jeudi 25 janvier 2018

La Vie secrète des Arbres : Des troncs pas communs


L'école nous a tous appris que les arbres sont des êtres vivants. Cela n'a pas empêché des générations de gamins de graver des cœurs "Toto aime Lulu" sur leurs troncs. Alors qu'on leur a dit : attention, ils sont vivants ! Et si eux ils vous scarifiaient, bandes de petits cons ? Sauf que ça ne se débat pas, un arbre, contrairement à un gamin à qui en couperait des bouts de peau. Et pourtant, ces gros bouts de bois verticaux, c'est vraiment vivant, et la lecture de "La Vie secrète des Arbres" permet d'en prendre pleinement conscience, bien plus et bien mieux que la sainte parole des instits quand on était petits.

L'auteur, un "forestier" allemand qui a passé plus de vingt ans parmi les arbres, raconte à merveille et avec force exemples et anecdotes, tout ce qui se passe dans une forêt. Comment les arbres-mères protègent leurs arbrisseaux en leur évitant de prendre trop le soleil pour qu'ils grandissent lentement mais avec force. En quoi les racines servent à absorber les nutriments du sol pour nourrir "leur" tronc, mais aussi à en redistribuer à des congénères qui seraient en difficulté, abîmés, malades. Quel rôle jouent les champignons, dans le sol, dont les kilomètres de filaments permettent de relayer des informations d'un arbre à l'autre, tel un réseau internet, pour s'alerter, communiquer entre eux. Ce qu'apportent les arbres aux autres vivants de la forêt : du logement social pour certains oiseaux, pour les champignons, pour les insectes ; de la nourriture pour les pucerons qui pompent dans les vaisseaux des feuilles les protéines qu'ils y trouvent, pour excréter sous forme liquide les sucres dont ils n'ont pas besoin et qui vont fatalement saloper le pare-brise de votre voiture, juste en dessous. Si, je vous ai vu, et vous êtes mal garés. Au mieux ces sucs collants seront récupérés par des abeilles mellifères, qui en feront un miel sombre au goût prononcé : vous êtes prévenus, les miels d'arbres, c'est de l'urine de pucerons. Bon app'.

Abattez le Grand Capital ! 

Le livre raconte aussi comment les jeunes cervidés frottent leurs bois sur des arbustes pour faire tomber leur velours, et comme par hasard, ils choisissent des espèces rares, qu'ils font souffrir et mourir. La nature est cruelle. Et pas seulement à cause des animaux à sang chaud. Les arbres entre eux peuvent être solidaires, mais surtout au sein de leur propre espèce. Avec les autres, c'est moins vrai. Ainsi les hêtres, avec les épicéas et les pins, captent 97 % de la lumière quand ils sont présents dans une forêt. Les autres se développeront plus lentement. Le Grand Capital n'a rien à leur envier, mais au moins ils ne perdent pas de temps avec des politiques qui prétendent qu'il suffirait de l'abattre (dans tous les sens du terme) pour rétablir de l'équité.

A quand des docus TV forestiers ?

Alors bien sûr, la forêt est un lieu de combat, mais avouons-le : ce n'est pas frappant. L'arbre est très lent, cela n'aura échappé à personne. C'est son principal défaut. Mais ce livre fourmille de détails racontés à vitesse humaine. On a hâte de regarder à la télé des documentaires forestiers comme on regarde des documentaires animaliers : "Regardez, ce hêtre pousse violemment l'arbrisseau de chêne qui peine à se tenir sur ses racines. L'instant est grave. Le jeune chêne va-t-il résister ? Soudain un chevreuil vient faire ses dents sur lui, il lui arrache un bout d'écorce, le chêne hurle, sous le regard narquois du hêtre. Pourtant, ce dernier n'a pas vu que pendant ce temps, un pic vient de se poser sur une de ses branches. L'instant est grave. La nature retient son souffle. Le pic lance un coup de bec dans l'écorce du hêtre. Il troue, il creuse, puis laisse la place aux champignons qui accourent pour se poster dans la cavité formée. Le pic reviendra plus tard, quand ses amis champignons auront pourri le chair du hêtre et que celle-ci sera plus tendre à trouer encore... Le hêtre appelle à l'aide, lâche des secousses électriques par ses racines, projette des substances de détresse dans l'atmosphère... Il ne peut rien faire. Dans quelques dizaines d'années seulement, il sera mort."

Blague à part, ce livre est rempli d'infos surprenantes. Tellement qu'il faut parfois juste se laisser porter, picorer ici ou là des infos, un peu comme on se balade en forêt tranquillement, sans but précis, à ramasser des feuilles mortes ou s'arrêter devant un beau paysage. Une activité délassante, et on sait maintenant pourquoi : au-delà de la tranquillité d'une forêt, qui fait du bien à nos humeurs, il semble que des substances quasiment imperceptibles pour l'humain soient lâchées par les arbres, qui agissent positivement sur notre tension, notre capacité pulmonaire ou la souplesse de nos artères. Alors lisez ce livre, vous ne fréquenterez plus les arbres comme avant.

La page 77



La Vie secrète des Arbres, de Peter Wohlleben. Les Arènes éditions. 2017.