dimanche 15 novembre 2020

Les Passagers du Vent 8 : Attention au contrôle d'histoire surprise !


Paris, 16 février 1885. On enterre Jules Vallès, tout juste cinq ans après l'amnistie des communards et le retour des exilés. Zabo est là, au milieu de la foule immense. Alors que nous l'avions quittée vingt ans plus tôt, en Louisiane, elle répond aujourd'hui au prénom de Clara. Quand elle voit une jeune fille, fraîchement débarquée de sa Bretagne natale, se faire maltraiter, Zabo réagit.

Les manuels d'histoire de lycée vous excitent ? Les oeuvres en version originale non sous-titrées stimulent votre intellect ? Alors vous allez aimer le 8e opus des Passagers du Vent ("partie 1" dit la BD donc il y aura au moins une partie 2 voire 3). C'est une BD historique soit, mais autant la classer d'emblée dans ce genre. C'est une BD intello, avec parfois une page complète où les personnages s'expriment en breton, avec traduction dans les dernières pages de l'album : autant dire que c'est la chiotte de faire des aller-retour de 60 pages. Tout ça pour quoi ? Pour faire beaucoup d'historique académique - ah les belles représentations de Jules Vallès et autres sommités de l'époque, ah les grandes digressions sur les événements qui peuplent les cours d'histoire de 2nde -, et beaucoup de m'as-tu-vu-je-sais-parler-breton. La primauté de l'intellect dans cette BD - brillante, sans aucun doute - gâche l'histoire et efface les émotions. Certains crieront au génie parce que c'est plein de culture. Je crie à la chienlit parce que c'est chiant. Je n'achèterai pas le tome 2 de cette édition, j'aurais peur d'un contrôle surprise. 

lundi 19 octobre 2020

L'Outsider : Du tirage de cheveux dans la prise de tripes

 


Le corps martyrisé d’un garçon de onze ans est retrouvé dans le parc de Flint City. Témoins et empreintes digitales désignent aussitôt le coupable : Terry Maitland, l’un des habitants les plus respectés de la ville, entraîneur de l’équipe locale de baseball, professeur d’anglais, marié et père de deux fillettes. Et les résultats des analyses ADN ne laissent aucune place au doute. Pourtant, malgré l’évidence, Terry Maitland affirme qu’il est innocent. Et si c’était vrai ?

Le gars King - je me permets de l'appeler comme ça, comme si je pouvais lui taper sur l'épaule, depuis le temps que je le lis, c'est un peu comme si j'étais de la famille - vieillit bien à certains égards, mais il est toujours aussi énervant à être capable du pire comme du meilleur. Pour être franc, cela faisait bien une dizaine d'années que je n'avais pas cherché à lire un de ses écrits. J'étais resté sur ce ras-le-bol de me palucher des centaines de pages de descriptions préalables à toute action, sur l'enfance, l'adolescence, les premiers émois sexuels et/ou amoureux de chacun des personnages, puis sur chaque quart d'heure, chaque minute, chaque seconde qui précède le meurtre/la disparition/le truc bizarre qui se passe, devoir lire 560 pages avant qu'il se passe quelque chose... Stephen King, c'est le Marcel Proust des romans fantastiques. Trop c'était trop, j'avais décidé d'arrêter. Et puis là il y a deux mois j'ai voulu retenter l'aventure. L'Outsider. 800 pages en livre de poche, bon c'est beaucoup pour moi mais ça se tente, depuis le temps. 

Côté pile, chouette, Stephen King va davantage droit au but. Enfin de l'action dans les premières pages, disons dans les premières dizaines de pages. Côté pile toujours, la bizarrerie de départ est prenante. Un gars est accusé d'un meurtre odieux sur un enfant, tout l'accuse, y compris ses traces ADN. Et pourtant tout prouve aussi qu'au même moment, il était à des centaines de kilomètres de là, témoignages et vidéos à l'appui. Un scénario comme celui-là, ça doit donner un final de ouf. Non ? Parce que pour ma part, j'ai été super pris par le suspens, dans la première moitié du livre, je n'en pouvais plus de ne pas savoir.

Sauf que, au final, rien de très ouf. Le final, c'est une pirouette Kingesque tirée des contes et légendes locales avec une espèce de truc un peu monstrueux qui peut prendre la forme qu'il veut. Et tant pis pour la divulgâche. Au début ça prend bien aux tripes et puis c'est tiré par les cheveux. Et un cheveu sur les tripes, aux restau, ça ne passe pas. 

Peut-être qu'il vieillit tout court, Stephen King. Peut-être qu'il perd moins de temps dans les préliminaires fastidieux mais également moins de temps à bâtir des histoires qui tiennent la route. Sinon il y a une autre hypothèse, à vérifier : Stephen King est peut-être doublé par un être bizarre qui prend son apparence mais qui n'est pas lui et qui écrit des choses à sa place... Mais ça, ça n'est qu'une hypothèse, notez bien...

L'Outsider, de Stephen King. Ed. Albin Michel, col. Le Livre de Poche, 2019.

dimanche 31 mai 2020

Incident au fond de la galaxie : Est-ce que ce monde est sérieux ?





Dans un cirque, un employé chargé de nettoyer les cages des animaux accepte d’être envoyé dans le ciel comme un boulet de canon ; le jeune pensionnaire d’un étrange orphelinat découvre qu’il est un clone d’Adolf Hitler créé pour venger les victimes de la Shoah ; un accidenté de la route perd la mémoire et se retrouve dans une pièce virtuelle avec une femme virtuelle, à moins que ce ne soit l’inverse…
Facétieuses, corrosives et incroyablement brillantes, les vingt-deux nouvelles d’Incident au fond de la galaxie nous immergent dans l’univers « keretien », où le virtuel et le fantastique viennent subtilement troubler la réalité pour faire surgir de profondes réflexions sur le deuil, la solitude et les stigmates de l’Histoire

Présentation éditeur

Je suis en train de lire Incident au fond de la galaxie, de Etgar Keret, et ça fait du bien. Une dose d'irréel dans la banalité quotidienne, un truc qui cloche dans la machinerie bien huilée, une bonne secousse dans le calme plat d'une histoire sans histoire... Ces nouvelles sont jubilatoires. Surtout en cette période de déconfinement, cela permet de relativiser notre réalité un peu particulière. Pas besoin d'aller au fond de la galaxie pour saisir les incidents. Il suffit d'aller dans le métro, par exemple. 
L'autre jour j'ai dû prendre le bus et le métro pour un rendez-vous dans Paris : c'était étonnant. Ces gens heureux de se souffler sur le visage, de braver le danger sanitaire en évitant de mettre un masque parce que, sans doute, c'est moche et c'est pénible à porter. Ces gens qui font semblant de faire attention, ou de respecter les règles, qui portent un masque mais qui le glissent sous le menton pour mouiller leur doigt et gratter une saleté sur leur bras (je vous jure, je l'ai vu, j'ai failli proposer ma langue). Ou qui s'évertuent à ne camoufler que la bouche et à laisser exsuder l'appendice nasal à l'air libre. D'où viennent-ils, ces gens bizarres ? Non, toujours pas d'une autre galaxie, ils sont bien de chez nous, ils habitent un pays qui a mis en valeur la Raison et qui a produit des grands scientifiques. Désespérant. 
Alors oui, il faut s'évader, et lire Incident au fond de la galaxie, comme je le faisais dans le métro, en jetant parfois ce regard inquiet au-dessus de ma tablette de lecture pour regarder le comportement de mes contemporains. 

Idir, Ici et Ailleurs : un métissage à renouveler

En même temps, j'écoutais Idir sur mon appli de streaming musical préférée. Il faut écouter ou réécouter Idir, récemment disparu, et notamment ce fantastique album Ici et Ailleurs, qui propose des chansons "d'origine française" réadaptées "façon kabyle", chantées avec le chanteur d'origine. Rien que le premier morceau, La Corrida, de Francis Cabrel, est en plein dans l'ambiance actuelle ("Est-ce que ce monde est sérieux ?")... Le mélange harmonieux de deux cultures est beau et enthousiasmant. Lui aussi, il fait oublier cette période curieuse. Et en même temps il met les pieds dans le plat : dans cette nouvelle époque où il nous est demandé de ne surtout plus nous mélanger pour des raisons de santé, il va falloir déborder d'imagination pour réinventer de nouvelles formes de métissage. Un beau projet. 


Incident au fond de la galaxie, de Etgar Keret. Ed. de l'Olivier, 2020. 
Ici et Ailleurs, Idir. 2017. A écouter sur Deezer (notamment). 

vendredi 22 mai 2020

J'ai raté ma vie mais j'ai presque lu du Conan Doyle et ce n'est pas fini


J'ai lu partout dans les réseaux sociaux et dans les grands médias traditionnels que pendant le confinement, si tu n'avais pas appris le serbo-croate en Mooc, la guitare sur Youtube, et pas lu les œuvres complètes de Victor Hugo gratuitement sur Kobo, tu aurais raté ta vie au moment du déconfinement. 
Spoiler : j'ai raté ma vie. J'ai décidé qu'on me foute la paix sur ce que j'avais envie de faire. Par conséquent je me suis dit que je pouvais lire tout et n'importe quoi, de toute façon c'est foutu, je suis foutu, le monde est foutu, adieu monde cruel. J'ai donc commencé à lire "Le Chien des Baskerville" en numérique gratuit sur Kobo, après avoir vu une adaptation en film sur Prime Video. C'est vous dire à quel point je ne suis pas raccord avec les normes intellectuelles et culturelles de la bienséance réglementaire édictées par le petit peuple bobo. Pire : j'adore les aventures de Sherlock Holmes, mais je n'ai pas réussi à tout lire, j'ai arrêté avant la moitié. Pire du pire : antérieurement à cette aventure coupée dans son élan, j'avais donc vu le film comme je le disais plus haut. Mais soyons franc : je me suis endormi également vers la moitié de l'histoire. Donc ? Donc je ne sais toujours pas qui est le coupable. Et là je vais donner un coup de grâce aux puristes de la littérature bien ordonnée : je m'en fiche. Je m'en fiche car je me suis relancé dans un autre roman. Un grand classique aussi, "Le Monde perdu" de Arthur Conan Doyle. Oui, le même auteur que pour Sherlock Holmes ! Et je précise "re"lancé en effet parce que je l'avais commencé il y a un peu plus d'un an et que je l'avais lâché à un peu plus de la moitié de l'ouvrage. "Le Monde perdu" : le titre vaut son pesant de cacahuètes dans la période. Tant qu'à avoir raté ma vie à ne pas avoir appris la "Lettre à Elise" au piano pendant le confinement, autant se vautrer dans l'échec le plus complet en imaginant la perte d'un monde. Bon ok, là il s'agit dans ce roman d'un monde plus "paumé", "isolé", "introuvable", que perdu. Mais les mots, c'est connu, on leur fait dire ce qu'on veut. 
Enfin, je vous dirai ça si je le finis, ce roman. 

mercredi 12 février 2020

Le nuage : Une palpiflippante réalo-fiction radio active


Le 25 août 2020, un accident se déclare dans l’une des plus vieilles centrales françaises, le Douvrey, près de Lyon. Julia Roch-Rivière, directrice de la centrale, va tout tenter pour protéger la population du nuage radioactif. Mais sur sa route, se dresse plus puissant qu’elle. (présentation réalisation)

Que se passerait-il si un accident nucléaire majeur se produisait en France ? Impossible, vous nagez en pleine science fiction catastrophe de série B ! s'écrient les nucléocrates. Oui mais, imaginons quand même. Eté 2020, la canicule sévit sur l'Hexagone (là, on nage en plein réalisme avec les bouleversements climatiques), et ça, les grosses chaleurs, les centrales nucléaires, elles n'aiment pas, car il faut toujours refroidir le cœur du réacteur, avec de l'eau fraîche si possible, sinon la réaction nucléaire s'emballe. Et quand il fait très chaud, et que l'eau n'est plus assez rafraîchissante...  Eh bien au Douvrey, par exemple, cela produit un accident nucléaire majeur. Bon, sur les aspects techniques, je résume, hein. Parce que bien sûr, le moindre employé un peu gradé d'EDF pourra me couvrir de ridicule en démontant ma démonstration en un powerpoint de trois slides.

Quand soudain, tout s'emballe 
Mais peu importe ! Même l'employé un peu gradé d'EDF reconnaîtra que le nucléaire, cela peut être dangereux ! Tchernobyl, Fukushima... Oui ok, en France c'est impossible, on maîtrise tout. Mais là il y a un truc qui pète, un truc qui ne se passe pas comme prévu. Allez, on imagine, ok ? 
Et là, tout s'emballe. Le réacteur, qui rejette des radiations. Les médias, qui font le job, mais qui peuvent être dépassés par la réalité. La machine étatique, qui ne supporte pas d'être contredite. Et au milieu... les vrais gens. L'histoire du "Nuage" se centre sur le vécu de la directrice de la centrale, jouée par Emmanuelle Devos. Une femme honnête, qui sait que cela va mal se dérouler, que les gens sont en danger. Mais qui sera lâchée par sa hiérarchie soumise aux politiques qui n'ont aucun intérêt à faire penser qu'on ne contrôle plus rien... 
Cette série est en podcast, elle est donc à écouter. L'immersion est même excellente pour peu qu'on utilise des écouteurs. Les acteurs sont excellents, ce sont de vrais acteurs. Les sons, les bruits le sont tout autant : ce sont des vrais sons d'ambiance réelle. Le making-off est à cet égard intéressant (Pour le voir c'est ici). Et l'histoire, réaliste - désolé l'ami gradé d'EDF - est prenante et inquiétante. Un vrai et bon podcast, professionnel, palpiflippant (tiens, j'ai inventé un mot). 

Le nuage. Podcast en 5 épisode, sur Spotify. Série du studio Nouvelles Ecoutes. Avec Emmanuelle Devos et Damien Bonnard. Réalisation Aurore Meyer-Mahieu et Nicolas Becker.

mercredi 5 février 2020

Viscères : Vieux pots, vieux suspens, vieux clichés


Et si votre pire cauchemar recommençait ?
Il y a quinze ans, deux amoureux ont été retrouvés sauvagement éviscérés dans le bois attenant à la maison de campagne des Anchor-Ferrers. Le principal suspect, qui a avoué les crimes, est depuis sous les verrous. Mais aujourd'hui, alors que Oliver, Matilda et leur fille, Lucia, n'ont pas oublié cette découverte macabre, l'histoire se répète, plongeant la famille dans la terreur.
En grand peintre de l'angoisse, Mo Hayder nous livre une série de tableaux sanglants, dans lesquels le commissaire Jack Caffery, toujours hanté par la disparition de son jeune frère, est plus vulnérable que jamais.

Présentation éditeur


Mais j'en ai marre de ces thrillers où tout est prévu, télécommandé, concocté pour être pris en stress avec des ingrédients connus, reconnus, utilisés et réutilisés, usés jusqu'à la corde, la corde vocale la plus martyrisée par les cris d'effrois attendus par les "maîtres et maîtresse du suspens" !

Une fois encore, de quoi parle-t-on ? Evidemment d'un huis clos, dans une maison éloignée de tout et qui COMME PAR HASARD ne dispose plus de ligne téléphonique, elle est en panne c'est ballot. Fatalement, dans les personnages, il y en a au moins un qui est fragile et dont l'état de santé laisse à désirer : COMME PAR HASARD un des héros sort d'une opération cardiaque, et ça craint du tambourin thoracique. Bien sûr, il y a de la gerbe : le bouquin ne s'appelle pas "Viscères" par hasard, c'est juste que le psychopathe étale les tripes de ses victimes sur les branches des arbres. COMME PAR HASARD c'est une image insoutenable. Continuons : le psychopathe, justement. En fait ils sont au moins deux. Et COMME PAR HASARD au départ ils ont l'air normaux, ils se présentent même comme des policiers, c'est pour dire. Pas de bol, ils sont timbrés et prennent possession des lieux (isolés du reste du monde, donc) et des gens (donc le fragile cardiaque). Et COMME PAR HASARD on trompe un peu le lecteur histoire de mieux le choquer : soudain on les croit partis de la scène où tentent de survivre les personnages encore vivants, et une heure plus tard, coucou ! ils repassent la tête en disant "Vous ne croyez pas que c'était fini, non ?" Ah ah ! Les perveeeers ! Et pourquoi ils avaient commencé par partir ? Ben on ne sait pas, juste pour pouvoir revenir et nous faire dire "Ah les salauds, on se croyait débarrassés d'eux". Alors même qu'il y a encore 200 pages à lire, hein, on le sent bien sous les doigts, mais on aime bien croire aux Pères Noël, des fois, qu'est-ce qu'on est con aussi. Et puis pour couronner le tout, il y a ce flic, dont on parle depuis le début du roman, qui s'occupe de tout autre chose que des gens qui ont des histoires avec ces psychopathes. On sent bien que ce policier va être celui qui va sauver les victimes, quitte à mourir dans d'atroces souffrances au dernier moment sans qu'on s'y attende. Mais COMME PAR HASARD, l'agent est un peu rebelle avec sa hiérarchie, parce qu'il est torturé par sa propre histoire, plombée par le meurtre de son frère, et soudain il a une idée pour résoudre l'énigme de ce meurtre et donc il part en vrille et on se demande comment il va, au final, avoir le temps d'aider à sauver les autres gens dont le livre parle, dans les autres pages, ceux qui sont aux prises avec les psychopathes. Vous suivez ?
Eh bien moi j'ai arrêté de suivre. J'ai laissé tomber à la centième page environ, parce que ces vieilles soupes aux vieilles recettes sans surprises, j'en ai marre. C'est comme le décès récent de Mary Higgins Clark : on n'est pas dupes ! On le sait, qu'elle a en vrai été victime d'un assassinat déguisé en mort naturelle par un psychopathe de son entourage après avoir été enfermée dans sa cave pendant trois ans à subir des souffrance psychologiques graves.
Alors ça suffit les vieux cuistots du thriller. Ce n'est pas toujours dans les vieux pots qu'on fait les meilleures soupes.

Viscères, de Mo Hayder. Ed. Pocket, 2016.