jeudi 18 octobre 2018

Arto Paasilinna rejoint le fils du Dieu de l'orage


Les saunas sont glaciaux, la vodka a un drôle de goût, les lièvres des steppes finlandaises ont rejoint leurs terriers, la douce empoisonneuse a dû encore frapper sans s'en rendre compte, et les prisonniers du paradis l'ont accueilli, à coup sûr, les bras ouverts, en compagnie du fils du dieu de l'orage : Arto Paasilinna n'est plus. Du moins, son enveloppe charnelle. Le mot n'est pas trop fort car il était bien charnu. Bien charnu comme un type rempli de vie, d'humour, d'expérience. Comme un type modeste qui avait exercé mille métiers avant de se découvrir écrivain, devenu star planétaire de la littérature. L'antithèse de l'élitisme culturel porté par les cultureux vaniteux qui prétendent écrire des livres, qui ne seront lus que par des cultivés vaniteux. Lui, s'est mis à raconter des histoires délirantes avec des personnages aux noms imprononçables pour tout autre peuple que celui de Finlande, dans des contrées inconnues pour ceux qui n'ont jamais été plus au nord que Dunkerque, sur des thèmes aussi légers que la mort, la religion, la turpitude, la vanité et tout ce que peut commettre un humain normal, mais dans un univers qui dérape.
Il écrivait beaucoup, presque un livre par an, d'où parfois des baisses de régime, des histoires moins palpitantes, des intrigues un peu trop tordues (à ce sujet, le fameux Lièvre de Vatanen n'est pas, selon moi, le meilleur de ses romans). Mais se plonger dans ses livres c'est l'amusement garanti, le sourire assuré, le rire qui se fraye un chemin dans la gorge même quand il ne faut pas faire de bruit parce que ton conjoint dort à côté de toi pendant que tu lis. Seuls les professionnels de la correction orthographique doivent souffler, quand écrire son simple nom est déjà une torture (mais bordel il y a deux "a", mais c'est deux "s", deux "l" ou deux "n" ?!). Mais ils vont s'ennuyer un peu, je pense. Comme nous tous, j'en suis sûr.

Page Wiki sur Arto Paasilinna

  

jeudi 4 octobre 2018

Le Chat du Rabbin, tome 8 : Une "patée philo" bien épicée


Présentation éditeur Ils s'aiment. Lui est juif, elle est catholique. Ils vivent à Alger, et un jour, le Rabbin voit arriver cette jeune femme qui, pour mieux s'intégrer et faire plaisir à son futur époux, veut se convertir au judaïsme. La stupeur le dispute à l'incompréhension : pourquoi vouloir embrasser une foi si compliquée, si irrationnelle, si pénible ? Le Chat et Zlabya sont tous d'accord pour la dissuader, et vont trouver en Knidelette une alliée inattendue...


Il y a des chats normaux, c'est-à-dire mi-dingos, mi-adorables, mi-énervants et mi-attendrissants (je sais il y a trop de mi et alors ? mettez des fa si vous voulez), bref des "putains de chats" comme ceux qui sont décrits dans la dernière chronique de votre serviteur. Il y a aussi le chat fou de Gaston Lagaffe, le chat métaphysique de Geluck, sans oublier Garfield, Hercule (celui de Pif), Tom (celui de Jerry) ou bien sûr Félix (le seul, l'unique). Dans cette grande famille féline de la BD, le Chat du Rabbin tient une place particulière : c'est un chat miroir. Inutile de tenter de lui échapper : il vous renvoie toutes les vérités que vous ne voulez pas entendre sur vous-même, avec une hauteur de vue et une philosophie qui confirment que Michel Onfray est un philosophe de bas étage, niveau terminale, sans vouloir faire insulte aux lycéens. La comparaison est certes facile compte tenu de la pauvreté de réflexion du prétendu philosophe gaucho, mais n'empêche, sur le même sujet de prédilection que ce dernier - la religion - le Chat du Rabbin soulève des pensées bien plus puissantes et secouantes. La "patée philo" à laquelle il nous convie dans ce 8e tome en fait de nouveau la preuve.

"Ne pas penser à la mort"

Dans cette histoire, le rabbin, sollicité par le futur marié pour convertir sa fiancée catholique au judaïsme, refuse. Pas question de remuer Ciel et Terre pour des raisons de cohésion familiale, alors qu'embrasser une religion relève de convictions bien plus profondes. Ce refus va dérégler le parcours bien huilé - bien oint, pourrions-nous dire fort à propos - que le couple avait programmé. Ou plutôt, il va mettre en lumière ce qu'il fallait illuminer. La fiancée s'engage malgré tout dans un apprentissage rigoureux, voire rigoriste, des nombreux rituels de la religion juive. Le futur mari quant à lui tombe amoureux d'une autre femme, et ne sait plus où il en est. Au milieu, le Chat (du Rabbin) philosophe sur la religion : "Tous ces rituels qu'ils accomplissent en permanence, ça sert à ne pas penser... à la mort." "Le Dieu des juifs fait tout pour décourager tout le monde. C'est une méthode pour se désangoisser. Et à mon avis, elle est foireuse."

Mais il miaule aussi psychologie, en mettant le nez du mari dans son complexe d’œdipe. Alors que celui-ci retourne chez sa mère pour examiner sa conscience, et trancher entre rester avec sa promise officielle, ou partir avec son amourette-pour-le-moment-platonique, le Chat lui assène son analyse, plus douloureuse qu'un coup de griffe : monsieur ne veut pas choisir, car "il veut juste rester chez sa maman". En lançant sa fiancée sur la voie de la religion et surtout de ses rituels implacables, il a voulu tester sa capacité à être aussi vertueuse que maman. Avec le secret espoir qu'elle se plante, pour justifier l'arrêt de leur histoire. Pas de bol, la fiancée absorbe tout et y prend même plaisir... Et si monsieur, au fond, ne voulait pas se transformer en mari ni en papa ?
Ce Chat n'a pas de tabou : les excès religieux, les traditions patriarcales mais aussi matriarcales, il les pétrit avec ses petites pattes, les coussinets en avant pour éveiller la confiance, les griffes qui pointent pour faire mal mine de rien... et la langue bien pendue. Rappeuse, comme il se doit.
Le Chat du Rabbin, tome 8 - Petit panier aux amandes. Joann Sfar. Ed. Dargaud, coll. Poisson Pilote. 2018.