lundi 28 mars 2016

Parle à mon film culte, mon tweet est malade


Pauvres Tontons Flingueurs. Pauvre Twitter. Non, je ne suis pas très inquiet, ni pour la réputation du film, ni pour l'avenir du réseau social. Mais hier soir le mélange des deux m'a attristé. Le film culte passait sur France 2. Chaîne qui avait tout prévu pour que Twitter soit saturé par "l'événement", en informant le téléspectateur qu'il pourrait faire communion avec ses congénères sur le réseau social, autour d'un hashtag bien choisi, et de relances des bonnes répliques aux bons moments. Un exercice bien plaqué : on vous dit que c'est un "film culte", on vous chauffe le réseau, vous n'avez plus qu'à ajouter votre petite touche perso.

Et ça n'a pas raté. A mon commandement, on a twitté les phrases cultes du film culte, superbement préparées par la chaîne :


 Ou encore :

Ou même : 

Et le pire, c'est que chacun a twitté les mêmes morceaux de phrases à des dizaines d'exemplaires, comme si on n'avais pas bien lu. France 2, je te le dis pour la prochaine fois : parle à mon film culte, mon tweet est malade. 

Sans jouer au vieux con, avant, le film culte, chacun pouvait le ressentir comme tel ou pas. C'était un choix, et une découverte. On aimait et on constatait que d'autres aussi. Parce que les dialogues étaient dingues (Le Père Noël est une ordure par exemple), parce que le genre était nouveau (Love Story dans le larmoyant, Orange Mécanique dans la violence, 2001 l'Odyssée de l'Espace dans la SF, Shining dans l'horreur...), parce que ça collait à une époque (Pulp Fiction...). Le film culte sortait de l'ordinaire, il marquait les esprits parce qu'il bousculait des codes tout en entrant en résonance avec un "quelque chose" dans l'air du temps, qui fait qu'il n'aurait jamais été culte vingt ans avant ou vingt ans après.

Aujourd'hui, le film culte doit manifestement être estampillé. On pourrait nous mettre sous les yeux une liste officielle. Il y a norme. Il y a injonction. Il suffit de voir dans les émissions où s'amusent les stars, genre "Les Enfants de la Télé" par exemple : les films dans lesquels jouent ces vedettes qui se forcent à rigoler sont destinés à devenir des "films cultes". Mais oui, c'est Arthur qui le dit, donc c'est vrai. Il faut du culte. Il faut dire que le culte fait vendre.

Et maintenant on exige que les gens s'amusent sur Twitter. Là aussi, injonction. Parlez d'une même voix, ne vous trompez pas de phrase culte. Ooooh ! mais ne boudons pas notre plaisir de faire communion autour d'un film super, va-t-on me répliquer ! Certes. En soit ça peut être sympa. Mais faire communion dans l'injonction et la discipline édictée par un organisateur qui y trouve intérêt, c'est beaucoup moins drôle. L'intérêt de Twitter, c'est la spontanéité, pas l'alignement.

Alors France 2, mon petit, je ne voudrais pas te paraître vieux jeux et encore moins grossier. L'homme du blog, parfois rude, reste toujours courtois. Mais la vérité m'oblige à te le dire : ton opération Twitter me les a brisés menu !



samedi 26 mars 2016

Revue Dessinée : Gratter les apparences pour le meilleur et pour le pire


De vrais journalistes qui s'acoquinent avec des vrais dessinateurs de BD, pour réaliser de vrais reportages et de vraies enquêtes. Déjà le 11e numéro de la Revue Dessinée, et la publication atteint un rythme de croisière dans la qualité. Elle peut même se permettre, du haut de ses 11 saisons, de faire un point de situation, un an après, sur un sujet déjà développé dans ses planches. En l'occurrence la crise des migrants, ses milliers de morts en mer mais aussi dans le désert, ses lâchetés, calculs et aveuglement politiciens (au choix, ou en addition) de l'Union européenne et de ses Etats membres.
Comme tout bonne enquête la Revue expose des faits. Le plaidoyer - ici pour une Europe plus lucide et plus ouverte aux réfugiés - coule de source à la lecture. (heureuse initiative de la Revue: on peut lire ici l'enquête de l'an dernier).

Comme tout bon article de journaliste, il n'y a pas de neutralité possible. Il s'agit de gratter les apparences, débusquer et donner à comprendre, mais aussi à débattre :
- Gratter les apparences d'un quartier parisien, le Marais, qui balance entre populo et bobos, pour découvrir les réalités invisibles et violentes des salons de coiffure afro, de la prostitution, des fabriques de vêtements...
- Gratter aussi pour découvrir de belles initiatives, comme le Garage moderne, à Bordeaux. Ou ces démarches de formations aux métiers de bouche, de jeunes parfois en difficulté, aussi bien en France qu'au Pérou.
- Gratter pour démonter le système des "partenariats public-privé", en prenant exemple sur la "Cité sanitaire" de Saint-Nazaire, et qui semblent surtout relever de la pompe à fric pour le partenaire privé. Seul bémol : la démonstration est certes édifiante mais longue et fastidieuse à lire, avec une succession d'images genre pictos aux couleurs qui provoquent des conjonctivites.

Le droit de se moquer des puissants

Sur les autres chroniques de ce numéro, on reste un peu pantois devant une tentative de démonstration que "les maths, c'est beau", en partant de la question démographique. Il faut un peu s'accrocher, là aussi, pour suivre. En revanche la séquence "La sémantique c'est élastique" sur le mot "barbare" est instructive, et amusante, et pourtant la barbarie, en ce moment, on n'a pas envie d'en rire. Charlie Hebdo avait été les victimes, en France, de cette barbarie en janvier 2015 : la Revue consacre justement une séquence historique intéressante sur la caricature et le droit de se moquer des puissants, que ceux-ci règnent sur terre ou dans le Ciel.

Enfin si les Barbares d'aujourd'hui sont aussi de fieffés enfoirés avec les femmes, on apprend incidemment au détour d'une image qu'il a fallu attendre l'an 2000 pour que la gent féminine ait droit d'assister aux compétitions de pétanque nantaise... Dans la chronique sportive, cette discipline "bien de chez nous" est expliquée, avec ses boules rouges qu'on appelle "blanches" et ses boules vertes qu'on nomme "noires" (faut déjà être vicieux), sa piste de lancer aux bords incurvés, et son objectif d'approcher du bouchon comme dans une pétanque méridionale. Cela n'est pas super physique comme sport, mais ça semble donner soif aux joueurs... A part pour le "lever le coude entre hommes", on ne voit pas bien pourquoi les femmes étaient interdites d'assister à ces lancers de boules pépères, il y a encore si peu d'années. Si ce n'est qu'ici aussi, dans nos contrées pourtant républicaines et laïques, on peut être aussi cons et obscurantistes que ceux qu'on accuse de patriarcat ailleurs dans le monde.

Allez, le combat des Lumières est sans cesse à remettre sur le métier. Et la Revue Dessinée y contribue. Restons vigilants.

La page 77



La Revue Dessinée. Numéro 11. Printemps 2016. 15 euros. En librairie.

samedi 5 mars 2016

Paroles de poilus : Guerre, pères et manques


Il y a tous ces pères qui écrivent à leurs enfants qu'ils vont enfin se revoir quand ils rentreront de cette foutue guerre, victorieux il va de soi, mais qui leur conseillent, si un malheur arrivait, d'aider leurs mères dans leur quotidien, et de les respecter.
Il y a ce soldat qui n'a jamais vu sa fille, rêve de la voir, lui écrit pour qu'elle pense à lui plus tard, et qui, anarchiste refusant la guerre, conchiant les gradés, est contraint d'être au front, admirant la beauté terrifiante des fils de lumière que les balles traçantes dessinent dans le ciel nocturne. 
Il y a ce papa qui s'en est sorti, c'est la fin de la guerre, il attend sa femme et son enfant, mais ce dernier joue avec une grenade tombée de la poche d'un soldat, sur le quai de la gare, la dégoupille et tue sa mère. I
l y a cet amour que porte une enfant (Françoise Dolto !) pour son oncle parti au front, elle lui écrit qu'ils vont se marier, il lui répond que oui bien sûr, avec un smiley si le smiley avait existé à l'époque, mais il meurt. 
Il y a des dizaines de lettres de combattants de 14-18 à leurs enfants, qui tentent de rester pudiques sur la violence qu'ils vivent à chaque instant, pour ne pas les choquer, pour instaurer une parenthèse épistolaire de douceur, un cessez-le-feu momentané, le temps d'écrire leur amour et leurs espoirs, mais qui laissent transpirer entre les mots la douleur du manque, et l'angoisse de mort.

Cet opus se compose, comme le premier tome, d'une partie écrite - le courrier du combattant à son enfant - transposée ensuite en bande dessinée. Les textes sont poignants, les dessins sont beaux malgré le sujet tragique, celui du vécu de ceux qui, pour beaucoup, allaient mourir.


La page 7



Paroles de poilus, tome 2, Mon Papa en guerre. Les Editions Soleil. 2012.