jeudi 29 décembre 2016

L’œil de Pâques : Laissons l'auteur planer tranquille dans ses volutes


Le centre du monde est à Calais, entre les falaises de craie et le trou dans le Channel. Le centre d'un monde où passent les orbites de six planètes bien humaines. Pâques, beauté métisse venue d'Inde, joue le rôle du soleil. Chacune lui tourne autour, attiré par sa chaleur. Depuis la nuit des temps, ces planètes sont appelées à se percuter, pour faire jaillir des gerbes de bonheur lilas. Et pour que ce miracle advienne, un crime doit être commis.
(4e de couverture)


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Alors soyons clairs : Jean Teulé, j'aime beaucoup. Mais là faut s'accrocher. On suppose que le roman commence 15 millions d'années avant le meurtre pour souligner l'inéluctabilité du déroulement des événements qui se produisent en ce bas monde. On suppose que les détails communs qu'on retrouve incidemment entre les personnages - ici l'écoute d'une chanson des Beatles, là une couleur rouge, ou encore des histoires d’œufs, ou d'yeux... - entendent marquer l'interdépendance des destins. On présume que les tirades délirantes des personnages entendent donner un style à la narration. Ainsi le médecin légiste qui affirme qu'avant il pouvait "réciter les noms des tueurs de la viande (qu'il) mangeait. Mais, depuis Rungis et les carcasses importées, (il) ne sait plus qui tue. L'agneau d'hier a dû pleurer beaucoup au moment de mourir." Quant aux échanges de fin de roman entre les protagonistes de l'assassinat (mais en est-ce un ?) ils sont certainement nourris aux effets induis par la chanson des Beatles "Lucy in the Sky with Diamonds" - LSD - qui s'insère régulièrement en de lourdes ritournelles dans le récit, tant les rebondissements complètement délirants sont égrenés en écriture automatique. Et l’œil rose de Pâques - le nom d'un des personnages principaux, c'est pour dire... et qui donne son titre au livre - sa particularité et son destin ont certainement un rôle poétique.

Volutes de cannabis

Bref, on suppose plein de choses. L'imagination de Jean Teulé a peut-être été libérée aux volutes de cannabis (que les autorités, dans l'histoire, consomment sans vergogne), autant qu'aux acides du LSD, mais ça le regarde. Sans doute faudrait-il s'infliger les mêmes remèdes pour se laisser vraiment porter sans chercher à trop comprendre, afin d'apprécier pleinement ce roman. Mais c'est un peu trop me demander. En attendant, dans la liste des suppositions pointées dans cette chronique, il en est une, désagréable, que l'auteur m'oblige à poser : je suis sans doute trop con pour comprendre ce livre.

La page 77


 L'oeil de Pâques, de Jean Teulé. 1992. Ed.  Julliard, coll. Pocket. 


mardi 27 décembre 2016

Aquarium de Paris : Des requins, surtout des requins...


"Les petits poissons dans l'eau, nagent nagent nagent nagent nagent,
Les petits poissons dans l'eau nagent aussi bien que les gros."
Et comme c'est bien vrai tout ça ! Nous revenons d'une petite visite à l'aquarium de Paris, alias "CinéAqua", et nous l'avons vu de nos yeux : oui, les petits poissons nagent aussi bien que les gros. Sans aller jusqu'à la baleine, cet aquarium propose un très beau panel de fricassées de toutes tailles, du joli poisson-clown jusqu'à l'intimidant requin. Et surtout, il suggère une passionnante transposition en 3D de l'éducative allégorie que porte la petite chanson qui ouvre cette modeste chronique. 
Car en effet, dit la chanson, tout le monde est capable de quelque chose, chacun a sa place ici-bas, même la plus moche des sardine fait briller de mille feux ses écailles d'argent quand les projecteurs les éclairent. Et c'est beau. 

Chacun dans son bocal
Là où les paroles pêchent un peu (ah ah ! "pêchent"...), c'est que ça ne marche que si chacun est dans son bocal. Et de nos jours où le vivre-ensemble doit devenir un objectif sur terre, vous conviendrez que s'il ne l'est pas dans l'eau, ça crée un désordre contre-éducatif (tiens je viens de créer un concept). Mais il est vrai aussi que si vous mettez dans un même aquarium, dans un même bassin, toutes les espèces proposées à nos visites curieuses, il ne restera rapidement, et après carnage, qu'une seule espèce : la plus grosse. Quelle allégorie en effet... Et quelle dépense ! Car vous payeriez alors les 20 € d'entrée par personne pour ne voir qu'un poisson, le dominant, j'ai nommé le requin. 

On se sent poissons
C'est donc pas stupide, tous ces bassins. Mais tout ça pour dire que 20€ pour voir quelques poissons qui nagent aussi bien les uns que les autres, ça fait beaucoup. Même avec un vague univers Nautilus au milieu de la visite, ou avec des mannequins de pirates dont on se demande ce qu'ils foutent là. Au total on se sent soi-mêmes des petits poissons. Face aux requins qui ont fixé un tarif sans rapport avec la prestation, et qui se font des nageoires en or. 

Aquarium de Paris (près du Trocadéro). Tarif d'entrée : trop cher.  

samedi 17 décembre 2016

Revue Dessinée 14 : Se libérer de ses entraves


Le dessin de couverture de ce 14e numéro de la Revue Dessinée résume bien une grande partie des sujets traités. Il faut se dé-ficeler, se libérer, se dénouer, sinon c'est la chute assurée. Se libérer de quoi ? De tout. Des entraves physiques bien sûr, mais aussi celles, plus symboliques, qui nous maintiennent dans l'obscurité, dans l'ignorance, dans l'erreur.


Sortir de sa cage, physique et mentale, comme l'analyse la rubrique Instantané, à partir d'une photo de Raymond Depardon prise dans un asile psychiatrique italien en 1978, représentant un "fou" coincé dans une cage. Se libérer d'un régime totalitaire, avec la narration heure par heure de la chute de Ben Ali, en Tunisie, ouvrant la saison du "printemps arabe". Se méfier des discours sur l'ennemi intérieur, qui permettent toutes les dérives autoritaires de la part des dirigeants d'un pays, avec une belle démonstration historico-politique sur la "7e arme". Ne pas se laisser manipuler par les objets connectés, dans une excellente démonstration dessinée de leurs pouvoirs positifs et négatifs. Douter de tout, et même des chiffres, quand les statistiques de Pôle Emploi peuvent être manipulées par les gouvernements pour "planquer" quelques centaines de milliers de chômeurs.

Attention à la facilité du "bon ton"

Sur ce sujet, permettez-moi de douter aussi de la Revue Dessinée. Certes, la catégorie A des demandeurs d'emploi inscrits à Pôle Emploi est extrêmement limitée pour avoir une vision réaliste de l'état du chômage en France. Or, c'est sur elle que focalisent les médias et les réactions politiques. Le fait de former massivement les chômeurs les fait basculer dans la catégorie dite "D" car ils sont alors considérés comme n'étant plus en recherche active d'emploi : c'est un moyen de les faire disparaître (momentanément au moins) de la catégorie A où ils étaient jusque-là, certes. Mais je préfère un programme massif de formation des demandeurs d'emploi que rien du tout. Il faudrait plutôt que les médias s'extraient d'une forme de paresse intellectuelle qui consiste à commenter uniquement la catégorie A (qui comptabilise les personnes n'ayant pas du tout travaillé dans le mois précédent, et qui ne représente qu'un bout du problème du chômage), alors que les statistiques fournies chaque mois par le ministère du Travail sont une mine d'or pour que chaque journaliste mette en lumière le poids du chômage et de la précarité. Il est de bon ton d'attaquer les gouvernements et leurs tentatives de manipulation, mais là, il revient bien aux médias - et la Revue Dessinée le fait d'ailleurs très bien dans ce numéro - de faire leur travail d'analyse, car ils ont tout en main sans avoir besoin de commenter les commentaires des gouvernants. J'ai vu que la Revue Dessinée s'était alliée à Médiapart sur d'autres types d'infos (sur les présidentielles) : attention à ce que la qualité de la revue ne vienne pas se déliter dans un parti-pris extrémiste, dans une démarche finalement contraire à l'idée d'émancipation.

Enfin, comme l'émancipation c'est aussi la culture populaire, saluons les chroniques plus légères de cette revue : oui, on a besoin d'autres horizons (et apprendre à pratiquer le surf...), de connaissances rigolotes (et savoir d'où vient la dinde qui sera dévorée à noël, ou le LSD qui sera absorbé au réveillon du premier de l'an), d'histoires d'amour racontées au cinéma (avec une belle narration du "Mari de la coiffeuse"...). Bref, s'informer, se cultiver, apprendre, s'amuser, c'est vivre, c'est se débarrasser de ses liens. Alors vivons.

La Revue Dessinée n° 14 - Hiver 2016-2017. 

dimanche 4 décembre 2016

Gotlib, un truc entre lui et nous


Des personnages mythiques comme Gai Luron, le commissaire Bougret et son fidèle adjoint Charolles ("Les indices sont maigres, patron"), Hamster Jovial (mon scout préféré), le professeur Burp... L'immense Marcel Gotlib laisse en plan un paquet de personnages orphelins (dont malheureusement des Super Dupont bien vivants et à foison qu'on repère déjà à l'approche de l'élection présidentielle), et des fans-lecteurs tout aussi désemparés. Mais il a surtout semé sur son chemin un humour incomparable, basé sur la dérision et le non-sens, le n'importe-quoi, l'analyse drôlatique des petits défauts de la vie quotidienne, tous ces sujets qui font rire, et qui ont largement inspiré des générations récentes de comiques. 

Au-delà de l'influence majeure sur l'humour "public", Gotlib a façonné des humours individuels, privés, celui de ses lecteurs anonymes, de tous ses "Jean-Pierre Liégeois, jeune lecteur du Var". Sauf que ça, personne ne le sait, c'est un truc entre lui et chacun de nous. En fait non, Gotlib n'est pas mort. C'est encore un coup de la Dérision, et on en rit encore.