mercredi 31 décembre 2014

14-18, Les Chemins de l'enfer : Ces premiers humains qu'on tue


Et voici la suite de la série "14-18", qui suit un groupe d'habitants d'un petit village français au fil des années de guerre. Le premier tome, "Le Petit Soldat", campait les personnages et partait de la mobilisation générale et des prémices du conflit, avec ses répercussions sur la vie de la bande d'amis. Dans ce deuxième opus, on entre de plain-pied dans la guerre, la vraie, celle qui tue, en septembre 1914. Ce sont les débuts, rapides, d'une prise de conscience : finalement, les Boches, on ne les repoussera pas rapidement jusqu'à Berlin en quelques semaines. Cela va durer ("L'impression que ça dure depuis longtemps, que nous sommes condamnés à nous battre pour toujours", dit un personnage avant de prier en partant à l'assaut). Cela va tuer. Cela va pleurer, au front comme à l'arrière, chez les combattants comme dans leurs familles. Ce sont les premiers humains qu'on tue, c'est la peur qui ronge le ventre et qui pousse à se mutiler pour retourner à l'arrière, à mentir, à mettre un chiffon ensanglanté sur ses prétentions patriotiques, c'est la gnôle qu'on boit autant pour se remonter le moral que pour anesthésier la morale.
Ce deuxième album poursuit l'oeuvre de façon intéressante et reste dans le focus de la série : décrire le vécu des gens. L'histoire au niveau des tranchées. Avec Corbeyran au scénario et Le Roux au dessin, pas d'inquiétude, on est entre de bonnes mains.

"14-18 : Les Chemins de l'enfer (septembre 1914)" - Eric Corbeyran et Etienne Le Roux. Editions Delcourt. Novembre 2014.

mercredi 24 décembre 2014

Metronom' : La culture attaque le glauque



Ce qui frappe d'emblée dans l'univers de Metronom', c'est la glauquitude des lieux. Les couleurs sont sombres, dominantes bleues ou brunes. On est bien sur Terre, on ne sait pas trop dans quel pays, et on ne sait pas trop dans quel futur non plus, mais c'est franchement pas joyeux d'y vivre. Le niveau technologique semble élevé, mais tout est sale, plein de détritus, comme une dalle de ville nouvelle mais en plus crade et délabré encore. Ça sent la merde et l'huile de moteur à pleines pages.
Les gens sont sous le joug d'une dictature, qui prétend donner la parole aux citoyens par le biais de référendums truqués, destinés à légitimer des décisions aussi délirantes que l'interdiction du suicide. Le tout sous un régime de corsetage de la presse qui n'a rien à envier aux dictatures actuelles ou passées de tous poils. Dans cet univers oppressant et répressif, seuls les oiseaux, omniprésents et polluant de pattes de mouches chaque vue d'extérieur, semblent libres. 

L'histoire elle-même recèle pas mal de dimensions - romanesque, science-fictionnelle, aventurière, policière... - mais la dimension politique est prépondérante : face au pouvoir dictatorial et totalitaire, un groupe d'individus agit pour la liberté. Par la meilleure arme de ceux qui n'ont pas de force armée : la culture. Ils préparent clandestinement une pièce de théâtre qui dénonce le totalitarisme. Et surtout ils diffusent discrètement un livre qui dénonce par allégorie les abus du pouvoir : le Métronome. En espérant que les esprits embrigadés de ceux qu'on ne peut même plus définir comme "citoyens" soient réveillés par ces pages et se révoltent pour obtenir leur émancipation. Parallèlement, d'autres individus, dont un vrai journaliste, sont en quête d'informations sur un virus qui a atteint des éboueurs de l'espace - et parmi eux le mari d'une héroïne de l'histoire -, virus dont l'existence est cachée par le pouvoir. 

Un grand dessein culturo-émancipateur

Au terme du 4e et (provisoirement) dernier épisode, on semble pas loin du dénouement. Avec des tas de questions en suspens. Que vont devenir les deux personnages qui cherchent la vérité sur ce virus, et qui sont dans de sales draps depuis qu'ils se sont fait chopper par la police dans le dernier opus ? Que vont devenir les rebelles et leur grand dessein culturo-émancipateur ? Le totalitarisme tombera-t-il à la lumière du Métronome ? Ce serait en tout cas une des rares fois dans l'histoire de l'humanité qu'une rébellion interne renverse à elle seule une dictature, sans intervention ou pressions extérieures. Contre l'occupation nazie, des résistants certes, mais aussi des Alliés. Contre l'occupation britannique en Inde, l'action de Gandhi soit, mais aussi la pression internationale. Contre l'apartheid sud-africain, un Mandela bien heureusement, mais aussi un boycott économique et politique quasi mondial... Contre le communisme du bloc soviétique, des dissidents courageux, mais aussi un étranglement économique.

Or là, dans cette histoire, point d'acteurs externes pour l'instant en vue. Juste quelques individus courageux, de ceux dont on se dit : "Si je vivais là, j'aimerais être l'un d'eux". Aurions-nous ce courage ? Mais ne boudons pas notre plaisir de lire l'apologie de l'émancipation, et rappelons-nous qu'il reste du boulot pour éradiquer la folie totalitaire dans pas mal de contrées de notre monde actuel. Ceci dit, tant qu'on est devant notre écran d'ordinateur ou de smartphone, on ne fait pas grand-chose, hein ? Mais allez, faut pas culpabiliser.

En attendant, vivement la suite de cette série. Avec enfin une réponse à la grande question : la culture est-elle un rempart contre la barbarie ? Vous avez 5 tomes.

Metronom'. Eric Corbeyran (scénario) et Grun (dessins). Editions Glénat. 4 tomes parus de 2010 à fin 2013.
Il y a même des bandes annonces sur ces BD sur le site de Glénat. Classe. 

samedi 13 décembre 2014

"Stratégie de l'Inespoir" : Thiéfaine a marché dans le vécu


Rien que la couverture du dernier album de Thiéfaine, Stratégie de l'Inespoir, c'est genre : j'ai un truc pour mettre sur les yeux pour quand je suis dans l'avion et que je veux dormir, mais ça veut pas dire que je passe mon temps dans un avion, mais que vraiment le monde va si mal que je suis dans l'inespoir et que je ne veux plus rien voir.

Bon franchement j'ai adoré Hubert-Felix Thiéfaine quand j'étais jeune, comme tous les quinquas ou quasi-quinquas d'aujourd'hui qui avaient 25 ans à l'époque, à trouver vachement super cool éclatant des chansons comme La Fille du Coupeur de joints, vachement dansé et hurlé dans les soirées légèrement alcoolisées au vin rouge qui tache ; ou Loreleï, Loreleï, au rythme vachement lancinant mais beau ; ou encore Les Dingues et les Paumés, vachement signifiant parce qu'à ce qu'il paraît Hubert Félix fut infirmier psychiatrique et il en gardé des souvenirs hyper marquant tu vois. Je rigole un peu, mais j'adorais vraiment, et je trouve Les Dingues et les Paumés très (voire vachement) abouti.

Donc là surgit un nouvel album du Maître, je me dis "Tiens je vais écouter, on ne sait jamais, ça fait hyper (voire vachement) longtemps que je n'ai pas écouté du HFT". Et là, gonflade rapide. La musique, passe encore. Rien de très prenant, rien de lancinant, rien d'entraînant, mais peut-être n'ais-je pas pris le temps de la pénétration musicale dans mes petits neurones. Mais alors les paroles ! Non vraiment, une caricature des paroles les plus "baths" de l'artiste dans les années 80, des mots qui se suivent et qui se veulent ultra interpellant au niveau du vécu, comme un poème d'ado qui se dit que "si l'auditeur ne comprend pas c'est normal c'est profond tu peux pas comprendre".

Eh ben mon gars, si je ne peux pas comprendre, je ne peux pas acheter. Si on me demande de marcher dans le vécu, je fais gaffe à mes pompes. Je viens de trouver sur le site de France Inter la preuve absolue que j'ai vachement raison. On y trouve une parole de Hubert-Felix Thiéfaine qui dit : "J'élargis le hublot pour laisser entrer le soleil. J'ai en moi de la grisaille et des brumes d'automne, mais en même temps des envies de ramener des couleurs plus vives".

Mais surtout, on a une citation de Didier Varrod, directeur de la musique de France Inter, que je ne connais pas mais ce n'est vraiment pas grave, et qui justifie le ton de cette modeste chronique :"C’est le grand retour de Thiéfaine, cet aviveur de mots, à peine revenu de l’état des lieux Nietzschéen de son précédent album "suppléments de mensonges", et déjà remis en selle par la grâce d’un néologisme verlainien "l’inespoir" comme pour nous signifier un état de conscience d’extrême lucidité qui transcende toute la noirceur du désespoir."

Et je ne vous parle pas de la critique dithyrambique de Télérama. Quelqu'un a un doliprane ? Allez, au revoir... 

Revue Dessinée d'hiver : Mâtin, quelle revue !



La 6e livraison de la Revue Dessinée est toujours sous le signe de la qualité (des reportages et des dessins), conjoncturellement sous le signe du froid (c'est le numéro d'hiver, malgré la végétation équatoriale qui tapisse sa couverture) et parcourue d'un fil rouge (enfin j'ai trouvé ça) : le risque.

Et des risques, en veux-tu, en voilà !

Le risque Sarkozy : pas seulement celui qu'il fait peser sur nous en tentant de retrouver le pouvoir, mais aussi celui qu'il a lui-même pris ces dernières années en se plaçant au centre de multiples affaires. Une enquête dessinée permet d'y voir plus clair dans ce magma nauséabond qui mériterait d'aller directement à la case Prison, sans toucher un quinquennat.

Le risque d'être un tueur : la case Prison est là inéluctable, et la revue a suivi une enquête policière de A (comme assassinat) à Z (comme Zut la police m'a retrouvé), avec des agents du fameux "36, quai des Orfèvres". Tout simplement intéressant, palpitant, humain, avec des vrais gens dedans. A ne pas rater.

Le risque Travail : là on n'est pas en prison, mais dans le témoignage d'un ancien journaliste qui a dû passer par la case intérim pour simplement vivre. Il y raconte les longues attentes auprès du téléphone dans l'espoir de grappiller quelques jours ou quelques heures de boulot, les tâches ingrates, aux gestes répétitifs, et la fâcheuse propension des employeurs de caser les intérimaires sur des jobs parfois dangereux pour la santé. Après tout, ce ne sont que des salariés de passage, non ? Avec le risque supplémentaire, quand on est précaire et qu'il n'y a pas de syndicat dans la boîte (ou que ceux-ci ne se bougent que pour les salariés stables), de se retrouver dehors si on veut dénoncer ces aberrations. Pas la prison certes, mais de fortes contraintes sur le temps, l'argent, l'esprit.

Le risque culturel osé et gagnant : on sort totalement de l'enfermement, pour entrer dans les cases... de BD, avec la narration de l'aventure du journal Pilote ("Mâtin, quel journal !") et la révolution culturelle qui agitait le monde de la bande dessinée dans les années 60. C'est pas mal fait, et surtout, elle repose sur une interview dessinée du grand, du sublime, du dieu de la BD d'humour, de faribole et de dérision : j'ai nommé Marcel Gotlib.

En revanche, si la Revue Dessinée s'est risquée à ouvrir des rubriques sur des créneaux décalés par rapport à la BD, je n'y adhère pas des masses. Toujours pas trouvé l'intérêt de l'analyse d'un film (là : Affreux, sales et méchants) avec des dessins. Quant à la chronique musicale, qui raconte la vie et l'oeuvre d'un artiste, ce mois-ci encore, elle doit s'adresser aux bobos ultra-téléramiens canal historique tendance underground. Tant pis, je n'ai pas la joie de faire partie des initiés.
Et je ne prendrai pas le risque de tenter d'en faire partie.

A noter toujours l'excellent site de la Revue Dessinée.

La Revue Dessinée. Hiver 2014-2015. N° 6. 

lundi 1 décembre 2014

Le Lauréat : MILF, amour et révolte

Cette jambe féminine n'appartient pas à Anne Bancroft.
Mais à Linda Gray : Sue Ellen dans Dallas !
(info véridique, importante pour briller en soirée)

Revoir Le Lauréat (de Mike Nichols, faut-il le préciser), lundi soir sur la télévision numérique terrestre, trente ans après l'avoir vu au cinéma... Snif, la nostalgie m'étreint (de voyageurs. C'est pas drôle ok mais c'est moins dangereux que la nostalgie m'habite). Une nostalgie d'autant plus saisissante (yago du Chili) que la musique, de Paul Simon, dont le célébrissime "Mrs Robinson", fait partie d'un 33 tours que j'écoutais en boucles quand j'avais 13 ans chez un pote qui écoutait aussi Johnny Halliday, c'est vous dire comment je l'ai échappé belle niveau choix musicaux.
Trente ans donc que je ne l'avais pas vu, ce film. Et il avait déjà 17 ans (calculez bien : il est donc sorti en 1967, bravo).

Quand on y pense... Dans les années 60, le film fait le gros scandale sur un truc qui fait maintenant partie des fantasmes favoris des fans de Youporn des années 2010 : un petit jeune (Dustin Hoffman) se fait honteusement draguer par une MILF (Anne Bancroft) et se la tape ! Et bien sûr (mais là on sort du genre Youporn pour aller sur le drame antique), il finit par tomber amoureux de sa fille (à la MILF, suivez un peu), jouée par Katharine Ross.

Mais !
Mais comme on n'est pas à une contradiction près, et comme on n'est pas encore en 1968 (à un an près) et que la dépravation n'a pas totalement atteint l'esprit fragile des jeunes, s'il est amoureux, alors il faut se marier ! Bah oui. Et là, on sent le poids des habitudes familiales, de l'autorité, des interdits édictés par les parents (ah le bon vieux temps). La maman (la MILF donc), ultra jalouse et fort marrie d'avoir perdu son amant (ah ah !), use de fourberie pour conduire sa fille à rejeter Dustin Hoffman, et lui faire préférer un autre jeune homme, de bonne famille certes, mais de bonne tête de nœud aussi. Et là c'est triste, car malgré une course haletante du héros pour tenter de stopper l'inéluctable, le mariage a bien lieu avec le naze.

Mais !
Mais comme on n'est pas loin non plus de 1968, le final du film livre en quelques minutes tous les éléments de rébellion contre la société que la jeunesse portera dans cette période. Le héros enlève sa bien aimée consentante, et le jeune couple convole. Ainsi soit-il : famille, je vous hais et je vous emmerde ; le mariage est prononcé mais on s'en fout ; la croix chrétienne n'est pas sacrée ; il n'y a pas de chemin tout tracé décidé par d'autres que moi...

Et finalement, même trente après, c'est frais.