vendredi 16 février 2018

Dans l'Antre de la Pénitence : Hante ici, Winchester !


1905, San José en Californie. Suite à la perte de son mari et de sa fille, Sarah Winchester se lance dans la construction compulsive de la « Winchester House » : une demeure aussi étrange que démesurée. Un chantier perpétuellement troublé par les lubies de sa commanditaire, qui réveille ses domestiques en pleine nuit, ou ordonne à ses ouvriers de construire des portes et des escaliers ne menant nulle part. On la prétend folle, hantée par les esprits de ses proches disparus. Mais le jour où un étranger fait son apparition sur le pas de sa porte, les démons de Sarah pourraient bien devenir réels…
(Présentation éditeur)

Une BD de folies. La folie complète d'une femme, Sarah, une héritière de la famille Winchester, celle de la célèbre carabine, qui sombre dans le spiritisme après la mort de sa fille d'une maladie infantile, puis de son mari d'une tuberculose. Les esprits sont clairs : elle doit bâtir une maison pour y accueillir les âmes de toutes les victimes de l'arme créée par le père de son mari. 
La folie d'une maison hantée, de fait. Et que Sarah va mettre en chantier pendant 38 ans, embauchant à tours de bras des ouvriers pour qu'ils travaillent jours et nuits, sur les ordres architecturaux des esprits qu'elle convoque chaque jour dans une petite pièce nue qu'elle est seule à pouvoir pénétrer. Dans sa chambre, sur le lit, elle a disposé les habits de son mari et de sa fille, et leur parle. 
La folie d'une architecture qui la conduira à faire monter des escaliers qui aboutissent au plafond, ou des portes qui s'ouvrent sur le vide. 
La folie d'une histoire vraie - la "Maison Winchester" existe, en Californie - romancée dans cette BD par la relation qu'elle noue avec un ouvrier récemment recruté, qui lui-même porte de lourdes charges sur les épaules qui ne sont pas seulement des planches ou des pierres, mais un vécu qui fait miroir aux affres de Sarah. 
La folie, enfin, d'un dessin violent, éclaboussé de sang sur presque toutes les pages, envahi par le son des marteaux qui tapent en permanence, qui plonge le lecteur dans un malaise n'effleurant sans doute qu'à peine ce que ressent cette femme habitée par tant de fantômes
L'oeuvre est magistrale, envoûtante, sombre, tortueuse, à l'image de la Maison Winchester, à l'image de l'esprit torturé de Sarah. 

Une rare page plutôt calme

Dans l'Antre de la Pénitence, de Peter J. Tomasi, Ian Bertram et Dave Stewart. Ed. Glénat, 2017.

samedi 3 février 2018

Le Marchand de Sable : Un thriller contre le sommeil


Un jeune homme est retrouvé errant dans la nuit glaciale de Stockholm. En état de choc, il tient des propos décousus au sujet du Marchand de sable. La police découvre qu’il s’agit d’un garçon disparu treize ans plus tôt avec sa soeur. À l’époque, l’enquête avait conclu qu’ils faisaient probablement partie des dernières victimes de Jurek Walter, un tueur en série arrêté par Joona Linna. Mais le psychopathe purge sa peine depuis plus de dix ans en unité spécialisée, dans un bunker souterrain. Où était le garçon séquestré depuis tout ce temps ? Joona sait que l’homme est particulièrement manipulateur et qu’il a plus d’un tour dans son sac. L’heure du face-à-face avec celui qui l’a obligé à abandonner sa famille approche.
Après Incurables, Lars Kepler est de retour avec un thriller magistral. Intrigue au cordeau, rythme implacable, ambiance crépusculaire, tout y est. Le Marchand de sable va passer. Bonne nuit les petits… (présentation éditeur)


Je n'aurais pas aimé être le gamin des auteurs de ce srileure. Je dis "des" auteurs et j'évoque leur descendance, car selon la "4e de couv", un "couple dans la vie" se cacherait derrière le pseudonyme romantique et néanmoins superbement nordique de Lars Kepler. Non vraiment, chère et cher Alexandra et Alexander Ahndoril (leurs vrais patronymes, c'est pas mignon ?), vous avez l'esprit tordu, et je n'aurais pas voulu, si vous aviez été mes parents, que vous me racontiez des histoires le soir avant de me coucher. Ou alors des choses très cadrées, genre Petit Ours Brun ou Tchoupie, mais avec l'obligation de ne pas dévier d'une virgule dans la narration.
Parce que pondre un srilère (je l'écris comme je veux) aussi flippant que Le Marchand de Sable, avec un titre qui fait rêver les mômes depuis des générations depuis Nounours (que j'ai connu en noir et blanc, que voulez-vous on n'est pas quinqua pour rien), faut être vicieux. Ou pervers. Ou vilain. Parvenir à tenir en haleine et en tachycardie le lecteur pendant 560 pages, avec des rebondissements ou des suspens insoutenables toutes les trois pages, en allant droit au but et en buttant droit, bravo. 

Enterrés vivants

Tous les ingrédients y sont, il est vrai : des gamins qui souffrent, des parents qui se suicident à ne plus voir l'être aimé, des gens enterrés vivants mais maintenus en vie, des courses contre la montre, des psychopathes je ne vous dis que ça, des personnages tous tordus ou névrosés à bloc, même ceux à qui on vendrait a priori le Bon Dieu sans confession et qui ont, en fait, leur part d'ombre, de fragilités, de faiblesses inquiétantes, autant de points faibles qui profiteront à coup sûr à l'assassin principal de cette oeuvre... Et ça tue à tours de bras, à tours de branques, ça fait souffrir, ça rebondit du genre qu'on se dit "ah non c'est pas vrai mais ces auteurs sont vraiment sadiques !". Avec derrière, en psychopathe principal, un cerveau complètement dérangé mais d'une analyse et d'une technicité implacable pour manipuler les personnages "gentils" (pour aller vite : les flics) mais aussi et surtout les lecteurs. En fait, il n'y a pas que le personnage vilain-méchant qui devrait se retrouver enfermé dans un bloc psychiatrique. Les auteurs du thriller (ça y est j'ai trouvé la bonne orthographe), Monsieur et Madame Kepler/Ahndoril, feraient bien d'y faire un tour.

Mais en même temps, non. Leur internement nous priverait de leurs romans génialement sordides pleins de souffrances, de stress et de sang. Ce serait dommage.
Vous voilà prévenus, le Marchand de Sable n'est pas un conte pour enfants. C'est une horreur pour adultes. 
Je vous laisse, j'ai mes cachets à prendre.

La page 77



Le Marchand de Sable, de Lars Kepler. Ed. Actes Sud, coll. Babel Noir. 2014.