samedi 29 décembre 2018

Cendrillon : Un bon coup de ballet


Si on m'avait dit qu'un jour j'aurais souri, presque ri, devant un ballet à l'opéra, je me serais esclaffé bruyamment à la face du délirant qui m'aurait raconté une telle fadaise. Surtout s'il m'avait précisé que ce serait devant l'histoire de Cendrillon. Je n'aime pas les tutus ni regarder de la danse en général, je souffre devant les comédies musicales, je comprends rarement les histoires musicales sans paroles, et quand elles sont chantées par des barytons, des sopranos ou je ne sais quels ténors, je suis capable de hurler plus fort qu'eux pour qu'ils arrêtent de déclamer des phrases que personne ne comprend sans sous-titrage. Autant dire que quand j'ai décidé de prendre une place pour voir Cendrillon à l'opéra Bastille, je me suis motivé uniquement parce que c'était une expérience à vivre une fois dans sa vie.



Eh bien j'avais tort. Oui j'avoue, j'ai souri, voire ri, devant les deux sœurs immondes de Cendrillon, ces potiches stupides, dont le jeu chorégraphique faisait transpirer leur caractère cruche. J'ai admiré cette horloge des douze coups de minuit, composée de douze danseurs au rythme saccadé et rapide, tombant l'un après l'autre au sol au moment fatidique. J'ai même apprécié les passages plus classiques, faits d'entrechats et de pirouettes romantiques. J'ai aimé l'adaptation du conte de Perrault à un monde plus moderne : nous sommes à Hollywood, et Cendrillon veut devenir actrice de cinéma. Elle rencontrera un acteur-vedette en guise de prince charmant, qui, après une mi-nuit mémorable à danser comme des petits foufous, la recherchera avec le soulier de verre perdu, dans des lieux de débauche : une taverne espagnole, un bouge chinois ou un cabaret russe... Tout cela sans dire un mot, juste en dansant ! Et j'ai tout compris ! C'est vous dire !
Il est vrai que l'oeuvre réunit toutes les qualités d'artistes de talent et d'auteurs grandioses : adaptation chorégraphique du grand Rudolf Noureev, sous la musique du grand Serge Prokofiev magistralement interprétée par l'orchestre. J'aurais sans doute pu vous livrer ces noms dès le début de cette chronique, vous auriez été convaincu d'emblée, et ça vous aurait évité de lire mes appréciations personnelles sans intérêt. Allez-y, continuez, soyez désagréables, de toute façon j'ai encore trois machines à étendre, trois kilos de linge à repasser, la vaisselle à faire et le balai à passer. J'ai aussi une drôle de pantoufle toute brillante à lustrer, mais je ne vois pas la deuxième... Si vous la trouvez, vous me dites.

Cendrillon, ballet en trois actes d'après le conte de Charles Perrault. Musique de Serge Prokofiev, adaptation, chorégraphie et mise en scène de Rudolf Noureev. A l'Opéra Bastille jusqu'au 2 janvier, dépêchez-vous enfin ! 

lundi 26 novembre 2018

L'Apocalypse est pour demain : Ne pas franchir la ligne "jaune"


Les manifs et blocages des "gilets jaunes" m'ont remémoré un livre que j'avais lu quand j'avais une quinzaine d'années : L'Apocalypse est pour demain, ou les aventures de Robin Cruso. Ecrit par l'humoriste et acteur Jean Yanne, qu'il avait raconté sous forme de feuilleton radiophonique en 1977, il raconte l'aventure d'un pauvre individu dans un monde futur où la voiture est tellement reine qu'elle occupe la quasi-totalité du territoire dans un embouteillage chronique monstrueux. C'est bien simple, on habite dans sa voiture, on y vit, on y mange, presque en permanence, car à raison de pointes de vitesses de 8 mètres à l'heure, on a à peine le temps de travailler une demi-heure par mois (un acquis syndical !) qu'il faut rejoindre, en une quinzaine de jours, sa place de parking attitrée pour s'y reposer, avant de repartir pour la demi-heure de boulot du mois suivant. Le maître du pays n'est autre que le Grand Préfet, qui traite avec mépris tous ces pauvres gens qui passent leur vie au volant, et qui se targue d'éliminer 40 % de véhicule - et leurs occupants - par an, à coups de rayons laser, notamment ceux qui ont la malchance de se retrouver coincés au milieu d'un carrefour juste après le passage au rouge d'un feu de signalisation... Et le pouvoir n'est pas seulement violemment répressif du point de vue de la circulation, il est aussi totalitaire : ainsi, tout le monde doit écouter la même radio au même moment, sauf à être considéré comme de "mauvaise volonté" et rapidement éliminé au laser... Le règne de la voiture, sa place omniprésente, ses méfaits et les excès antidémocratiques qu'elle peut générer étaient - déjà ? - imaginés il y a une quarantaine d'années.

Parallèlisme

Alors je ne vais pas être méchant et faire un parallèle entre l'univers que nous promettent, sans le dire, certains "gilets jaunes", et l'avenir angoissant que dépeignait Jean Yanne il y a quelques décennies. N'empêche... Je ne parle pas de ceux qui galèrent avec leur véhicule pour aller au boulot parce qu'ils n'ont pas d'autre choix : ceux-là sont contraints par une histoire politique française qui a toujours privilégié la bagnole ; qui a "oublié" d'investir dans un maillage territorial de transports qui permettrait de limiter le recours au véhicule individuel ; qui a poussé les gens à être propriétaires de leur logement, provoquant ainsi un éloignement progressif des lieux de vie et de travail pour trouver du mètre carré moins cher... Je parle des gros beaufs qui ont des grosses voitures qui consomment beaucoup pour avoir l'impression d'être puissants eux-mêmes, et qui les utilisent pour parcourir les 300 mètres qui les séparent de la boulangerie du coin. Je parle des abrutis qui font partie des associations de défense des automobilistes, comme si conduire une voiture était un statut d'honneur à protéger. On pourra me traiter de bobo je m'en fous, n'empêche que cette catégorie est bien présente parmi les "gilets jaunes", et qu'elle nous mène tout droit vers l'univers stressant imaginé par Jean Yanne. Alors oui à la transition énergétique, écologique et sociale. Les hésitants ? Les incrédules ? Lisez "L'Apocalypse est pour demain", on en recause après.

L'Apocalypse est pour demain, ou les aventures de Robin Cruso. Par Jean Yanne. Ed. Jean-Claude Simoën. 1977.

samedi 17 novembre 2018

Zarbi dans le métro : A la chasse aux perles souterraines


Une femme bourrée qui chante Tata Yoyo, un acteur qui révise son Marivaux, un trio théâtral qui se sépare sans un mot, un maladroit qui drague une femme en talons hauts, des collégiennes qui écrivent un mot, une vieille et son fardeau, une femme qui veut photographier son homme parce qu’il est beau… Des transports amoureux, agacés, royaux. Des moments de grâce, des épisodes bizarres voire anormaux. Des bobos, des clodos, des intellos, des marginaux, des soûlots et des spéciaux... Du vécu, rien de faux, dans ces 28 épisodes insolites du métro…

Rien à ajouter à cette excellente présentation de l'éditeur, puisque c'est moi qui l'ai écrite. On n'est jamais si bien servi que par soit-même, n'est-ce pas ? Depuis plusieurs années je tenais un blog de choses vues dans le métro, et j'ai trouvé qu'en faire un recueil était une fichtre bonne idée. D'autant que ça peut donner l'idée d'en faire un tome 2 puis 3, etc. En tout cas, le temps que j'habite près de Paris et que je prends le métro.
Le métro, j'aime bien. Pas entassé dans la foule, certes. Mais même là, pour passer le temps, j'observe. Les détails, les énormités. Dans le métro, il se passe toujours quelque chose. Ouvrez les yeux, vous verrez, et vous ne vous ennuierez plus. Et dans ces petits événements de la vie quotidienne, il y a des perles. Ou des riens, qu'on peut transformer en perles. C'était un peu ça, mon ambition de "Zarbi dans le métro" : cueillir des perles.

Zarbi dans le métro, par Séverin Prené. Novembre 2018. 0,99 euro. Uniquement en ebook, disponible sur Amazon (format Kindle), Fnac (ePub) et Kobo (ePub).


jeudi 18 octobre 2018

Arto Paasilinna rejoint le fils du Dieu de l'orage


Les saunas sont glaciaux, la vodka a un drôle de goût, les lièvres des steppes finlandaises ont rejoint leurs terriers, la douce empoisonneuse a dû encore frapper sans s'en rendre compte, et les prisonniers du paradis l'ont accueilli, à coup sûr, les bras ouverts, en compagnie du fils du dieu de l'orage : Arto Paasilinna n'est plus. Du moins, son enveloppe charnelle. Le mot n'est pas trop fort car il était bien charnu. Bien charnu comme un type rempli de vie, d'humour, d'expérience. Comme un type modeste qui avait exercé mille métiers avant de se découvrir écrivain, devenu star planétaire de la littérature. L'antithèse de l'élitisme culturel porté par les cultureux vaniteux qui prétendent écrire des livres, qui ne seront lus que par des cultivés vaniteux. Lui, s'est mis à raconter des histoires délirantes avec des personnages aux noms imprononçables pour tout autre peuple que celui de Finlande, dans des contrées inconnues pour ceux qui n'ont jamais été plus au nord que Dunkerque, sur des thèmes aussi légers que la mort, la religion, la turpitude, la vanité et tout ce que peut commettre un humain normal, mais dans un univers qui dérape.
Il écrivait beaucoup, presque un livre par an, d'où parfois des baisses de régime, des histoires moins palpitantes, des intrigues un peu trop tordues (à ce sujet, le fameux Lièvre de Vatanen n'est pas, selon moi, le meilleur de ses romans). Mais se plonger dans ses livres c'est l'amusement garanti, le sourire assuré, le rire qui se fraye un chemin dans la gorge même quand il ne faut pas faire de bruit parce que ton conjoint dort à côté de toi pendant que tu lis. Seuls les professionnels de la correction orthographique doivent souffler, quand écrire son simple nom est déjà une torture (mais bordel il y a deux "a", mais c'est deux "s", deux "l" ou deux "n" ?!). Mais ils vont s'ennuyer un peu, je pense. Comme nous tous, j'en suis sûr.

Page Wiki sur Arto Paasilinna

  

jeudi 4 octobre 2018

Le Chat du Rabbin, tome 8 : Une "patée philo" bien épicée


Présentation éditeur Ils s'aiment. Lui est juif, elle est catholique. Ils vivent à Alger, et un jour, le Rabbin voit arriver cette jeune femme qui, pour mieux s'intégrer et faire plaisir à son futur époux, veut se convertir au judaïsme. La stupeur le dispute à l'incompréhension : pourquoi vouloir embrasser une foi si compliquée, si irrationnelle, si pénible ? Le Chat et Zlabya sont tous d'accord pour la dissuader, et vont trouver en Knidelette une alliée inattendue...


Il y a des chats normaux, c'est-à-dire mi-dingos, mi-adorables, mi-énervants et mi-attendrissants (je sais il y a trop de mi et alors ? mettez des fa si vous voulez), bref des "putains de chats" comme ceux qui sont décrits dans la dernière chronique de votre serviteur. Il y a aussi le chat fou de Gaston Lagaffe, le chat métaphysique de Geluck, sans oublier Garfield, Hercule (celui de Pif), Tom (celui de Jerry) ou bien sûr Félix (le seul, l'unique). Dans cette grande famille féline de la BD, le Chat du Rabbin tient une place particulière : c'est un chat miroir. Inutile de tenter de lui échapper : il vous renvoie toutes les vérités que vous ne voulez pas entendre sur vous-même, avec une hauteur de vue et une philosophie qui confirment que Michel Onfray est un philosophe de bas étage, niveau terminale, sans vouloir faire insulte aux lycéens. La comparaison est certes facile compte tenu de la pauvreté de réflexion du prétendu philosophe gaucho, mais n'empêche, sur le même sujet de prédilection que ce dernier - la religion - le Chat du Rabbin soulève des pensées bien plus puissantes et secouantes. La "patée philo" à laquelle il nous convie dans ce 8e tome en fait de nouveau la preuve.

"Ne pas penser à la mort"

Dans cette histoire, le rabbin, sollicité par le futur marié pour convertir sa fiancée catholique au judaïsme, refuse. Pas question de remuer Ciel et Terre pour des raisons de cohésion familiale, alors qu'embrasser une religion relève de convictions bien plus profondes. Ce refus va dérégler le parcours bien huilé - bien oint, pourrions-nous dire fort à propos - que le couple avait programmé. Ou plutôt, il va mettre en lumière ce qu'il fallait illuminer. La fiancée s'engage malgré tout dans un apprentissage rigoureux, voire rigoriste, des nombreux rituels de la religion juive. Le futur mari quant à lui tombe amoureux d'une autre femme, et ne sait plus où il en est. Au milieu, le Chat (du Rabbin) philosophe sur la religion : "Tous ces rituels qu'ils accomplissent en permanence, ça sert à ne pas penser... à la mort." "Le Dieu des juifs fait tout pour décourager tout le monde. C'est une méthode pour se désangoisser. Et à mon avis, elle est foireuse."

Mais il miaule aussi psychologie, en mettant le nez du mari dans son complexe d’œdipe. Alors que celui-ci retourne chez sa mère pour examiner sa conscience, et trancher entre rester avec sa promise officielle, ou partir avec son amourette-pour-le-moment-platonique, le Chat lui assène son analyse, plus douloureuse qu'un coup de griffe : monsieur ne veut pas choisir, car "il veut juste rester chez sa maman". En lançant sa fiancée sur la voie de la religion et surtout de ses rituels implacables, il a voulu tester sa capacité à être aussi vertueuse que maman. Avec le secret espoir qu'elle se plante, pour justifier l'arrêt de leur histoire. Pas de bol, la fiancée absorbe tout et y prend même plaisir... Et si monsieur, au fond, ne voulait pas se transformer en mari ni en papa ?
Ce Chat n'a pas de tabou : les excès religieux, les traditions patriarcales mais aussi matriarcales, il les pétrit avec ses petites pattes, les coussinets en avant pour éveiller la confiance, les griffes qui pointent pour faire mal mine de rien... et la langue bien pendue. Rappeuse, comme il se doit.
Le Chat du Rabbin, tome 8 - Petit panier aux amandes. Joann Sfar. Ed. Dargaud, coll. Poisson Pilote. 2018.

lundi 24 septembre 2018

Putain de chat : Se préparer au Grand Remplacement Félin


On ne lit pas ce genre de choses sans connaître soi-même, dans sa chair et son âme, les affres de vivre avec ce fameux félin plus ou moins domestique, dominateur sans le dire, j'ai nommé : le chat. Pour ma part, le cadeau que mon frère m'a fait, en riant sous cape (j'en suis sûr), de cette trilogie (qui vient de feuler vers son 4e tome que je n'ai pas encore lu), est consécutif à l'adoption d'un spécimen de cet animal par mézigue. J'ai pu constater en peu de temps que l'auteur de ces strips bédéesques est un fin connaisseur. Que dis-je, un observateur avisé. Sans doute même mériterait-il un titre universitaire en anthropologie, en éthologie, en zoologie, en sociologie. En philosophie, aussi. Et une Légion d'honneur, pour sa patience et son sacrifice.

Une jungle domestique

Ce que racontent ces fascicules richement documentés, transpirant la violence de la jungle domestique ? La vie quotidienne d'un humain normal, qui pourrait être vous ou moi, aux prises avec les facéties inquiétantes d'un chat. "Inquiétantes", car on peut lire ce que pense la bête. Et si ce qu'on lit est vrai, il faut se tenir prêt à une prise de pouvoir de cette espèce sur la nôtre. A côté, Walking Dead, c'est "E.T" de Spielberg. Qu'on le sache : le chat nous insulte en permanence, joue délibérément voire scientifiquement avec nos nerfs, se moque de nous et cherche à agresser nos testicules quand on en a. Son objectif ultime : la prise de pouvoir. Sa méthode : la guerrilla urbaine, à coups de crottes hors-litière, de griffes en plein jeu, de chutes délibérées de vases et de téléphones portables. Il est concentré sur une guerre lente, psychologique, de déstabilisation. Pour le contrer, dame nature nous a heureusement dotés de doigts de fée pour lui grattouiller le menton et le ventre, et de croquettes pour le soumettre à son point faible : l'estomac. C'est à peu près tout, ne cherchez pas.

Afin de se préparer au GRF (le Grand Remplacement Félin), il faut avoir lu ces trois tomes et s'apprêter à lire le quatrième (s'il est encore temps). Juste un détail qui me chiffonne, comme disait l'inspecteur Columbo (qui avait un chien) : comment il sait, l'auteur, ce que les chats se disent ? Comment connaît-il leur langage ? Et si lui-même était un chat mutant, nous préparant mentalement à une domination féline ? Nous devons savoir. Le monde doit savoir. Il en va de la survie de l'espèce humaine. 

Putain de chat, 4 tomes parus. Par Stéphane Lapuss'. 2016 à 2018. Ed. Monsieur Pop Corn. 
Page Facebook Putain de Chat -> ici

mardi 4 septembre 2018

Téléski qui croyait prendre : Un Poulpe aux petits tentacules


Résumé éditeur

Privé de son quotidien de prédilection, Gabriel Lecouvreur, dit le Poulpe, se retrouve à éplucher les faits divers d’un journal de province. Il s’entiche d’une affaire étrange qui va le mener dans la noirceur des secrets d’une des familles les plus puissantes de Courchevel. Un magnat du monde de la nuit laissé pour mort au beau milieu de son chalet de luxe et de vieilles connaissances de Gabriel accusées à tort, c’est le Poulpe au pays de l’or blanc.
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Lire une histoire policière du Poulpe c'est comme manger une pizza : quel que soit le restaurant, la base est la même, seuls les ingrédients peuvent être très différents. A tel point que son inventeur ouvre à n'importe quel écrivain la possibilité d'écrire une aventure du détective Gabriel Lecouvreur (le vrai nom du gastéropode susnommé, qui lui est accolé à cause de la taille de ses bras, selon la légende), à condition de respecter un cahier des charges, une "base", qui précise les personnages principaux, les habitudes du Poulpe à mettre en valeur - il ne boit que de la bière par exemple, pas de vin -, la structuration générale du livre, et l'obligation d'un jeu de mots dans le titre. Près de 300 histoires ont ainsi été publiées, écrites par des dizaines d'auteurs différents, dont des cadors comme Didier Daeninckx.

A vrai dire, je te dis ça parce que je me suis renseigné mais je n'avais jamais lu de "Poulpe". Pas de rejet, non, au contraire, la réputation anarchiste de ce personnage haut en couleurs m'attirait, mais bon, voilà, c'est la vie, il y a des tas de choses qu'on aimerait faire, parfois même qu'on peut faire facilement, mais ça ne se présente pas, c'est comme ça. Et paf, que vois-je en parcourant une plateforme d'ebooks au chapitre des gratuits ? Une histoire du Poulpe ! Affublé d'un hilarant jeu de mots en titre, dont j'apprendrai par la suite qu'il est le premier signe du cahier des charges. Une aventure policière chez les gros riches de Courchevel, voilà qui allait donner de quoi balancer de l'explosif - symbolique, car Gabriel Lecouvreur ne tue point - sur la haute bourgeoisie, dénoncer leur turpitude, leur égoïsme, leur hypocrisie... Qu'importe le meurtre, pourvu qu'on perturbe la messe !

Allons droit au but : les éléments de base sont certes respectés, la lecture est agréable, fluide, mais le Poulpe m'a paru bien mou du genoux. Ce qui, pour un mollusque gastéropode est un comble, tu le reconnaîtras bien volontiers. Je ne sais pas si ses frères jumeaux des autres romans sont plus virulents, mais celui-ci manque de personnalité, et m'a laissé sur ma faim. La fin m'a également laissé dessus (sur ma faim donc, suis un peu...), mais je ne veux pas en rajouter ni dévoiler le dénouement. L'explication de ce sentiment de goûter un plat insuffisamment relevé tient peut-être dans l'explication que l'auteur donne lui-même en post-face : cet épisode du Poulpe n'a pas été intégré dans la série historique du personnage. Une sorte de livre pirate, mais respectueux, indéniablement, des lois, us et coutumes édictés depuis l'origine. Alors pour un ebook gratuit, il ne faut pas se gêner, ça fait passer un bon moment. Comme une pizza à la sauce tomate, sans sauce piquante.

Pour aller plus loin

Le plus simple, c'est d'aller sur la page Wikipédia consacrée au Poulpe. On y trouve les règles d'écriture (si tu veux écrire toi aussi un épisode), tous les titres (donc pas celui qui fait l'objet de cette chronique), et même ce qu'il a inspiré dans d'autres arts : BD, films, musique.

Téléski qui croyait prendre, par Florian P. Dennisson. Ed. Chambre noire. 2016. A télécharger par exemple ici.

dimanche 12 août 2018

Mode de rue : Le téléphone pleure

On s'y était fait aux gens qui parlent tout seul dans la rue et qui paraissaient un peu fous, les premières fois qu'on en vit, jusqu'à ce qu'on comprenne qu'ils avaient une oreillette et qu'ils étaient, en fait, en pleine conversation téléphonique. On s'y était fait à tel point qu'on s'y était tous mis, à ce soliloque apparent, alors qu'on s'était jurés que non, jamais on n'adopterait cette allure bizarre du badaud qui semble parler à une voix dans sa tête.

Et puis voilà que depuis quelques temps débarque une nouvelle mode : parler à son interlocuteur téléphonique (jusque là tout va bien), avec le portable placé horizontalement à quelques centimètres de la bouche, sans oreillette et donc avec le haut parleur. Bah oui sinon vous n'entendriez pas ! Et nous non plus...

D'où une merveilleuse ambiance de rue où chacun peut profiter de l'engueulade entre mari et femme, des derniers potins au boulot de monsieur ou des dernières conquêtes de madame, ou l'inverse comme voulez je ne veux pas paraître sexiste. Mais une chose est sûre : on s'en fout. Vous vous rendez compte, adeptes de cette méthode, que vous êtes impudiques ? Car non, ce n'est pas comme parler à deux physiquement dans la rue. Au téléphone on se place dans une bulle.
Non seulement on s'en fout de vos affaires mais regardez-vous ! Les gamins qui s'amusent à faire une ligne téléphonique avec une ficelle et des boîtes de conserve ont la même gestuelle. Bref vous occupez l'espace publique sonore et visuel sans gêne. Sans vous rendre compte de votre forfait (téléphonique ! Ah ah !).

Complot libéralo-maçonnique
Mais la question principale reste entière : pourquoi ? Plusieurs hypothèses se dessinent. La première : vous avez peur des ondes qui se dégageraient du portable et viendrait pourrir les neurones qui vous restent. Dans une période totalement irrationnelle où les gens se mettent à avoir peur des vaccins - alors que ceux-ci ont sauvé des millions d'individus de la mort ou de maladies invalidantes - ou prétendent que ces mêmes injections feraient la honteuse richesse du grand capital pharmaceutique - alors que les entreprises en question y gagneront davantage avec une bonne vieille épidémie de rougeole -, dans ce contexte débile, la peur des ondes ne serait pas anachronique. Et qu'importe que les études prouvent qu'il faudrait se coller un portable 7 ou 8 heures par jour à l'oreille pour commencer à se dire que le holà s'impose : tout ça c'est de la manipulation scientiste, du complot libéralo-maçonnique ! 
Autre hypothèse : la gestuelle de porter son combiné à l'oreille fait partie de l'ancien monde. C'est ringard, vieillot, valable pour les quelques adeptes du téléphone gris à cadran rond... Et là on attend avec impatience la prochaine mode téléphonique qui viendra supplanter l'actuelle. 
Enfin dernière supposition, que j'évoquais plus haut : l'idée que "les autres ont s'en fout, ma bulle n'est pas étanche, et alors ?"
Ce qui est à craindre, c'est que cette mode soit le fruit amer de ces trois tendances : "Mon comportement est sain parce que j'y crois, révolutionnaire parce que c'est nouveau, et je vous emmerde", voilà le message.

Mais soyons optimistes : puisque vous tendez si généreusement le micro de votre portable vers les autres tout en parlant à votre compagnon de jeu téléphonique, c'est peut-être que vous cherchez à nous faire participer à vos échanges ? Alors promis, puisque votre objectif est la convivialité, peut-être même le débat public, la prochaine fois qu'on vous croise on s'introduira dans votre conversation. Ce sera révolutionnaire, vous ne serez pas déçus.

jeudi 12 juillet 2018

14-18 - Sur la terre comme au ciel : Vents de guerre, souffles de paix


Découvrez dans cet avant-dernier épisode l’apport décisif des États-Unis dans la résolution du conflit et accompagnez Pierre et Maurice, seuls rescapés parmi nos héros ordinaires, pour leur dernier assaut...
Le conflit ne perd pas en intensité mais l’arrivée massive du contingent américain donne un nouvel espoir. La musique et le mode de vie des Sammies réchauffent l’atmosphère de l’arrière-front et le renfort de leurs pilotes renforce le contrôle du ciel avant la bataille décisive. Mason, l’un d’entre eux, ne trouve son courage que dans la cocaïne. Mais ses réserves sont désormais épuisées…
(Présentation éditeur)

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C'est curieux comme cette guerre 14-18 n'intéresse pas des masses. Après un démarrage en fanfare en 2014, l'intérêt médiatique et politique s'est éteint très rapidement. Plus personne n'en parle, les émissions historiques qu'on peut encore glaner sur le petit écran sur des chaînes plus ou moins importantes parlent davantage de 39-45 que des affres des Poilus, alors qu'on est encore en plein dans le centenaire d'une boucherie sans nom. Mais il est vrai que cette boucherie est le fruit pourri d'une politique et d'un état-major bien de chez nous, même pas contraints par une force occupante, et que la mauvaise conscience de choix stupides et meurtriers semble traîner ses guêtres jusque dans l'inconscient de la France d'aujourd'hui. 

Bref, tout ça pour dire qu'heureusement, les projets lancés en 2014 pour se remémorer la violence extrême de cette guerre se poursuivent. C'est le cas de la série BD "14-18" (et voir mes chroniques sur les albums que j'ai lus liés à ce conflit), qui a sorti son avant-dernier album récemment pour parler de juillet 1918. Son titre, "Sur la terre comme au ciel", fait référence aux batailles aériennes, qui sont racontées au travers d'histoires individuelles, de "vrais" combattants qui transpirent la peur, les angoisses, pour leur vie, pour la crainte de ne plus revoir leurs amies, femmes, familles restées au village. Dans cet album on parle d'addiction à la cocaïne, consommée par un aviateur qui s'envoie en l'air dans tous les sens du terme, mais manipulé par un fournisseur sans scrupule ; de combattants heureux de voir arriver les Américains et de découvrir le blues ; de plan Foch ; de dessins presque poétiques de dirigeables qui naviguent dans les vents de la guerre... 
Au fil des albums de cette série, le sérieux des reconstitutions des scènes de guerre, l'émotion du point de vue des combattants et de leurs proches restés au village, l'évocation de faits historiques, mêlent magnifiquement - et douloureusement - le grand et le petit "H" d'une histoire pas si ancienne. 

"14-18", tome 9 "Sur la terre comme au ciel (juillet 1918)". par Corbeyran et Le Roux. Ed. Delcourt.

mardi 1 mai 2018

The Terror : Une série qui fait trembler... de froid


En 1847, le navire britannique HMS Terror est pris dans les glaces alors qu'il était à la recherche du passage du Nord-Ouest. Aux conditions de survie déjà difficiles viennent bientôt s'ajouter les attaques d'une mystérieuse créature...

Avec un titre pareil je m'attendais à frissonner de trouille devant cette série de dix épisodes. Au mieux j'ai eu quelques frissons de froid empathiques à l'égard de ces pauvres marins frigorifiés dans leurs bateaux coincés au milieu des glaces polaires. Les acteurs sont très bons. Heureusement, car le rythme est très lent et les décors sont limités : deux bateaux dans la banquise, puis, après une année bloqués dans les glaces, et suite à quelques jours de marche pour tenter d'en sortir, un désert de cailloux.

Il en faut du courage, pour affronter ce froid, ces nuits polaires de plusieurs mois, cette promiscuité, ce paysage monotone à faire passer le Plat Pays de Brel pour un parc d'attractions. Sans compter que la nourriture n'est pas terrible : des boîtes de conserve, dont on finit par apprendre que pour des raisons budgétaires elles ont été achetées à des marchands peu scrupuleux, qui les ont mal soudées et qui diffusent des taux de plombs à faire crever 60 millions de consommateurs (message pour Elise Lucet : du caaaalme, trop tard, ce scandale alimentaire c'était il y a longtemps). Et avec toutes ces conditions de travail déplorables capables de provoquer le burn out d'un CHSCT, le tout pendant plusieurs années, les marins ne se mutinent même pas. Ils sont braves et volontaires il est vrai, mais même Colomb n'aurait pas osé réussi à imposer ça (Christophe hein, l'aventurier aux nouveaux horizons, pas Gérard, le beauf aux nouveaux barbelés aux frontières).


On attend la bête

Mais surtout - surtout ! - il y a une sorte de bête bizarre, issue de la mythologie esquimaude, qui vient tuer les marins. Elle ressemble à un ours énorme avec une tête presque humaine, elle est très fâchée, très puissante, et elle mange les hommes qu'elle trouve sous sa patte. Elle doit avoir un lien, de ce qu'on peut comprendre, avec une esquimaude, accueillie par l'équipage alors qu'elle était en perdition sur la banquise. Coup de bol le capitaine de l'expédition parle sa langue, et apprécie la culture de ce peuple. Le médecin de bord l'aime bien, aussi, et il tombe amoureux d'elle. Un peu d'humanité fraternelle au milieu d'un tas de brutes à peine civilisés par la culture britannique - donc à peine.

Bref, cette grosse bête, c'est une vrai récréation, on ne fait que l'attendre, ça rompt la monotonie et la langueur de l'histoire. Vivement qu'elle vienne chercher à bouffer, se dit-on avec un peu de honte au fond de nous-même.

En attendant l'hiver se prolonge et les marins sont toujours coincés dans les glaces. Alors ils partent à pieds, et certains se mutinent. Les mutins sont des méchants qui pratiquent l'anthropophagie, et heureusement leur chef est bête et croit qu'il pourra amadouer la grosse bête en lui offrant un bout de sa propre langue qu'il découpe courageusement avec son couteau - il faut dire qu'il est un peu jeté, le mec. Mais comme le gros ours n'a aucun sens de la valeur héroïque du geste, il mange le bonhomme avec. Tu parles d'un balourd lui aussi, pour une divinité mythologique on a fait mieux.

Et tout cela nous amène à la fin de l'histoire, où, sans vouloir spoiler, entre les morts de froid, les intoxiqués du plomb, les anthropophagés et les digérés de la bête, il ne reste pas grand monde... Mais à vrai dire, on peut parier que du monde, il n'en reste pas non plus beaucoup devant l'écran...


The Terror, série d'une saison de 10 épisodes, créée par David Kajganich et Soo Hugh à partir du roman Terreur de Dan Simmons. Disponible sur Prime Video.

vendredi 16 février 2018

Dans l'Antre de la Pénitence : Hante ici, Winchester !


1905, San José en Californie. Suite à la perte de son mari et de sa fille, Sarah Winchester se lance dans la construction compulsive de la « Winchester House » : une demeure aussi étrange que démesurée. Un chantier perpétuellement troublé par les lubies de sa commanditaire, qui réveille ses domestiques en pleine nuit, ou ordonne à ses ouvriers de construire des portes et des escaliers ne menant nulle part. On la prétend folle, hantée par les esprits de ses proches disparus. Mais le jour où un étranger fait son apparition sur le pas de sa porte, les démons de Sarah pourraient bien devenir réels…
(Présentation éditeur)

Une BD de folies. La folie complète d'une femme, Sarah, une héritière de la famille Winchester, celle de la célèbre carabine, qui sombre dans le spiritisme après la mort de sa fille d'une maladie infantile, puis de son mari d'une tuberculose. Les esprits sont clairs : elle doit bâtir une maison pour y accueillir les âmes de toutes les victimes de l'arme créée par le père de son mari. 
La folie d'une maison hantée, de fait. Et que Sarah va mettre en chantier pendant 38 ans, embauchant à tours de bras des ouvriers pour qu'ils travaillent jours et nuits, sur les ordres architecturaux des esprits qu'elle convoque chaque jour dans une petite pièce nue qu'elle est seule à pouvoir pénétrer. Dans sa chambre, sur le lit, elle a disposé les habits de son mari et de sa fille, et leur parle. 
La folie d'une architecture qui la conduira à faire monter des escaliers qui aboutissent au plafond, ou des portes qui s'ouvrent sur le vide. 
La folie d'une histoire vraie - la "Maison Winchester" existe, en Californie - romancée dans cette BD par la relation qu'elle noue avec un ouvrier récemment recruté, qui lui-même porte de lourdes charges sur les épaules qui ne sont pas seulement des planches ou des pierres, mais un vécu qui fait miroir aux affres de Sarah. 
La folie, enfin, d'un dessin violent, éclaboussé de sang sur presque toutes les pages, envahi par le son des marteaux qui tapent en permanence, qui plonge le lecteur dans un malaise n'effleurant sans doute qu'à peine ce que ressent cette femme habitée par tant de fantômes
L'oeuvre est magistrale, envoûtante, sombre, tortueuse, à l'image de la Maison Winchester, à l'image de l'esprit torturé de Sarah. 

Une rare page plutôt calme

Dans l'Antre de la Pénitence, de Peter J. Tomasi, Ian Bertram et Dave Stewart. Ed. Glénat, 2017.

samedi 3 février 2018

Le Marchand de Sable : Un thriller contre le sommeil


Un jeune homme est retrouvé errant dans la nuit glaciale de Stockholm. En état de choc, il tient des propos décousus au sujet du Marchand de sable. La police découvre qu’il s’agit d’un garçon disparu treize ans plus tôt avec sa soeur. À l’époque, l’enquête avait conclu qu’ils faisaient probablement partie des dernières victimes de Jurek Walter, un tueur en série arrêté par Joona Linna. Mais le psychopathe purge sa peine depuis plus de dix ans en unité spécialisée, dans un bunker souterrain. Où était le garçon séquestré depuis tout ce temps ? Joona sait que l’homme est particulièrement manipulateur et qu’il a plus d’un tour dans son sac. L’heure du face-à-face avec celui qui l’a obligé à abandonner sa famille approche.
Après Incurables, Lars Kepler est de retour avec un thriller magistral. Intrigue au cordeau, rythme implacable, ambiance crépusculaire, tout y est. Le Marchand de sable va passer. Bonne nuit les petits… (présentation éditeur)


Je n'aurais pas aimé être le gamin des auteurs de ce srileure. Je dis "des" auteurs et j'évoque leur descendance, car selon la "4e de couv", un "couple dans la vie" se cacherait derrière le pseudonyme romantique et néanmoins superbement nordique de Lars Kepler. Non vraiment, chère et cher Alexandra et Alexander Ahndoril (leurs vrais patronymes, c'est pas mignon ?), vous avez l'esprit tordu, et je n'aurais pas voulu, si vous aviez été mes parents, que vous me racontiez des histoires le soir avant de me coucher. Ou alors des choses très cadrées, genre Petit Ours Brun ou Tchoupie, mais avec l'obligation de ne pas dévier d'une virgule dans la narration.
Parce que pondre un srilère (je l'écris comme je veux) aussi flippant que Le Marchand de Sable, avec un titre qui fait rêver les mômes depuis des générations depuis Nounours (que j'ai connu en noir et blanc, que voulez-vous on n'est pas quinqua pour rien), faut être vicieux. Ou pervers. Ou vilain. Parvenir à tenir en haleine et en tachycardie le lecteur pendant 560 pages, avec des rebondissements ou des suspens insoutenables toutes les trois pages, en allant droit au but et en buttant droit, bravo. 

Enterrés vivants

Tous les ingrédients y sont, il est vrai : des gamins qui souffrent, des parents qui se suicident à ne plus voir l'être aimé, des gens enterrés vivants mais maintenus en vie, des courses contre la montre, des psychopathes je ne vous dis que ça, des personnages tous tordus ou névrosés à bloc, même ceux à qui on vendrait a priori le Bon Dieu sans confession et qui ont, en fait, leur part d'ombre, de fragilités, de faiblesses inquiétantes, autant de points faibles qui profiteront à coup sûr à l'assassin principal de cette oeuvre... Et ça tue à tours de bras, à tours de branques, ça fait souffrir, ça rebondit du genre qu'on se dit "ah non c'est pas vrai mais ces auteurs sont vraiment sadiques !". Avec derrière, en psychopathe principal, un cerveau complètement dérangé mais d'une analyse et d'une technicité implacable pour manipuler les personnages "gentils" (pour aller vite : les flics) mais aussi et surtout les lecteurs. En fait, il n'y a pas que le personnage vilain-méchant qui devrait se retrouver enfermé dans un bloc psychiatrique. Les auteurs du thriller (ça y est j'ai trouvé la bonne orthographe), Monsieur et Madame Kepler/Ahndoril, feraient bien d'y faire un tour.

Mais en même temps, non. Leur internement nous priverait de leurs romans génialement sordides pleins de souffrances, de stress et de sang. Ce serait dommage.
Vous voilà prévenus, le Marchand de Sable n'est pas un conte pour enfants. C'est une horreur pour adultes. 
Je vous laisse, j'ai mes cachets à prendre.

La page 77



Le Marchand de Sable, de Lars Kepler. Ed. Actes Sud, coll. Babel Noir. 2014.

jeudi 25 janvier 2018

La Vie secrète des Arbres : Des troncs pas communs


L'école nous a tous appris que les arbres sont des êtres vivants. Cela n'a pas empêché des générations de gamins de graver des cœurs "Toto aime Lulu" sur leurs troncs. Alors qu'on leur a dit : attention, ils sont vivants ! Et si eux ils vous scarifiaient, bandes de petits cons ? Sauf que ça ne se débat pas, un arbre, contrairement à un gamin à qui en couperait des bouts de peau. Et pourtant, ces gros bouts de bois verticaux, c'est vraiment vivant, et la lecture de "La Vie secrète des Arbres" permet d'en prendre pleinement conscience, bien plus et bien mieux que la sainte parole des instits quand on était petits.

L'auteur, un "forestier" allemand qui a passé plus de vingt ans parmi les arbres, raconte à merveille et avec force exemples et anecdotes, tout ce qui se passe dans une forêt. Comment les arbres-mères protègent leurs arbrisseaux en leur évitant de prendre trop le soleil pour qu'ils grandissent lentement mais avec force. En quoi les racines servent à absorber les nutriments du sol pour nourrir "leur" tronc, mais aussi à en redistribuer à des congénères qui seraient en difficulté, abîmés, malades. Quel rôle jouent les champignons, dans le sol, dont les kilomètres de filaments permettent de relayer des informations d'un arbre à l'autre, tel un réseau internet, pour s'alerter, communiquer entre eux. Ce qu'apportent les arbres aux autres vivants de la forêt : du logement social pour certains oiseaux, pour les champignons, pour les insectes ; de la nourriture pour les pucerons qui pompent dans les vaisseaux des feuilles les protéines qu'ils y trouvent, pour excréter sous forme liquide les sucres dont ils n'ont pas besoin et qui vont fatalement saloper le pare-brise de votre voiture, juste en dessous. Si, je vous ai vu, et vous êtes mal garés. Au mieux ces sucs collants seront récupérés par des abeilles mellifères, qui en feront un miel sombre au goût prononcé : vous êtes prévenus, les miels d'arbres, c'est de l'urine de pucerons. Bon app'.

Abattez le Grand Capital ! 

Le livre raconte aussi comment les jeunes cervidés frottent leurs bois sur des arbustes pour faire tomber leur velours, et comme par hasard, ils choisissent des espèces rares, qu'ils font souffrir et mourir. La nature est cruelle. Et pas seulement à cause des animaux à sang chaud. Les arbres entre eux peuvent être solidaires, mais surtout au sein de leur propre espèce. Avec les autres, c'est moins vrai. Ainsi les hêtres, avec les épicéas et les pins, captent 97 % de la lumière quand ils sont présents dans une forêt. Les autres se développeront plus lentement. Le Grand Capital n'a rien à leur envier, mais au moins ils ne perdent pas de temps avec des politiques qui prétendent qu'il suffirait de l'abattre (dans tous les sens du terme) pour rétablir de l'équité.

A quand des docus TV forestiers ?

Alors bien sûr, la forêt est un lieu de combat, mais avouons-le : ce n'est pas frappant. L'arbre est très lent, cela n'aura échappé à personne. C'est son principal défaut. Mais ce livre fourmille de détails racontés à vitesse humaine. On a hâte de regarder à la télé des documentaires forestiers comme on regarde des documentaires animaliers : "Regardez, ce hêtre pousse violemment l'arbrisseau de chêne qui peine à se tenir sur ses racines. L'instant est grave. Le jeune chêne va-t-il résister ? Soudain un chevreuil vient faire ses dents sur lui, il lui arrache un bout d'écorce, le chêne hurle, sous le regard narquois du hêtre. Pourtant, ce dernier n'a pas vu que pendant ce temps, un pic vient de se poser sur une de ses branches. L'instant est grave. La nature retient son souffle. Le pic lance un coup de bec dans l'écorce du hêtre. Il troue, il creuse, puis laisse la place aux champignons qui accourent pour se poster dans la cavité formée. Le pic reviendra plus tard, quand ses amis champignons auront pourri le chair du hêtre et que celle-ci sera plus tendre à trouer encore... Le hêtre appelle à l'aide, lâche des secousses électriques par ses racines, projette des substances de détresse dans l'atmosphère... Il ne peut rien faire. Dans quelques dizaines d'années seulement, il sera mort."

Blague à part, ce livre est rempli d'infos surprenantes. Tellement qu'il faut parfois juste se laisser porter, picorer ici ou là des infos, un peu comme on se balade en forêt tranquillement, sans but précis, à ramasser des feuilles mortes ou s'arrêter devant un beau paysage. Une activité délassante, et on sait maintenant pourquoi : au-delà de la tranquillité d'une forêt, qui fait du bien à nos humeurs, il semble que des substances quasiment imperceptibles pour l'humain soient lâchées par les arbres, qui agissent positivement sur notre tension, notre capacité pulmonaire ou la souplesse de nos artères. Alors lisez ce livre, vous ne fréquenterez plus les arbres comme avant.

La page 77



La Vie secrète des Arbres, de Peter Wohlleben. Les Arènes éditions. 2017.