jeudi 30 janvier 2014

Khalil Gibran :"Vos enfants ne sont pas vos enfants"

Ce n'est pas que je veuille jeter mes gamins ou me laver les mains de ce que je dois faire avec eux et auprès d'eux. Bien au contraire. Cet extrait du recueil Le Prophète, de Gibran Khalil Gibran, dit exactement, et de si belle façon, ce que devrait être notre attitude vis-à-vis de ces (pas toujours) drôles de petites bêtes qu'on a mis au monde...

Et une femme qui portait un enfant dans les bras dit,
Parlez-nous des Enfants.Et il dit : Vos enfants ne sont pas vos enfants.Ils sont les fils et les filles de l'appel de la Vie à elle-même,Ils viennent à travers vous mais non de vous.Et bien qu'ils soient avec vous, ils ne vous appartiennent pas.
Car ils ont leurs propres pensées.
Vous pouvez accueillir leurs corps mais pas leurs âmes,
Car leurs âmes habitent la maison de demain, que vous ne pouvez visiter,
pas même dans vos rêves.
Vous pouvez vous efforcer d'être comme eux,
mais ne tentez pas de les faire comme vous.
Car la vie ne va pas en arrière, ni ne s'attarde avec hier.
L'Archer voit le but sur le chemin de l'infini, et Il vous tend de Sa puissance
pour que Ses flèches puissent voler vite et loin.
Que votre tension par la main de l'Archer soit pour la joie;
Car de même qu'Il aime la flèche qui vole, Il aime l'arc qui est stable.

Vous pouvez leur donner votre amour mais non point vos pensées,
Vous êtes les arcs par qui vos enfants, comme des flèches vivantes, sont projetés.
(extrait du recueil Le Prophète)

Pour en savoir plus sur l'auteur, on peut utilement lire un article complet sur Wikipédia, un autre plus bref sur Larousse, et même un développement sur sa spiritualité sur Psychologies.com. 

mercredi 29 janvier 2014

Tardi et la Grande Guerre : au front mais pas en mission

Lire les albums de Tardi sur la guerre 14-18, c'est plonger dans l'horreur mais aussi dans le fascinant réel de l'époque. En cette année du centenaire de la Grande Guerre, on ne peut que regretter que le dessinateur n'ait pas accepté de travailler avec la Mission gouvernementale adhoc. Je comprends son émoi quand il a appris qu'il figurait parmi les récipiendaires de la Légion d'Honneur. Les médailles, ça décore certes des gens biens, mais ça orne aussi les morts et ceux qui les ont envoyés mourir, en particulier bon nombre de hauts gradés de la Grande Guerre. 
Donc ok Jacques, on comprend que tu ne veuilles pas porter cette breloque et côtoyer certains étoilés sanguinaires dans la grande liste des décorés de la Légion d'Honneur. Mais dommage que du coup, en représailles de cette mauvaise surprise, tu aies refusé de participer à la Mission du Centenaire. Qu'est-ce que ça aurait eu de la gueule que tu jettes ton grain de sable - que dis-je ton pavé - dans ce qui risque d'être une succession ronronnante de commémorations à la gloire de tous, aussi bien des pauvres Poilus que des crétins qui les ont envoyés se faire faucher, comme si tout le peuple français, des élites aux troufions, avait "consenti" à l'horreur.



mardi 28 janvier 2014

Heavy Metal : Armures, gloire, épopée




Au lendemain d'une manif de trous de balle racistes et débiles aux allures moyen-âgeuses, et à deux semaines de France-Angleterre au tournoi des 6 Nations, lire une BD sur les aventures de Jeanne-d'Arc (et de son compagnon La Hire), ça tombe à point nommé.

Comme le nom de l'album ne l'indique pas, on suit les aventures guerrières de la Pucelle, mais aussi la morale chrétienne qu'elle tente d'insuffler aux soldats qui la suivent contre les Anglais (les "Godons"), ce qui n'est pas une mince affaire, vu les barbares pilleurs et violeurs qu'ils étaient à l'époque. Oh, point de grandes envolées morales dans cette BD plutôt rigolarde, au dessin très animé, et aux réparties parfois crues. "Où va la France" avec une "armée sans pute" ?! s'interroge un guerrier, qui apprend que Jeanne a imposé quelques règles morales dans les troupes. On appréciera au passage le cri de guerre "Yault", qui n'est autre qu'un "Yo" actuel style rappeur, plus ou moins traduit en ancien français...

On suit plus particulièrement un compagnon de Jeanne d'Arc, Etienne de Vignolles, dit La Hire. Une brute épaisse qui annonce la couleur dès le début : "Un pillage sans incendie, c'est comme une andouillette sans moutarde". Et pourtant, au contact de Jeanne, il va changer. Car il va en pincer, de la damoiselle. Et quand elle sera faite prisonnière, il dira "Sans Jeanne, il n'y a plus de droit chemin pour moi". Et tentera de la libérer.
Le tout est pas mal, un peu trop cartoons pour moi (ça doit être l'âge), et je me suis demandé où l'auteur voulait en venir dans cette histoire. Mais c'est bien fait, et dans le genre "Armure, gloire, épopée", ça se tient bien (c'est bon j'ai fait mon jeu de mot).

A noter que La Hire a vraiment existé. Il a même donné son nom au Valet de Coeur. C'est un bien grand honneur pour un guerrier pareil, mais c'est ainsi. De toute façon, on n'est pas à une contradiction près. Voyez, en 2014 on a toujours et encore des crétins moyen-âgeux qui manifestent contre toutes les avancées de la civilisation, et la France continue de guerroyer contre les Anglais ! Enfin, contre les Godons. Mais de façon plus civilisée qu'avant, autour d'un ballon. C'est quand même plus sympa.

Pour aller plus loin

Le rappel de l'histoire de Jeanne-d'Arc par Larousse. Et celle de Etienne de Vignolles par Wikipedia. Et puis aussi la liste des confrontations entre la France et l'Angleterre au rugby, histoire de se souvenir qu'on a encore du terrain à rattraper sur les Godons, depuis Jeanne-d'Arc ;)


Heavy Metal, par Loïc Sécheresse. Ed. Gallimard

dimanche 26 janvier 2014

Chroniques de Jérusalem : tranches de vies au Moyen-Orient



Je suis un peu en retard sur la publication de cet ouvrage, mais peu importe, voici. A peu près tout a été dit et écrit sur les excellentes "Chroniques de Jérusalem" dessinées par Guy Delisle, primées à juste raison par le Fauve d'Or du festival international de BD d'Angoulême en 2012. Plus de 300 pages de tranches de vie croquées pendant près d'un an, par ce dessinateur canadien, à Jérusalem où sa femme est envoyée pour travailler pour Médecins sans frontières. Pas de grand message géopolitique à chercher ici. Il n'y a pas les gentils contre les méchants. Guy Delisle raconte son quotidien, de manière presque candide, avec un dessin d'une grande douceur malgré, parfois, la violence des faits. Cela va des difficultés à passer les checkpoints à la rencontre avec une tortue (oui oui), de ses contemplations de paysages magnifiques aux visites guidées très encadrées de lieux historiques, en passant par le mur (ou barrière de sécurité) et la tension constante entre les communautés, toujours palpable, en toile de fond ou au premier plan (pendant l'opération "Plomb durci" par exemple), dans ces chroniques. Un journal de bord, mais pas le journal d'un bord, en quelque sorte, même si le quotidien des Palestiniens est décrit comme bien plus difficile. Sa vision de la situation est bien résumée par une phrase : "Il sera toujours plus facile de combattre son voisin si on le résume en un seul mot et qu'on le représente en une seule image." Guy Delisle, lui, n'a pas cherché la facilité.

Pour aller plus loin

Guy Delisle anime un blog, dont il parle dans ses Chroniques de Jérusalem. Un blog à visiter car depuis son voyage en 2011, il y raconte en quelques strips très drôles "son" Angoulême de 2012 où il a reçu le Fauve d'Or, ou dévoile quelques images de son "Guide du mauvais père". Tiens, ce sera mon prochain achat, ce guide, je sens que je vais m'y reconnaître.

Chroniques de Jérusalem, par Guy Delisle. Editions Delcourt, Collection Shampooing

mercredi 22 janvier 2014

Crève saucisse : des tranches, des planches, de la vengeance




A lire la 4e de couv, on se dit que ça commence bien : "Quand on fait des cornes à un boucher, faut pas s'étonner de passer de l'état de client à celui de marchandise". On se dit que tiens, vlà une BD qui va être mordante, cruelle, mais rigolote.
Pas du tout. La BD est mordante et cruelle, mais pas rigolote du tout. On est rapidement triste pour ce pauvre boucher trompé par sa femme avec son meilleur ami. On est triste qu'il apprenne que cette adultère se produit pendant qu'il s'occupe des enfants, avec la femme de l'ami en question. On ressent ses affres quand il se défoule sur ses quartiers de viandes comme si c'était le corps du coupable ("Crève, s... aucisse!") On a pitié de lui quand il essaie de reconquérir sa douce, avec pour seuls moyens de se valoriser que la qualité de la viande servie au restaurant. On le comprend et on jubile quand il essaie de saper subtilement les occasions de rencontres du couple illégitime. Et on le suit quand il trouve l'idée du crime parfait dans une bande dessinée, lui le collectionneur de BD (qualité suprême !)...
Crime parfait, ou presque... Souvent, la BD s'inspire des assassinats les plus glauques. Là, c'est le contraire. La BD peut tuer.

Pour aller plus loin ! ;)

Côté positif, notons toutefois l'amour pour la viande que déploie notre boucher. Revivons ses passions : voici une recette de saucisse. Quant à ceux qui seraient intéressés par le plan machiavélique qu'il a déployé pour tuer son concurrent, je vous invite à lire cette BD et surtout à prendre connaissance des horaires de marées, sur le site internet du Passage du Gois qui relie le continent à l'Ile de Noirmoutier...

Simon Hureau et Pascal Rabaté. Editions Futuropolis. 78 pages.

samedi 18 janvier 2014

Bilbo le Hobbit : un chouette livre pour enfant mais un mauvais guide du routard



Bon, finalement, Bilbo le Hobbit, c'est une histoire pour gamin, ou pour ado qui se réfugie dans un monde parallèle? Choisissez votre camp, les couvertures de livres sont très diverses, voir ci-dessus. Moi j'ai choisi le camp des ados, et vu la couverture du Livre de Poche, c'est même adressé à l'ado qui a vu les deux premiers épisodes du film et qui va tricher pour savoir ce qui se passe dans le troisième et dernier opus. Précisons, à l'attention de mes plus jeunes lecteurs, qu'avant d'être un film en 3D, Bilbo le Hobbit est un roman en 2D écrit avec des mots, il y a bien longtemps. Quand je dis "longtemps" ce n'est pas dans les années 90, jeune lecteur. Il y a eu un "longtemps" bien avant, c'était en 1937 et c'est JRR Tolkien qui l'a écrit.
Toujours est-il que le feignant de la lecture ne profitera pas de ce blog pour trouver là un résumé de ce qui se passe dans le prochain épisode cinématographique, pour la simple et bonne raison que je suis moi-même un feignant de la lecture et que je n'ai pas terminé le livre. Eh, eh... (mais comme je suis sympa il y a un résumé ici).
Mais dès à présent, je peux dire 2-3 trucs. Comme roman d'aventure un peu délirant, je dis bravo (1). Mais comme guide du routard du monde de Bilbo, là je dis non. Pourquoi parlé-je de guide du routard, (ou de guide vert, si vous êtes instit´)? Un livre avec une carte géographique dedans, vous appelez ça comment?
Et là je veux dénoncer haut et fort la supercherie de ce Monsieur Tolkien, avec cette "Carte de Thror" qui ouvre le livre : une carte, un vague plan, que même avec un Michelin au 1/10 000 000e il y a plus de détails, où on nous fait rêver en positionnant la "Rivière Courante", en nous indiquant "l'entrée du Long Lac" ; on y apprend que "ici était Girion, seigneur de Dale"... Eh bien je lance un défi : que celui qui s'y retrouve dans ce fucking plan en suivant les périples de Bilbo sans GPS se manifeste ! Il aura mérité... d'aller voir le 3e épisode au cinéma, tiens.

(1) Je dis ça pour rire bien sûr, car il suffit de lire cette analyse psychanalytique de ce livre pour voir à quel point il porte du "lourd"...

dimanche 12 janvier 2014

Silas Corey : une affaire d'espionnage bien tranchée



Bonne année, et surtout bonne santé ! Je me rends compte que je n'ai pas écrit la rituelle phrase indispensable pour garder de bonnes relations avec tout le monde. Voilà qui est fait. 
2014 ! Bon sang, il y a tout juste 10 ans j'étais... Ah et il y a maintenant 20 ans je faisais... Arf, la bonne époque d'il y a 30 ans... 
Bon mais on ne va pas vivre tous les débuts janvier en écrasant une larme sur les années passées, non ? Quoique. 2014, 1914... On ne va pas regretter cette période, mais c'est sûr qu'on va en avaler, de la guerre 14-18, cette année. Et sûrement jusqu'en 2018, dites donc ! Il y a eu bien sûr les sublimes BD de Tardi sur le sujet, qui n'ont pas attendu le Centenaire pour montrer les réalités de la boucherie. 
Pour autant, si la période actuelle suscite à coup sûr de nombreuses publications opportunément consacrées à la Grande Guerre, tout n'est pas à jeter sous prétexte de refuser de se faire manipuler par le marketing, outil sournois de la société de consommation, elle-même sous-fifre du grand capital, etc. 
Par exemple Silas Corey, et le "Réseau Aquila". Les 2 albums de cette histoire font partie de ces BD qui ont pris pour toile de fond le contexte politico-guerrier de 14-18, pour raconter une affaire d'espionnage. Et où la petite histoire du susnommé Corey - une sorte d'espion qui se vend sans vergogne à toutes les parties qu'il croise - rejoint la grande histoire géopolitique (avec Clémenceau himself, face au gouvernement Caillaux), par le biais... d'un tout petit bout de papier : un timbre. 
Bref je n'en dis pas plus, c'est bien foutu, même si j'ai eu du mal à tout bien comprendre du premier coup dans le premier tome, mais ça c'est habituel chez moi. Le dessin est bien fait, l'histoire est bien montée, les personnages bien campés. 

Silas Corey, Le Réseau Aquila, tomes 1 et 2. Par Fabien Nury et Pierre Alary. Editions Glénat, collection Caractère.

vendredi 3 janvier 2014

Impostures : de sincères crobards



Ces impostures n'en sont pas vraiment. Certes les personnages sont moches, pourris, vieillis, pervertis, en un mot hérétiques, par rapport aux vrais, ces gentils Schtroumpfs, ce courageux Spirou, ce valeureux Lucky Luke, ce costaud Astérix... Certes on ne reconnaît ces braves personnages que parce que la culture commune nous fait tous reconnaître du premier coup d'oeil Obélix (même tout maigre), l'Agent 212 (un peu plus difficile) ou les Dalton. Le dessinateur, Romain Dutreix, ne cherche pas à imiter le dessin.

Et on lui en sait gré, car l'intérêt n'est pas là : c'est que ces impostures ne sont rien d'autre que les vrais personnages... mais transportés dans un univers quasiment normal pour nous, pauvres humains ! Ainsi Lucky Luke se fait-il légitimement soigner dans un hôpital psy puisqu'il affirme que son cheval parle. Ainsi une histoire d'amour entre un Schtroumpf et une humaine explose-t-elle sur le mur de l'incommunicabilischtroumpf entre les deux espèces. Ainsi Boule et Bill virent-ils Wesh Wesh Ptain Vazy Trop Relou dans la banlieue où ils vivent depuis le choc pétrolier des années 80... Tout cela est finalement tellement logique.

Je n'ai pas rigolé comme un fou, mais c'est marrant et assez fin dans l'ensemble. On est juste un peu tristes pour ces pauvres personnages qui ont enchanté notre tendre jeunesse, et qui sont ainsi maltraités. Humains, trop humains... Astérix, Lucky Luke et les autres ne méritent pas un tel sort !

Par Romain Dutreix, Editions Fluide Glacial. 56 pages.