jeudi 11 août 2016

La Garden Party : Des odeurs et des affres

Dernier recueil publié du vivant de son auteur, La Garden Party commence à l'aube d'une journée radieuse pour s'achever à la nuit noire, dans une chambre où s'endormira bientôt une femme sans âge ni visage. Une nouvelle après l'autre, Katherine Mansfield peint la vie par petites touches, tendres, cocasses, poignantes, parfois cruelles. Elle dit la solitude, la peur et la mort, partout présentes, même dans la baie des vacances et de l'enfance. Elle chante aussi le bonheur d'exister, l'intensité et la multiplicité des plaisirs qui s'offrent dans l'instant, ces merveilles que sont le sourire édenté d'un bébé, le tourbillon des lumières d'une salle de bal, une odeur de lavande, un vieux saladier rempli de capucines jaunes et rouges sur une table éclaboussée de soleil...
(4e de couverture)

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Allez, va pour du classique. Avant de partir en vacances, j'ai pris ce livre un peu par hasard, un peu parce que j'aime bien les Folio, et surtout parce que j'aime bien les nouvelles, c'est rafraichissant. 
Oui, raffraichissant. La brieveté de l'exercice oblige bien souvent l'auteur à écrire d'une façon particulière, à raconter les choses de manière spéciale, qu'on ne retrouve pas dans d'autres techniques livresque. Et je trouve ça frais. M'en demandez pas plus niveau analyse, je ne suis pas critique chez Télérama. 

Concentration des fragrances
Là en plus, c'est frais et odorant. Pareil, c'est sans doute la condensation des faits qui concentre aussi les fragrances, mais quand j'ai lu ces nouvelles, j'ai senti aussi les lieux : le varech du bord de mer, le moisis des vieilles maison bourgeoises, les herbes séchées par le soleil néo-zélandais... Bon, comme "fraicheur" ok on fait mieux que du moisis ou de l'herbe sèche, mais c'est une façon de parler, arrêtez un peu. Et puis je parlais d'odeurs. Et puis flûte. 

C'est donc frais (j'insiste), odorant, et en plus c'est humain. Les nouvelles de Katherine Mansfield parle de la bourgeoisie friquée, richement vêtue, qui vit dans de belles maisons, aidée par des bonnes et des femmes de ménage, d'une futilité et d'un égoïsme sans nom, mais dont certains membres sont pris à partie par l'auteure pour mettre sous le nez du lecteur leurs affres bien communs. Des affres d'amour, d'angoisses, de jalousies, d'inquiétudes pour les autres, d'ennui, de soumissions familiales... On ne peut pas dire que les nouvelles de ce recueil proposent des intrigues, des histoires. Mais elles donnent à voir des pensées, des vies, des morceaux de gens qui font souvent peine à lire. Sur les étendues d'insouciance où rêgnent les familles aisées poussent finalement les mêmes mauvaises herbes qu'ailleurs. 

La page 77

La Garden Party, et autres nouvelles. Katherine Mansfield. Folio Classique. 


vendredi 5 août 2016

Deads'Diary : Du bon zombie bien de chez nous


En France, Damian Gregor vit les premiers jours de ce qui semble être la fin du monde. Assis devant la télévision il écoute les médias parler d'une maladie étrange : les morts reviennent à la vie et attaquent les vivants. 
Jour aprés jour, Damian fera face à cette pandémie d'une ampleur sans précédent. Accompagné par son ami, il sera confronté à des dangers repoussant sans cesse les limites de son imagination. Au cours de son périple, il rencontrera de nouveaux compagnons, mais aussi des ennemis ; il comprendra que les zombies ne sont pas la seule menace qu'il devra affronter. 
(4e de couverture)

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Les fans de zombies trouveront là leurs litres d'hémoglobine, de membres coupés, de rictus sans joue, de créatures sans pitié, d'enfants dévorés, de sacrifices héroïques et de survivants qui galèrent sérieux, bref tous les ingrédients qui font plaisir à lire. Le jeune auteur Simon J. Paul n'a rien oublié. On sent qu'il a passé du temps devant The Walking Dead (la BD comme la série TV). On en retrouve d'ailleurs quelques bouts de viande, comme le camouflage par badigeonnage de chair putréfiée, mais on ne lui en veut pas : en pareille circonstance on penserait au même subterfuge pour tromper le mort-vivant. 

Nourris au lait de vache
Et on ne lui en veut doublement pas, car la grosse originalité de son histoire, c'est que ça se passe en France. Et non seulement en France, mais pas à Paris ou je ne sais quelle métropole : du côté de Reims ou de Saint Quentin. Et ça, ça change tout. Ce n'est pas loin dans le Far West. C'est près de chez nous. Du bon zombie hexagonal. Des vrais héros nourris au lait de vaches de nos campagnes. Le terroir, y a que ça de vrai, même s'il rime avec mouroir dans ce livre. 

Je n'ai lu que le premier tome. Il est efficace et ravira les amoureux de bonne viande putride. J'espère juste pour la suite que l'auteur aura réussi à se libérer du carcan de style d'écriture dans lequel il semble se réfugier : l'histoire est racontée de manière précise, mais presque trop. Laisse au lecteur un peu de liberté d'imagination, Simon. On veut lire un roman, pas le scénario détaillé d'un film. Un peu plus de vie dans l'écriture de cette histoire mortelle : c'est paradoxal, mais c'est juste ce qu'il y manque. 

La page 77
Deads'Diary. Saison 1 "Le début de la faim". Par Simon J. Paul. 2015. Ikor Editions (pour accéder au site de ces éditions, c'est par ici). 

lundi 1 août 2016

Tarzan : Toi Nature, moi British


Juin 1888. Lord John et lady Alice voguent à bord d'une goélette au large de l'Afrique. À la suite d'une mutinerie, ils sont débarqués sur la côte. 
Là, dans une cabane construite non loin de la plage, Alice met au monde leur fils, John Clayton III, comte de Greystoke. Un an plus tard, elle meurt, avant qu'un grand singe vivant dans la forêt voisind pénètre dans la cabane et tue John. 
Kala, une jeune femelle, s'empare alors du bébé humain et s'en occupe comme s'il était le sien. Elle lui donne le nom de Tarzan, "peau blanche". 
Tarzan est âgé d'une vingtaine d'années quand il rencontre une équipe d'explorateurs anglais conduite par le Pr Porter et sa fille Jane...
(4e de couverture)

Ce "roman culte" est tout simplement palpitant. Parce que le lecteur plonge dans l'Aventure avec un grand A : c'est la jungle, peuplée d'animaux féroces qui ne comprennent que le rapport de force, les luttes mortelles, la violence... Dans ce milieu hostile sont débarqués contre leur grés John et Alice, véritable représentants de la haute caste anglaise, maniérés je ne vous dis que ça. Perdus dans cette nature dominante, Alice promet à son mari qu'elle fera "de son mieux pour être une brave épouse préhistorique". John quant à lui défendra sa femme face à un grand singe hostile en la prévenant : "Je me charge de ce bonhomme avec une hâche !" Ce "bonhomme" pour parler d'un singe... Comment vouliez-vous que ces gens restent en vie...
Leur fils en revanche, Tarzan, né dans cette jungle, se débrouille très bien. Recueilli par une singe quand il est nourrisson à la mort de John et Alice, il ne connaît rien de ses origines et grandit avec les animaux. 

Pas la moitié d'un naze
Et c'est là que l'histoire dépasse le simple roman d'aventure. Car Tarzan connaît les affres du conflit d'identité. Qui suis-je ? Un singe obéissant aux instincts car j'ai été élevé dans la nature ? Ou un homme qui respecte des bases culturelles de comportement car mes gènes sont humains ? On retrouve les questionnements et les quasi-certitudes qui planent dans le débat public de l'époque du roman (1912). L'Humanité doit primer sur Dame Nature. Ainsi, bien que Tarzan n'ait presque jamais vécu dans une communauté humaine, c'est pas la moitié d'un naze. Il apprend même tout seul à lire, avec un abécédaire retrouvé dans les vestiges laissés par ses parents naturels. On se demande à quoi servent les instits. Il apprend tout seul à nager, à tirer à l'arc, à faire des noeuds avec des cordes qu'il fabrique... C'est un vrai scout. Un MacGyver. Mieux : un étudiant de Cambridge. Un être naturellement supérieur, doué d'humour (ah ! jeter une tête de mort sur un groupe de Noirs pour leur faire peur ! Bidonnant ! Du Benny Hill dans le sketch ! Il faut dire que le Noir est superstitieux et couard) et surtout "têtu comme un Anglais" (sic dans le texte !). 

Coup de foudre
Ce n'est pas tout. Non content d'être intelligent, malin, doté de l'humour british, et beau comme un Dieu, il est aussi capable d'émotions. Je ne vous raconte pas tout, mais dès qu'il voit Jane, il sent monter en lui une impression bizarre. Alors ne cherchez pas le coup du "Moi Tarzan, toi Jane", ça ne figure pas dans le texte d'origine. En revanche le coup de foudre de Jane pour "l'homme sylvestre" (resic !) oui. Et c'est réciproque. Une nouvelle occasion pour Tarzan de se demander qui il est : pensez donc ! Un vrai singe possède pleinement sa femelle. Mais lui, quel comportement doit-il adopter ? Une fois qu'il a libéré Jane des pattes du grand singe stupide Terkoz, il agite ses neurones. Jugez plutôt sa réflexion : 
 
Rassurons-nous, Jane ne deviendra pas l'objet sexuel de Tarzan. La Civilisation est plus forte. Tarzan finira par s'adapter rapidement aux moeurs humaines occidentales. Il aurait pu être juste un homme un peu bestial. Mais c'est un British avant tout, Dieu merci. Cette bagarre entre nature et culture, animalité et britishitude constitue le vrai fil rouge du roman. Jusqu'à sa dernière ligne. 

La page 77

Tarzan, seigneur de la jungle. Par Edgar Rice Burroughs. Ed. Archipoche.