mardi 14 mai 2019

La plus précieuse des marchandises : Il était une Shoah



Il était une fois, dans un grand bois, une pauvre bûcheronne et un pauvre bûcheron.
Non non non non, rassurez-vous, ce n’est pas Le Petit Poucet ! Pas du tout. Moi-même, tout comme vous, je déteste cette histoire ridicule. Où et quand a-t-on vu des parents abandonner leurs enfants faute de pouvoir les nourrir ? Allons...
Dans ce grand bois donc, régnaient grande faim et grand froid. Surtout en hiver. En été une chaleur accablante s’abattait sur ce bois et chassait le grand froid. La faim, elle, par contre, était constante, surtout en ces temps où sévissait, autour de ce bois, la guerre mondiale.
La guerre mondiale, oui oui oui oui oui.

(Présentation de l'auteur)


Tout a commencé par ce tweet d'Antoine de Caunes :

Je clique sur le lien Instagram mentionné, je tombe sur la couverture du livre de Jean-Claude Grumberg. Un conte ? Pourquoi pas. Si le grand De Caunes le dit, il faut le lire. Et j'ai lu.
Et là, comme on dit généralement quand on ne sait plus comment dire qu'on a été secoué et qu'il est plus facile de ressortir de vieilles expressions usées jusqu'au squelette de la langue (si, si) : "C'est la claque".

D'abord c'est vraiment un conte. Raconté comme un conte. Je pourrais le raconter à ma fille de 5 ans qu'elle l'écouterait attentivement. Mais sans doute pas avec des étoiles dans les yeux ni de doux rêves à suivre. "La plus précieuse des marchandises" est un bébé, jeté d'un train par son père pour le sauver d'une destination mortelle. C'est la guerre, le train est parti de Drancy, il roule vers un camp de concentration. C'est une histoire monstrueuse. Le bébé est récupéré par une vieille femme - la "pauvre bûcheronne" -, qui vit seule avec son homme - le "pauvre bûcheron" -, et qui rêvait d'avoir un enfant. C'est un conte merveilleux. Elle va le sauver, l'aimer, même s'il vient sans doute de la "race maudite". Son bonhomme de mari, au début rétif, finira par craquer de tendresse à son tour.

"Rien n'est vrai"

Comment ?! Un conte merveilleux, tiré d'un contexte aussi abominable que l'extermination des Juifs ?! Là est la claque, le pied-de-nez que Jean-Claude Grumberg fait aux abrutis négationnistes qui revisitent l'histoire. A la violence du contraste l'auteur va ajouter la percussion de l'ironie, en contestant, en épilogue, la véracité du conte qu'il a "imaginé" : "Rien n'est vrai, il n'y eut pas de trains de marchandises traversant les continent en guerre afin de livrer leurs marchandises ô combien périssables. Ni de camps de regroupement, d'internement d'urgence de concentration, ou même d'extermination."
Les contes pour enfants sont rarement de longs fleuves tranquilles. Lisez le Petit Chaperon Rouge, Barbe Bleue ou Cendrillon (pas les soupes guimauve à la Disney : les vrais contes originaux). Ils sont d'une grande violence mais répondent à des préoccupations psychiques que l'enfant rencontre dans son développement. Ces contes les aident à grandir.
Grumberg a écrit un conte violent. Qu'il circule sous tous les yeux, dans toutes les têtes : lui aussi, à l'échelle des adultes et de l'histoire, aide à grandir.

La plus précieuse des marchandises, par Jean-Claude Grumberg. Ed. Seuil. 2019.