dimanche 12 août 2018

Mode de rue : Le téléphone pleure

On s'y était fait aux gens qui parlent tout seul dans la rue et qui paraissaient un peu fous, les premières fois qu'on en vit, jusqu'à ce qu'on comprenne qu'ils avaient une oreillette et qu'ils étaient, en fait, en pleine conversation téléphonique. On s'y était fait à tel point qu'on s'y était tous mis, à ce soliloque apparent, alors qu'on s'était jurés que non, jamais on n'adopterait cette allure bizarre du badaud qui semble parler à une voix dans sa tête.

Et puis voilà que depuis quelques temps débarque une nouvelle mode : parler à son interlocuteur téléphonique (jusque là tout va bien), avec le portable placé horizontalement à quelques centimètres de la bouche, sans oreillette et donc avec le haut parleur. Bah oui sinon vous n'entendriez pas ! Et nous non plus...

D'où une merveilleuse ambiance de rue où chacun peut profiter de l'engueulade entre mari et femme, des derniers potins au boulot de monsieur ou des dernières conquêtes de madame, ou l'inverse comme voulez je ne veux pas paraître sexiste. Mais une chose est sûre : on s'en fout. Vous vous rendez compte, adeptes de cette méthode, que vous êtes impudiques ? Car non, ce n'est pas comme parler à deux physiquement dans la rue. Au téléphone on se place dans une bulle.
Non seulement on s'en fout de vos affaires mais regardez-vous ! Les gamins qui s'amusent à faire une ligne téléphonique avec une ficelle et des boîtes de conserve ont la même gestuelle. Bref vous occupez l'espace publique sonore et visuel sans gêne. Sans vous rendre compte de votre forfait (téléphonique ! Ah ah !).

Complot libéralo-maçonnique
Mais la question principale reste entière : pourquoi ? Plusieurs hypothèses se dessinent. La première : vous avez peur des ondes qui se dégageraient du portable et viendrait pourrir les neurones qui vous restent. Dans une période totalement irrationnelle où les gens se mettent à avoir peur des vaccins - alors que ceux-ci ont sauvé des millions d'individus de la mort ou de maladies invalidantes - ou prétendent que ces mêmes injections feraient la honteuse richesse du grand capital pharmaceutique - alors que les entreprises en question y gagneront davantage avec une bonne vieille épidémie de rougeole -, dans ce contexte débile, la peur des ondes ne serait pas anachronique. Et qu'importe que les études prouvent qu'il faudrait se coller un portable 7 ou 8 heures par jour à l'oreille pour commencer à se dire que le holà s'impose : tout ça c'est de la manipulation scientiste, du complot libéralo-maçonnique ! 
Autre hypothèse : la gestuelle de porter son combiné à l'oreille fait partie de l'ancien monde. C'est ringard, vieillot, valable pour les quelques adeptes du téléphone gris à cadran rond... Et là on attend avec impatience la prochaine mode téléphonique qui viendra supplanter l'actuelle. 
Enfin dernière supposition, que j'évoquais plus haut : l'idée que "les autres ont s'en fout, ma bulle n'est pas étanche, et alors ?"
Ce qui est à craindre, c'est que cette mode soit le fruit amer de ces trois tendances : "Mon comportement est sain parce que j'y crois, révolutionnaire parce que c'est nouveau, et je vous emmerde", voilà le message.

Mais soyons optimistes : puisque vous tendez si généreusement le micro de votre portable vers les autres tout en parlant à votre compagnon de jeu téléphonique, c'est peut-être que vous cherchez à nous faire participer à vos échanges ? Alors promis, puisque votre objectif est la convivialité, peut-être même le débat public, la prochaine fois qu'on vous croise on s'introduira dans votre conversation. Ce sera révolutionnaire, vous ne serez pas déçus.