mardi 23 février 2016

Birdman : Ouvrez ouvrez la cage (thoracique) aux oiseaux


Récemment promu au Service régional des enquêtes sensibles, l'inspecteur Jack Caffery ne pensait pas connaître l'épreuve du feu aussi vite et de manière aussi brutale. À Greenwich, non loin du tout récent Dôme du Millénaire, cinq cadavres de femmes sont découverts dans un terrain vague. Cinq corps qui portent différentes marques de mutilations mais qui ont pourtant tous un point commun : la cage thoracique a été ouverte, puis recousue. À l'intérieur, un oiseau, emprisonné vivant dans la chair des victimes. Pour Caffery, cette affaire tombe à un très mauvais moment. Outre l'hostilité larvée de certains de ses collègues qui ne pensent qu'à lui mettre des bâtons dans les roues, sa liaison avec sa compagne, Veronica, est dans l'impasse. Enfin la tension entre Caffery et son plus proche voisin, pédophile reconnu en qui l'inspecteur voit le kidnappeur (et l'assassin) de son propre frère, disparu des années plus tôt, touche à son paroxysme. Mais il n'y a pas de bon moment pour ce genre d'enquête. Caffery sait qu'il est en présence " du cauchemar de tout policier, un tueur en série, un type trop malade pour s'arrêter ". Car Birdman est cinglé, au-delà de toute imagination..


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Ah oui pour ça il est cinglé. On est bien loin des meurtres à la Agatha Christie, accomplis avec une certaine forme de fair-play bien british finalement hein ? Et leur Hercule Poirot qui va fermement mais surtout très poliment procéder à une enquête qui mettra en cause un lord ou un truc comme ça. Non, là, dans ce polar - le premier d'une série avec l'inspecteur Caffery, un gars normal qui a des problèmes de couple normaux et des vraies névroses que personne ne pourrait lui reprocher - on a du lourd : des meurtres (mais jusque là c'est normal, c'est un polar), du découpage de corps, du viol, de la drogue, et les pires perversions morbides dont je ne dirai rien pour ne pas gâcher le suspens pour le futur lecteur. C'est souvent gerbant, parfois gênant, mais ça prend aux tripes (j'ai un peu hésité sur cette expression) et il faut avoir vraiment sommeil pour lâcher le livre avant la fin. Parce que toutes les trois pages, il y a un truc. 

L'histoire de l'oiseau emprisonné dans le thorax des victimes, par exemple (j'en parle parce que c'est dans le résumé qu'on peut lire ci-dessus), il fallait y penser. L'explication est assez rationnelle finalement. En tout cas elle a du sens, pour l'agresseur. Et ça n'a rien à voir avec quelqu'un qui aurait voulu se venger d'avoir trop écouté un 45-tours de Pierre Perret quand il était jeune et pourtant on le comprendrait (vous voyez ce que je veux dire : "Ouvrez, ouvrez la cage thoracique aux oiseaux !" Pardon c'était plus fort que moi). 

N'empêche, l'Humanité peut se sentir heureuse que des idées aussi tordues aient germé dans la tête d'une romancière à tendance psychopathe, plutôt que dans celle d'un psychopathe à tendance meurtrière. 

La page 77



Birdman, de Mo Hayder. Pocket. 2001.

mercredi 17 février 2016

Trapped : Une enquête dans le blizzard avec un tronc et des louches


A Siglufjörour, un village du nord de l'Islande, un cadavre mutilé est retrouvé dans le port local, juste après l'arrivée d'un ferry international en provenance du Danemark. Andri, le chef de la police de la ville, commence l'enquête sur ce crime très violent en attendant les renforts de Reykjavik. Mais le blizzard se lève et le village se retrouve coupé du monde. Les habitants et les passagers du ferry sont à la fois suspects et livrés à un mystérieux assassin...

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Qu'un tronc humain repêché dans une rade provoque l'émoi de la police locale, on peut comprendre. On serait ému à moins que ça. L'autre jour je me suis retourné un ongle, eh bien l'émotion m'a étreint. Enfin j'ai surtout gueulé parce que c'est très désagréable.
Bref, un tronc humain. Sans bras, sans jambe et sans tête. Le tronc dans toute sa splendeur, quoi. Quoique "splendeur" n'est guère adapté, car c'est très laid en fait. Mais je m'éloigne.

Que cet événement se produise à Siglufjörour, et là on a peur de moins bien comprendre. Il faut dire que c'est ici en Islande, pays des accents bizarres sur les lettres. Mais aussi, il faut bien le dire, pays où il fait froid, d'où une difficulté supplémentaire, quand on a les lèvres gercées et les mouvements labiaux ralentis par le froid, pour prononcer les prénoms des personnages de l'histoire.

Trapped - car c'est de cette série qu'il s'agit - est une histoire bien mystérieuse, et au début bien peu compréhensible, mais dont l'ambiance pousse à se laisser glisser avec une inquiétude délectable dans les méandres de l'enquête du chef de la police locale et de ses adjoints, dans le quasi-huis clos du village nommé plus haut et que je me refuse à répéter. Et pour ajouter à la bizarrerie de la situation, le site est à cet instant coupé du monde par un blizzard qui empêche les autorités policières de Reykjavik (la capitale de l'Islande, pour les non-initiés) de prêter main-forte à leurs collègues du village-que-je-ne-nommerai-plus.


C'est pas net

Les personnages eux-mêmes ne nous aident pas à retrouver les codes traditionnels et rassurant des bons vieux polars d'antan : ils sont moches (1), et semblent tous cacher quelque chose. Un peu comme dans Broadchurch, autre série addictive. Ce capitaine de paquebot, immobilisé dans le port par la police, est manifestement louche. Le mari de l'adjointe du chef de police n'est pas clair, avec ses habitudes de fumette. Les réfugiées qui ont échappé à l'emprise d'un malfrat sorti du paquebot, hébergées chez la même adjointe du chef de police, même elles, ne semblent pas tout à fait nettes... Ce jeune qui a perdu sa compagne dans un incendie, en ouverture de la série, qu'y a-t-il derrière son regard fuyant ? Le maire et sa femme sont aussi des êtres bizarres aux pratiques sado-maso inquiétantes. Quant à cet habitant du village qui surveille tout le monde avec une longue-vue, il détient à coup sûr bien des secrets...

En un mot, cette série est très bien faite. C'est bien simple, à la regarder, je me sens comme un tronc dans une rade islandaise : les bras m'en tombent, mes jambes sont en coton, et je ne sais plus où donner de la tête.
Ah ah ! J'exagère un peu, c'est juste pour faire une pirouette avec le début de cette chronique.
Mais sérieux, c'est à suivre.

Trapped, série télévisée sur France 2 les lundis soirs. Créée par Baltasar Kormakur.


(1) Si par un hasard extraordinaire un des acteurs me lit : c'est pour de rire, c'est pour en rajouter une louche dans mon texte. Vous êtes très beaux. Mais reconnaissez que vous êtes loin de James Bond, tout de même. 


mercredi 3 février 2016

Les Mauvaises gens : Le militantisme qui libère ici et maintenant


Étienne Davodeau vient d'une région catholique et ouvrière, les Mauges. Ses propres parents sont un parfait exemple de gens, dont l'éducation s'est forgée entre l'église et l'usine, mus très vite par la volonté d'agir. Leur parcours et leurs aspirations sont ceux d'une France à la recherche de justice et de progrès social, de l'après-guerre à l'élection de Mitterrand

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La BD date de 2005 mais ses enseignements peuvent marquer toutes les époques. En racontant simplement l'histoire de ses parents, Etienne Davodeau a produit un argument massue et durable contre les réflexes antisyndicaux caricaturaux, contre la méfiance trop souvent exprimé face à l'action collective, et pour la diffusion des bienfaits de l'éducation populaire. De nos jours où certains discours remettent en cause l'utilité du syndicalisme, cette BD rappelle qu'il a vocation, très concrètement, à changer la vie quotidienne des salariés, des gens en général, et donc au final la société, ici et maintenant. Pas dans 50 ou 100 ans, comme veulent nous le chanter certains syndicats et mouvements politiques extrémistes, qui nous promettent un monde meilleur en un horizon lointain, justifiant de ne rien construire aujourd'hui, pour ne pas gâcher cette vision si belle d'un horizon si beau qu'on admire chaque grand soir avant d'aller se coucher...

Elle nous rappelle aussi que l'engagement - à la JOC ou à la CFDT, comme les "héros" de cette histoire - permet d'apprendre, de s'éduquer, de mieux comprendre le monde dans lequel on vit. Alors que tant de mouvements, des plus manifestement obscurantistes aux plus apparemment démocratiques, préfèrent que l'ignorance s'impose. Individuellement, ces engagements permettent de sortir de la "condition" dans laquelle il serait tellement plus commode que chacun s'embourbe pour que l'ordre règne.

L'émancipation en actes

Et tout cela est très concret, très humain, très émouvant et surtout très digne, sans flonflons, sans discours grandiloquents, au cœur des réalités politiques de chaque époque traversée, bousculant sans les briser les traditions culturelles locales ou familiales. Oui, on peut vouloir changer le monde, améliorer la vie des gens par l'action collective, transformer la société à petits pas, conquérir des droits, tout en restant attaché à la nécessité de baptiser les enfants ou de se marier à l'église.

C'était une autre époque, dira-t-on. Une époque de reconstruction, de mutations industrielles, démographiques et démocratiques profondes. Et aujourd'hui, alors ? Regardez : nous sommes en pleine révolution numérique, des mouvements démographiques et migratoires importants se produisent, et la démocratie est percutée par des difficultés à redéfinir un "vivre ensemble" et un projet commun. Le contexte est différent, certes. Mais les ressors qui poussent à s'engager dans le monde réel, ici et maintenant, sont toujours là. "Mauvaises Gens" montre comment la génération précédente à mis l'émancipation en actes. Cette exigence est toujours là. A méditer avant d'enfiler ses pantoufles en regardant passivement par la fenêtre le monde changer.


La page 77


Les Mauvaises gens, de Etienne Davodeau. Editions Delcourt. 2005.