jeudi 19 juin 2014

La Cote 512 : un meurtre parmi les meurtres



Dans la flopée de livres sur la guerre 14-18 qui ornent les rayons des librairies en cette période célébro-centenaire, il y a des rééditions récentes intéressantes. La Cote 512, paru en 2005, en fait partie.

L'histoire ? Un mort sur le champ de bataille.
- Original... Quel talent ! Il y avait un carnage à cette époque, monsieur. Vous n'avez rien d'autre à raconter ? Fermez votre blog !
Mais attendez, vous allez voir ! Un mort sur le champ de bataille, en 1914, au cours d'une attaque. La mort d'un officier français, un balle dans le dos. A ses côtés, au moment où il meurt, il y a Célestin Louise. Un officier de police dans le civil, simple poilu pendant la guerre. Ses instincts policiers restent vifs : pour lui, ce n'est pas une balle perdue. Au milieu de l'assassinat industriel que représente la guerre, il voit en la mort de cet officier un assassinat crapuleux. Policier dans l'âme, il veut comprendre et mène l'enquête...
Ce roman policier en période de guerre débute au moment de la mobilisation générale. On suit Célestin Louise, avec en toile de fond l'enthousiasme délirant des populations pour partir batailler contre les Boches. Louise lui-même pourrait rester policier à Paris : il refuse, préfère partir en première ligne. "Je n'aurais pas supporté de savoir les copains au front". Rapidement, c'est l'enlisement qu'on connaît. Et les deux mondes qui s'éloignent, entre le front, sanglant et dégueulasse, et l'insouciance de l'arrière.

Ces imbéciles galonnés qui rêvaient de médailles sans avoir jamais connu la guerre...
L'intrigue réside dans l'enquête policière, certes. Mais elle permet de flinguer au passage l'absurdité et l'ignominie de la guerre et de ses acteurs. Magnifiquement écrit, on lit dans ce roman la haine, la bêtise, la foule inconsciente. Ce sentiment du personnage principal, certainement partagé par le plus grand nombre, que cette guerre ne serait pas plus violente que la société dans laquelle on vivait : "Le jeune flic connaissait la barbarie des hommes, il en avait trop vu, de ces pauvres types assommés, égorgés, éventrés à la suite de mauvaises rixes, des querelles d'alcool, de filles et de misère qui laissaient chaque semaine à la morgue une litanie de cadavres effarés". Après tout, la guerre, c'était juste une violence comme les autres, mais institutionnelle...
Mais rapidement, on lit aussi la haine générale, la foule haineuse, ce début d'émeute contre des Allemands faits prisonniers et trimbalés dans des wagons à bestiaux... les mêmes wagons à bestiaux qui serviront à emmener les soldats français au front. Et pendant ce temps, les hauts gradés qui s'acharnent à envoyer toujours plus de chair à canon pour gagner quelques mètres de terrain. Ces "imbéciles galonnés qui rêvaient de médailles sans avoir jamais connu la guerre", mais à qui il fallait obéir. Les gradés en prennent... pour leur grade : ainsi celui-ci, qui "portait les galons d'adjudant et, sur son visage, la marque d'une insondable bêtise."
Le tout est fascinant, car sur une toile de fond ensanglantée, meurtrière, peuplée de chefs complètement timbrés, l'enquête est passionnante, l'écriture superbe, et au final, ce meurtre qui aurait paru odieux dans n'importe quelle histoire, paraît finalement bien pâle dans la boucherie ambiante.

Pour aller plus loin...

Les sites sur la guerre 14-18 sont légions. A noter un intéressant "lexique des termes employés en 1914-1918", ou la page Facebook de Léon Vivien, journal d'un poilu mort le 19 mai 1915.

La Cote 512 - Une enquête de Célestin Louise, flic et soldat dans la guerre de 14-18. Thierry Bourcy. Folio Policier. 2005.