des Vosges, il intègre une troupe de courageux soldats qui agissent en autonomes, les Corps Francs. Et avec eux, les Américains, intervenant enfin dans la guerre, apprennent tellement vite à se battre qu'ils envoient d'abord en première ligne des Indiens Cheyenne arrachés de leurs réserves, et dont on apprend rapidement qu'il serait de bon ton qu'ils soient décimés, car leurs terrains, au pays, intéressent des hommes d'affaires.

    Voilà qui est donc bien crade et vil, et notre Docteur Justice du front Est, notre Rahan des temps modernes, bref notre justicier casqué, va dénoncer à tour de bras, détourner les ordres de supérieurs sans foi ni loi, et tenter de sauver ce qui peut l'être.Là-dessus, ajoutez des morceaux d'histoires qui se passent à l'arrière, à Paris, et vous avez un album assez bizarre, comme en position d'attente avant le tome final.

    Je ne tirerai pas sur cette Ambulance, car l'ensemble de la série garde tout son intérêt, mais là, on passe par une phase un peu caricaturale, avec un personnage principal dégoulinant de bonnes intentions, évoluant dans une histoire pleine de fourberies, comme si la guerre en elle-même n'était pas suffisante à être haïssable.

    Certes, tout cela est à l'honneur du service de santé des armées, créé justement il y a un siècle, et dont il est question dans un petit livret en fin d'album. Ce service et ses serviteurs méritent pleinement tous les honneurs, pour le sacrifice et le dévouement dont ils ont toujours fait preuve en sauvant des vies humaines. Mais je suis sûr que la modestie fait aussi partie de leurs valeurs. Et le héro de cet album - juste de cet album - en manque un peu.

    L'Ambulance 13. Les Plumes de Fer. Par Patrice Ordas (scénario) et Alain Mounier (dessins). Bamboo Editions.  

    lundi 19 janvier 2015

    Le Guide du Mauvais Père : Féliciter sa fille qui dit "Putain de sa race"


    Guy Delisle, c'est l'aventure. Ses pérégrinations à Pyongyang (2003), ses Chroniques birmanes (2007), ses Chroniques de Jérusalem (2011), fleurant bon la découverte de contrées lointaines et donc - nécessairement - mystérieuses, nous livrant des descriptions si respectueuses d'autres mœurs, d'autres vies, d'autres gens !

    Mais là, le dessinateur n'a sans doute jamais été aussi loin dans l'exotisme et la révélation d'us et coutumes ahurissantes. Pensez donc : n'écoutant que son courage, bravant les intempéries de la vie, faisant reculer les limites de l'investigation, il raconte sa vie de père. De père - nécessairement - mauvais.

    Alors oui, c'est le troisième tome du Guide du Mauvais Père qu'il nous livre là, et je n'ai pas lu les précédents. Qu'importe, sans doute comme les premiers volumes, le troisième mêle l'aventure, le suspense, la fourberie, et une pointe de philosophie. Tout y est.

    Jugez-en. Comment faire dire "Putain de ta race" à sa fille et l'en féliciter ? Comment pourrir une histoire de Harry Potter avec de la grammaire ? Comment rappeler à son enfant la cruelle vérité de la loi française, qui sanctionne d'écartèlement les élèves qui ne font pas leurs devoirs ?

    Et puis l'aventure disais-je, avec un hélicoptère télécommandé. Et le rappel de nos chères têtes blondes aux réalités : oui, Boucle d'Or est une délinquante ! Et la pointe de philosophie en conduisant l'enfant à l'école : oui mon enfant, après tu devras travailler durement, puis viendra la retraite et la mort.

    Certes, le recueil de ces tranches de vie se lit un peu trop rapidement, à raison de deux images par page. Mais c'est drôle, c'est parfois raide, et en tant que père je m'y reconnais bien. Eh, Guy, si tu veux créer un Club des mauvais pères, je te suis. Comme trésorier, je ne risque pas de m'ennuyer.

    Le Guide du Mauvais Père. Guy Delisle. Ed. Delcourt. Coll. Shampoing. 192 p. 2015.

    Et toujours le blog de Guy Delisle, à picorer avec plaisir.

    dimanche 11 janvier 2015

    Moi René Tardi... Tome 2 : Une longue, longue marche pour une longue lecture


    Suite de la mise en images des carnets de guerre du père de Tardi, René, prisonnier au stalag II B, en Pologne, pendant cinq ans durant la dernière guerre mondiale.
    Tardi est davantage connu pour ses œuvres sur 14-18, mais il les avait mises entre parenthèses en 2012 pour accomplir un travail plus personnel sur le douloureux quotidien de son père pendant la 2e guerre mondiale. Le premier opus traitait de la vie - de la survie devrais-je écrire - de René Tardi dans le Stalag.
    Dans ce deuxième volume, on suit le père Tardi et les autres prisonniers de guerre, évacués du Stalag en janvier 1945, toujours sous les ordres des geôliers allemands, marchant parfois sans trop savoir où aller, pour éviter les redoutables troupes soviétiques, dans un froid extrême, la faim au ventre, la haine des boches au cœur, mais aussi l'espoir en tête, celui d'un retour rapide à la maison tant il est manifeste que l'Allemagne nazie vit ses derniers jours.

    Le témoignage est fort, passionnant, rude. Et on comprend l'importance pour Tardi de "sortir" sur papier blanc ces pages sombres de l'histoire familiale. Comme dans le premier épisode, Tardi se met en scène, enfant, auprès de son père, comme une sorte de "fantôme inversé" qui revient dans le passé, questionnant virtuellement son père sur des manques de précisions dans ses carnets, ou l'informant (et nous aussi par la même occasion) de ce qui se passe au même moment ailleurs dans le conflit. Le tout, sans idéalisation du comportement du père : la pendaison des geôliers par les prisonniers, à laquelle participe René Tardi, ou ces véhicules Alliés qui renversent gratuitement des civils allemands juste par vengeance, effraie le petit Tardi virtuel, mais ces choses-là aussi font partie de la guerre.

    Mais ce volume a les défauts de son réalisme : la marche forcée des prisonniers devient une lecture forcée d'images répétitives et de textes à foison. La colonne de prisonniers se perd dans les campagnes désolées de Pologne : mais nous aussi, lecteurs, nous perdons dans les noms de villes et dans la géographie. Intéressant, instructif, mais parfois lassant.

    On attend maintenant la suite : le retour du père Tardi à la vie civile, à une vie qui ne peut sans doute plus être tout à fait "normale".

    "Moi, René Tardi, prisonnier de guerre au Stalag IIB. Tome 2. Mon retour en France". Jacques Tardi. Casterman.