samedi 30 décembre 2017

Les Vieux Fourneaux T4 : Faudrait pas pousser pépère...


Il y a une usine, fatalement dirigée par des requins capitalistes sans foi ni respect de la nature, qui veut s'agrandir. Mais qui bute sur une ZAD (zone à défendre), peuplée de jeunes foutraques mais fatalement sympathiques, qui bloque le projet. Objet de l'opération d'occupation sauvage : il faut sauver une sauterelle qui s'appelle une "magicienne dentelée" (voir photo) et qui s'est installée sur la zone d'extension achetée par les requins susnommés.

La Magicienne Dentelée.
Il y a Antoine - un des "vieux fourneaux" héros de la BD - que ça fâche, parce qu'il comptait sur le développement économique permis par l'extension de l'usine, pour que ça profite à l'emploi pour les jeunes. Mais il y a ses potes, dont Pierrot, qui viennent à la rescousse des zadistes, en vieux soixanthuitards attardés qu'ils sont. Antoine est encore plus énervé quand il se rend compte que son ancien pote Jean-Jacques, médecin, est parti en retraite et remplacé par une doctoresse roumaine. La ZAD, ça met en colère aussi l'association des chasseurs, pour qui c'est pire que dans "Guimauve Frombze" (je vous laisse deviner de quelle série d'anthologie actuelle il s'agit). Il y a Sophie, la petite-fille d'Antoine, qui élève seule sa fille, parfois avec difficulté, et qui aimerait bien rencontrer de près Vasco, l'entomologiste qui a découvert la présence de la sauterelle magicienne dans le coin, et qui est beau comme un dieu. Il y a Joseph, le couvreur, qui cherche à en savoir plus sur la vie privée de Sophie. Il y a Emile, un des trois "vieux fourneaux", qui envoie des fleurs presque tous les jours à Mme Goitreux, une dame du coin, laquelle balance systématiquement le bouquet aux cochons et lui renvoie un colis remplis de merde -  il doit y avoir du passif entre les deux. Il y a ce geek zadiste qui réussit à choper sur internet des documents confidentiels sur un plan social prévu par l'usine en question.

Un brin de déception

Vous allez dire : ça part un peu vrille ta chronique. Mais justement, cet album aussi. Autant les trois premiers tomes m'avaient emballés (lire ma chronique ici) avec la découverte de ces trois vieux attachants, la qualité du dessin et des histoires qui pouvaient se lire indépendamment les unes des autres, autant ce tome 4 est, au mieux, un album d'entre-deux qui pose avec sincérité le décors de futures histoires, au pire un alibi, pour surfer sur le succès mérité des premiers numéros. Dans les deux cas, on se retrouve en bas de la dernière page avec un brin de déception, une impression de vide, et d'invitation désagréable à remettre 12 euros dans la machine pour en savoir plus la prochaine édition. Alors on va rester sur le bénéfice du doute pour nos trois petits vieux, mais on sera vigilants : faudrait voir à pas pousser pépère dans les sorties...

La page 7


Les Vieux Fourneaux, tome 4, La Magicienne. Par Lupano et Cauuet. Ed. Dargaud. Nov. 2017.

samedi 9 décembre 2017

Chasseurs de têtes : Le sale con prétentieux était un malin supérieur


Roger Brown est le meilleur chasseur de têtes de Norvège : il fait subir aux candidats de véritables interrogatoires et ne laisse aucune place au hasard. Mais Roger a une faiblesse, sa femme, la splendide Diana... Voiture de luxe, vêtements de marque, loft immense, galerie d'art et vernissages au champagne, rien n'est trop beau pour elle. Pour financer sa vie privée, il dérobe des toiles de maîtres chez ses clients. Mais le jour où il décide de voler un Rubens à Clas Greve, qui avait pourtant le profil du parfait pigeon, les choses se gâtent. De chasseur, Roger devient proie et le pigeon se révèle être un terrible prédateur... (Présentation éditeur).

Disons-le tout net : Roger Brown, le personnage principal de ce thriller, est un sale con prétentieux. Il est le meilleur chasseur de tête, et il le sait. Il a la plus belle femme qu'on puisse imaginer (à part la mienne), et il le sait aussi. Bref il est fat. Et le pire c'est qu'on est dans sa tête pendant toute l'histoire, car c'est le narrateur. Au début, c'est excitant, car on est dans la peau d'un vainqueur. La première scène, un entretien avec un candidat, prend aux tripes. On salue le professionnel, le manipulateur, on touche du doigt le sentiment de toute-puissance qu'il ressent. Surtout quand la dernière fois qu'on a soi-même ressenti cette toute-puissance c'est quand on provoquait l'angoisse de papa-maman en se retenant de faire caca. Ok, c'est scato comme référence, mais un passage de ce roman est en plein dans le sujet, c'est le cas de le dire, bref vous lirez par vous-même. Comme quoi, chaque mot de cette chronique est pensé et pesé, qu'est-ce que vous croyez ?

Par contre, après un début tonitruant et appétissant, il y a un long passage qui passe longuement (vous noterez l'expression redondante, c'est fait exprès). En un mot, ça se traîne. Peut-être parce que ça tourne vinaigre pour le héro, et comme on est dans sa tête, c'est pas cool. Jusqu'à ce que démarre une traque de dingue, de malade, avec des épisodes très speeds qui trépident (vous noterez la paronymie), et qui ne font plus lâcher le bouquin avant la fin. Il y a du suspens, de la douleur, des morts, de l'imprévu, du cocasse, et même du caca comme je vous l'ai déjà dit. Et surtout la fin est étonnante, du genre où tu te dis "Ah ouaaaaais ! Dingue, ça...".
Donc faites comme moi : lisez, insistez si ça accroche un peu, mais au final c'est vraiment bien. Roger Brown est bien un sale con prétentieux, mais c'est un malin supérieur, il le prouve avec brio, et ça, on ne peut pas le lui retirer.

Pour aller plus loin dans la grande culture

Comme vous l'avez lu dans le résume de l'éditeur, plus haut, Roger Brown décide de voler un Rubens pour joindre les deux bouts en vue de satisfaire les dépenses de sa femme. Le Rubens en question s'intitule "La Chasse du Sanglier de Calydon", et le voici. A revendre ça doit être bien ; à afficher dans son salon, moins.


Chasseurs de têtes, de Jo Nesbo. Folio Policier. 2008.

dimanche 3 décembre 2017

Bernstein : Symphonie en regard majeur


Symphonie en sol n° 88 de Haydn, 4e mouvement, par le Wiener Philarmoniker. Dirigé par Leonard Bernstein. Qui, à la fin, sans attendre les rappels, reprend l'Allegro con spirito final... sans un geste de la baguette. C'était en 1983.
Classe, travail, autorité, complicité, confiance, respect... Du grand art.

samedi 18 novembre 2017

La Nueve : La Libération entre hombres et lumières


La majorité des hommes qui composaient la Nueve avaient moins de vingt ans lorsqu'ils prirent les armes, en 1936, pour défendre la République espagnole : les survivants ne les déposeraient que huit ans plus tard après s'être illustrés sur le sol africain et avoir libéré Paris dans la nuit du 24 août 1944. Ils étaient convaincus de reprendre la lutte contre le franquisme. Avec de l'aide qui ne viendra jamais...(présentation éditeur)

Libérer la France de l'occupant allemand lors de la dernière guerre mondiale n'a pas été l'oeuvre des seuls Américains, ni des seuls Résistants, ni des seuls De Gaulle ou Leclerc. Beaucoup de chacun d'eux, certes, et beaucoup de l'addition de leurs forces, il va de soi. Mais il y a aussi tous ces inconnus qui y ont contribué. Ces "sans-dents" de la grande histoire du monde, dont on ne parle pas, simplement parce que leur action a été diffuse, éclatée, volontairement anonyme. Mais le silence est parfois injuste, quand ils se sont volontairement engagés pour combattre le nazisme et le fascisme : c'est le cas de ces Républicains espagnols qui ont combattu auprès des forces alliées pour libérer notre pays, et notamment Paris (en composant la 9e compagnie, la "nueve", dans la 2e DB du Général Leclerc), dans la continuité de leur combat raté contre Franco, et espérant le soutien du reste du monde libre pour rétablir la démocratie dans leur pays. Espoir terriblement déçu...

Combattants sanguinaires

Paco Roca raconte dans ce très bel album son entrevue avec l'un de ces anciens combattants espagnols profondément antifascistes, Miguel Ruiz, 94 ans. Avec beaucoup de pudeur, il relate ses échanges, met en scène l'histoire que retrace le Républicain. Des échanges difficiles au début, car Miguel n'a aucune envie de remuer les souvenirs, et sa modestie souffre - cette histoire, son histoire, il ne l'a jamais racontée à personne. Peu à peu il prend confiance, et ce qu'il livre révèle une aventure collective et personnelle tragique, d'une grande force, de ces engagements qui transportent une vie par leur puissance et leur évidence, la lutte antifasciste en constituant le moteur essentiel. La haine du nazi et du fasciste faisait de ces Espagnols des combattant sanguinaires, que l'on plaçait facilement en première ligne, indique le livre. Des sentiments violents qui, avec l'âge, posent question à Miguel. Mais pour lui, c'est très clair : si c'était à refaire, il le referait, pour barrer la route au nazisme. Il raconte ce jeune SS qui, à la Libération, est blessé mais préfère être saigné à blanc plutôt que de risquer d'être transfusé avec du sang juif : "Ça nous rappelle pourquoi nous combattions".
Pourtant, ces combattants républicains ont été oubliés. Et l'Espagne n'a pas été libérée, les Alliés préférant laisser Franco au pouvoir que de risquer l'arrivée des communistes.  Cet album remet en lumière ce pan de l'histoire, ses acteurs sur lesquels elle met des noms, des visages, des singularités, et ce n'est que justice. Le dessin est efficace, à défaut d'être romantique et trop bien léché comme beaucoup de productions bdéesques historiques qui peuplent les têtes de gondoles des librairies spécialisées. Il a une âme, une personnalité. A l'image de Miguel Ruiz, combattant antifasciste. 


La page 276 (pourquoi celle-là ? Parce que)


La Nueve, de Paco Roca. Ed. Delcourt, 2014.

vendredi 3 novembre 2017

Saint Barthélémy (T3) : Une histoire du « haïr ensemble »

Paris, 25 août 1572, lendemain de la Saint-Barthélemy. En dépit des ordres du roi, les massacres continuent. Traqué par les papistes, partagé entre la joie d’avoir retrouvé sa sœur et la peur d’être tué par son propre frère fanatisé, Elie erre dans la ville ensanglantée. Quel est ce passé tumultueux qui lie intimement l’intrigant Scipio et la famille Sauveterre ? Dans ce troisième et ultime volet de la série, le puzzle prend forme. Les secrets de famille se mêlent irrémédiablement aux tourments de l’Histoire…
(Présentation éditeur)

Que dire de plus que je n'aie déjà écrit dans ce blog à propos des deux tomes précédents ? Qu'à l'occasion des 500 ans de la Réforme protestante, il est bon de se replonger dans l'histoire et d'en tirer les enseignements. De se souvenir que les guerres de religions entre catholiques et protestants - il y en a eu pas moins de 8 dans le courant du XVIe siècle - ont été d'une barbarie inouïe. Hommes, femmes, enfants, bébés de la "religion prétendument réformée" subirent des tortures et des massacres abominables : crémation à petit feu (par un système de bascule du corps vers le bûcher puis de relevage à maintes reprises jusqu'à ce que mort s'ensuive, sous François Ier par exemple), arrachage de la langue, plongées dans l'huile bouillante, viols, frottement du crâne des bébés contre le mur de l'église jusqu'à la mort... Les protestants ne furent pas en reste là où ils furent majoritaires, avec des pratiques aussi barbares contre les catholiques. Bref, l'heure n'était pas à la laïcité ni au "vivre ensemble", même si la naissance du protestantisme introduit dans le débat public la notion de liberté de conscience - de religion tout au moins, à l’époque - et d'alphabétisation de chacun, par la nécessité de lire la Bible - car chez les Protestants, chacun « est Pape, une Bible à la main » comme disait Boileau.

Des affres

Le massacre de la Saint-Barthélémy fait partie de ces atrocités. Elle est parfaitement racontée dans cette série d'albums, qui mêle faits historiques et histoires personnelles. Pour lire ce troisième et dernier tome, qui se situe aux lendemains du massacre, il faut se replonger dans les deux premiers, parfois même compulser quelques livres ou sites d'histoire, pour ne pas se perdre dans les éléments historiques. La trame des histoires plus particulières qui s’articulent à ces éléments est intéressante : au travers de passions et de drames parfois violents, se dessinent (c'est le cas de le dire) les haines inter-religieuses, les affres individuelles qui en découlent, les culpabilités, les hypocrisies, au sein de familles déchirées, de camaraderies bouleversées... Le tout porté par un dessin précis et expressif, et une belle couleur malgré le sombre sujet. A lire, à relire, à étudier. A méditer.

La page 7 (pourquoi la page 7 ? Parce que)



Saint-Barthélémy, tome 3 : Ainsi se fera l'histoire... Par Pierre Boisserie, Eric Stalner, Florence Fantini. Ed. Les Arènes. Août 2017.

dimanche 29 octobre 2017

Les marécages : Un polar en Noirs et Blancs


Début des années trente, Texas. Rien ne semble avoir bougé depuis la guerre de Sécession. Le Klan domine. Les lynchages demeurent. Harry, treize ans, fils du représentant local de la loi, s'émancipe de ce monde qui le choque en s'isolant dans les marais. Il y croise, dans les méandres endormis, celui que tout le monde dit être un monstre insaisissable, un esprit de la nuit. Harry est fasciné. Il a trouvé, près des traces de cet Homme-Chèvre, le cadavre d'une femme noire bâillonnée avec des barbelés. On parle d'un "ambulant", serial killer d'une époque démunie devant ce type de crimes imputés au Mal sans qu'il n'y ait de véritable enquête. La population blanche ne s'inquiète pas. N'importe quel Noir fera l'affaire. Jusqu'à ce que les cadavres changent de couleur de peau...
(Présentation éditeur)

Le gamin qui raconte l'histoire a une dizaine d'années au moment des faits. Il va apprendre brutalement et rapidement ce qu'est le racisme le plus pur dans cette partie des Etats-Unis qui n'a jamais totalement digéré l'abolition de l'esclavage. Son père Jacob est coiffeur, mais aussi constable, autrement dit représentant de la loi dans son secteur. Pas de bol, il y a des meurtres atroces, de femmes torturées puis tuées dans des conditions apparemment terribles. Et qu'on retrouve dans les marécages qui s'étendent dans ce coin du Texas. La première qu'on retrouve est une Noire. Pas grave, donc. C'est l'affaire des Noirs, et ces gens-là n'aiment pas qu'on s'immisce dans leurs histoires, c'est bien connu. Dans une des premières scènes de l'histoire, sans doute la plus emblématique, l'une des plus violentes, le constable demande à un médecin blanc d'examiner le corps martyrisé de la pauvre femme. "Un sanglier", dit-il. Ou un fauve. Ou un jeune nègre, ils ont ça dans la peau. Et puis pourquoi perd-on son temps avec ce cadavre ? De toute façon tous les Noirs se ressemblent, une de perdue... Le constable le contredit, l'insulte, le vire et finit par demander à un médecin noir de poursuivre l'analyse, qu'il procédera de façon scientifique pour tirer les premiers enseignements de ce meurtre.

Justice expéditive

Les difficultés sont lourdes quand on représente la Loi et qu'on refuse les thèses et les pratiques racistes, dans ce coin pourri où sévit le Ku Klux Klan. Alors quand ce n'est plus une Noire mais une Blanche qu'on retrouve assassinée dans des conditions tout aussi atroces que la première, la "justice" se met en branle. La "justice" expéditive, celle du lynchage d'un Noir que le constable a eu le malheur d'interroger, faisant peser les soupçons sur lui. Jacob ne parviendra pas à le protéger de la foule en délire, et s'en voudra tant qu'il sombrera dans une grosse dépression alcoolisée. Pendant ce temps, le fiston Harry poursuit l'enquête dans son coin, et croise de temps en temps un "homme-chèvre" qui lui fait peur et peut-être que c'est ce personnage bizarre qui est derrière tout cela, mais c'est pas sûr.

L'histoire connaît des ruptures de rythmes qui accordent souvent plus de place à la langueur et à l'analyse introspective des personnages qu'à l'action. L'auteur, qui a pourtant écrit des chefs-d'oeuvre de suspens (ou que j'ai déjà chroniqué ici) semble s'être réveillé à la fin de son roman, avec un final tout en action, en stress, en révélations, qui déferle après un - trop - long développement sur les affres de certains personnages, et sur les vraies relations qu'ils ont pu entretenir entre eux par le passé. Ça exhume du lourd, il est vrai, mais ça prend son temps.

Reste le message principal (enfin celui que j'ai envie de retenir) : que ce soit dans les années 30 aux Etats-Unis avec le lynchage, ou dans les années 70 en France avec la guillotine, quand existe une peine capitale, la foule s'excite plus facilement pour demander du sang. Quand la justice s'octroie le droit de punir par la mort, elle donne l'exemple de la violence.

La page 77 (pourquoi la page 77 ? parce que)

Pour aller plus loin

A lire un article du Figaro sur les lynchages aux Etats-Unis il y a un siècle.

Et, le sachiez-vous ? Le terme "Lynchage" vient de la pratique d'un dénommé Lynch : à lire ici.

Pour finir en chanson, rien de tel que la "Messe au pendu" de Georges Brassens pour retrouver notre foule qui se déchaîne pour pendre un homme au bout d'un chêne sans forme aucune de remord.


Les Marécages, de Joe R. Lansdale. Folio policier. 2006.

mardi 17 octobre 2017

Le Livre sans Nom promet du sang, des tueurs et des âmes

Santa Mondega, une ville d'Amérique du Sud oubliée du reste du monde, où sommeillent de terribles secrets.
Un serial killer qui assassine ceux qui ont eu la malchance de lire un énigmatique livre sans nom. La seule victime encore vivante du tueur, qui, après cinq ans de coma, se réveille, amnésique. Deux flics très spéciaux, des barons du crime, des moines férus d'arts martiaux, une pierre précieuse à la valeur inestimable, un massacre dans un monastère isolé, quelques clins d'oeil à Seven et à The Ring, et voilà le thriller le plus rock'n'roll et le plus jubilatoire de l'année ! Diffusé anonymement sur Internet en 2007, cet ouvrage aussi original que réjouissant est vite devenu culte.
II a ensuite été publié en Angleterre puis aux Etats-Unis, où il connaît un succès fulgurant.


(Présentation éditeur)

C'est une histoire de dingue dans un bled pourri peuplé d'épaves alcooliques, violents et stupides. Où on tire sur les gens pour régler le moindre problème. Ce haut lieu de débauche et d'avilissement de l'humanité, impossible à repérer sur une carte routière du monde civilisé et c'est tant mieux, va pourtant devenir le centre d'une guerre entre le Bien et le Mal, ou, pour être plus relatif, entre le "Pas Terrible mais plutôt humain", et le Mal absolu. L'enjeu : mettre la main sur l'Oeil de Lune, une pierre précieuse dotée de pouvoirs surnaturels que je ne vous dis que ça. C’est bien simple : entre de mauvaises mains contrôlées par un esprit malin, cette pierre bleue pourrait stopper éternellement en son instant le plus obscure, l’éclipse solaire qui s’apprête à se produire. Et alors ? allez-vous rétorquer. Alors il ferait nuit tout le temps, et ce bled pourri peuplé de dégénérés attirerait, en plus, la faune la plus inhumaine et diabolique qui peuple les cauchemars les plus fous, et en particulier les vampires, ces créatures qui ne supportent pas le soleil, et qui verraient là un havre merveilleusement morbide qui leur permettrait de vivre 24 heures sur 24 dans l’opulence, un peu comme s’ils posaient leur guitoune dans la réserve d’un laboratoire d’analyse médicale d’un quartier plein de gentils donneurs de sang super solidaires parce que c’est important de donner. Oui c’est important, mais pas pour des vampires, qu’on se le dise. Faut tout vous dire bordel c’est pas possible...

Des personnages dégueus volés par des gugusses pourris

Bref, Le Livre sans Nom, c’est l’histoire de la quête de l’Oeil de Lune, qui passe de mains en mains, à mesure qu’elle est volée à des personnages dégueulasses par des gugusses pourris. Et qui finissent le plus souvent la langue arrachée et les yeux délogés.
Les seuls représentants du Bien sont deux moines très combatifs, naïfs mais pas pour longtemps, envoyés à Santa Mondega par leur Père Supérieur pour récupérer la perle dans le but d’éviter la victoire du Mal. Et deux flics, dont un spécialisé dans les affaires surnaturelles. Ces quatre-là sont les seuls qui boivent du café ou de l’eau.
Les autres acteurs de cette histoire sont hors norme. Il y a, en vrac, une voyante extra-nulle, que "même si elle se réveillait au lit avec le Père Noël, elle serait incapable de vous dire quel jour on est". Sanchez, le patron d'un bar, le Tapioca, aussi pourrave que les gens qui le peuplent, qui sont un ramassis d'abrutis alcoolisés, violents, stupides, sales, vulgaires. Ici, il est obligatoire de fumer. Ce que vous voulez, mais il faut (enfin quand je dis "vous", c'est une figure de style, parce que si vous fréquentez ce lieu, je ne vous connais plus). Quand un nouveau arrive et qu'il commande un whisky, Sanchez lui sert un verre de pisse, ça fait rire tout le monde, c’est dire le niveau.

Continuons : il y a Jefe, gros alcoolique (bon, ils le sont tous plus ou moins) qui tombe amoureux d'une Jessica qui a survécu bizarrement après cinq ans de coma à une rafale de balles dans le corps lors de la dernière grosse tuerie du bled. Et surtout, Jefe se fait piquer l'Oeil de Lune par Marcus La Fouine, et là ça craint. Mais Marcus est con. Et bourré du matin au soir, est-il utile de le préciser. Il y a Rodeo Rex, une légende vivante locale, musclé plus que Schwarzenegger, et qui s'avère être en fait un représentant de Dieu sur Terre (trop tard j'ai spoilé). Il y a même Elvis, qui traîne par là. Oui, Elvis, et alors ? Mais surtout, surtout, il y a le Bourbon Kid, qui comme son nom l'indique, ne boit que du Bourbon, et quand il en boit il commet un carnage. C’est lui qui a massacré des centaines d’habitants il y a cinq ans.

Lors de la dernière éclipse.

Mais Bourbon Kid est de retour...

Et il a commandé un verre de Bourbon au comptoir...

Alors c'est bien simple : le Livre sans Nom ? Y a pas de mot.

Pour aller plus loin

Vous pouvez en savoir plus sur ce livre et les suivants (car il y a une suite) sur la page Wikipedia qui lui est consacré. Et, plus original, une page Facebook de Bourbon Kid existe sur ce réseau social.

La page 77. Pourquoi 77 ? Parce que.



Le Livre Sans Nom. Anonyme. Le Livre de Poche, 2010.

vendredi 6 octobre 2017

La vie secrète des jeunes : Quand le coin de rue dépasse la fiction


Ouaaaais ok d'accord cette BD elle est super ancienne et je me réveille que maintenant pour la lire, oui ok. Je m'en fous. Regardez-vous d'abord ! Z'avez pas autre chose à faire qu'à râler ? Vous râlez, vous vous ennuyez. Mais regardez autour de vous bon sang ! La vie quotidienne vous pèse ? Elle est fantastique ! L'extraordinaire est à chaque coin de rue, chaque rame de métro, chaque table de bistrot ! C'est ça que raconte cette BD - et ne vous attardez pas au titre, ça ne parle pas que des jeunes. C'est cette maman qui fout des raclées à un pauvre môme alors qu'il joue tranquille, c'est cette femme qui raconte à sa copine qu'elle s'est retrouvée à l'hôtel pour la première fois avec son amant qui l'a laissée là à quatre pattes au bout de trois minutes avec du sperme dans les cheveux, c'est cette discussion de bistrot où un gars affirme à son pote que les Men in Black existent bel et bien aux USA...

Et c'est fantastique parce que c'est vrai, ce sont de réelles tranches de vie que bande-dessine Riad Sattouf. C'est tout bête, c'est tout con, c'est parfois violent, souvent drôle, voire incroyable. Et généralement tout ça à la fois. Mais la vie du coin de rue dépasse toujours la fiction, quand on regarde bien autour de soi. Faites-le : observez, et... vous verrez. Riad Sattouf observe remarquablement bien, et il raconte avec justesse, concision et goût du détail qui tue.
Alors oui, je me réveille tardivement - le tome 1 c'était il y a dix ans, une paille - mais je... mais je... Et puis merde.


Pour aller plus loin

Alors moi je n'ai pas de conseils à vous donner hein, mais dans le genre "tranches de vie" curieuses, insolites, rigolotes ou bizarres, il y a un excellent blog sur des scènes dans le métro parisien, qui s'appelle subtilement "Zarbi dans le Métro". C'est vraiment bien, vous verrez. Ce sont des textes qui se picorent, ça s'apprécie encore plus en buvant un diabolo menthe ou un bon verre de vin blanc. Je préconise. D'autant plus que c'est moi qui le fait :)

La vie secrète des jeunes (3 tomes), par Riad Sattouf. Ed. L'Association

samedi 19 août 2017

Monteperdido : Polar, paumé


Monteperdido : un village de montagne acculé contre les plus hauts pics des Pyrénées. Des routes sinueuses, impraticables en hiver, des congères, des rivières qui débordent. Quelques familles, souvent coupées du monde, des sangliers et des chevreuils dans les forêts de peupliers et de pins noirs. C’est là que disparaissent un jour deux fillettes de onze ans qui, comme tous les soirs, traversaient la pinède de retour du collège. Malgré la mobilisation exemplaire du village, on n’a jamais retrouvé leurs traces.
Cinq ans plus tard, au fond d’un ravin, une voiture accidentée et le cadavre d’un homme. À ses côtés, une adolescente désorientée mais vivante : Ana, une des fillettes disparues. Si l’autre est toujours en vie, le temps presse. Qui se cache derrière cet enlèvement ? Deux inspecteurs de Madrid viennent rouvrir l’enquête mais se heurtent à l’hostilité des habitants qui chassent en meute, faisant front contre l’élément exogène, prêts à lutter jusqu’à la mort pour cacher leurs terrifiants secrets. Il apparaît pourtant qu’Ana connaît son ravisseur. Est-ce uniquement la peur et la proximité de son bourreau qui la musellent ? Comment comprendre la troublante triangulation qui s’est jouée pendant cinq ans dans le sous-sol exigu d’un refuge de montagne ? Un roman puissant, âpre et vertigineux à l’image de son saisissant décor.

(Présentation éditeur)

Oppressant. Oppressant le cadre : celui d'un coin paumé des Pyrénées, côté espagnol, isolé du monde quand il fait beau, isolé de l'univers quand l'hiver arrive. Oppressant le rythme : l'intrigue avance aussi lentement que le temps qu'il faut pour atteindre, à pieds, les hauteurs de ce bien nommé "Mont Perdu", Monte Perdido en espagnol. Oppressant comme cette impression d'être perdu dans l'histoire, parfois, un peu comme ce site est perdu dans la montagne. Oppressant comme cette atmosphère lourde, lourde comme une réunion de famille du dimanche midi qui tourne mal, avec ces discussions qui effleurent les problèmes ancestraux de la lignée, sans en parler de façon trop nette pour ne pas faire exploser le noyau familial, qui chatouillent des secrets, mais lesquels, bon sang, lesquels... Un invité - un lecteur - sentirait qu'il y a un truc qui ne tourne pas rond, mais quoi bon sang, quoi... On l'a sur le bout de la langue, il y a un truc qui gêne. Sauf que là il s'agit de vies et de morts, de gamines qui disparaissent et dont l'une réapparaît cinq ans plus tard, et qui ne dit pas tout, c'est sûr. De secret de famille, à tous les coups. De famille élargie : le poids des secrets impacte tout le village, pour l'occasion.

Winter is coming
Alors il faut avancer doucement, doucement mais sûrement, la pression est forte, le temps passe, il reste une gamine à retrouver, sa copine de malheur ment, et comme dans une série fort connue, l'hiver approche. Et pousse à se dépêcher. Dans tout cela, les êtres les plus prévisibles, les plus stables, restent les animaux de la forêt et de la montagne, discrets mais présents dans l'intrigue. Alors on s'y accroche, à cette intrigue, même si elle est lente, complexe, trop lente, parfois trop complexe. A l'image des relations sociales dans ce village, sans doute, mais rien ne nous sera épargné pour sentir leur lourdeur. Alors on s'accroche pour aller au bout du chemin, de l'intrigue, mais on ne s'y attardera pas.

Monteperdido, de Agustin Martinez. Ed Actes Sud, Coll. Actes Noirs. 2017.

mardi 25 juillet 2017

Elysium : 2154, retour à l'ère binaire



Pour une période de vacances dans un coin de France où il fait moche (je ne dirai rien des lieux pour ne pas vous empêcher de venir vous aussi supporter une fin juillet avec un pull), regarder Elysium sur un site de VOD est une bonne occupation. Au moins, ça ne prend pas la tête, de toute façon mon crâne est déjà cerclé d'une pauvre casquette de vacancier qui ne parvient pas à atténuer un froid anesthésiant. Dans ce film de science-fiction (nous sommes en 2154), il y a les bons et les méchants, les riches et les pauvres, une Terre pourrie, polluée et sale pour les pauvres où on parle espagnol et anglais, et une station spatiale nommée Elysium, propre et écolo, avec des appareils médicaux qui peuvent guérir absolument tout et garantir la bonne santé éternelle (retenez bien cela), pour les chanceux fortunés, où on parle anglais et français (ça doit faire chic).



Là dessus, pour être sûr de ne pas perdre les spectateurs insuffisamment rompus aux codes de la SF, on colle à l'intrigue un peu d'amour, de trahison-mais-non-car-en-fait-je-reviens-vous-sauver, de bonnes bagarres à la John Wayne où le gentil il gagne en étant plus malin que le méchant qui est plus fort mais il est bête, et sauf que ce serait des cow-boys revêtus d'exosquelettes. Toujours pour marcher dans des univers cinématographiques connus, dans les gentils il y a toujours - surtout dans la SF - un matheux informaticien qui est fatalement pas beau et vaguement handicapé (souvent il a des grosses lunettes maies là dans Elysium il a juste une jambe pourrie). Il est tellement fort en informatique qu'il lui suffit de bouger vite les doigts sur le clavier pour faire défiler des données qui apparaissent en vert sur fond noir. Conclusion : il n'a pas fait la mise à jour Windows depuis 1983. Il ne doit pas être si expert que ça...

Le CHSCT, c'est pour faire beau

Pour le reste l'histoire est assez maline, avec le héros qui, au début, veut travailler honnêtement après avoir été trop longtemps malfrat car l'objectif était de ramasser le plus d'argent possible pour un jour s'acheter un aller simple pour Elysium. Mais il se fait irradier par une machine au boulot, à cause d'un chef qui ne respecte pas la sécurité de ses travailleurs car il est sous pression de rendement par son patron qui est une ordure absolue. Bref le CHSCT, c'est juste pour faire beau. Résultat notre héros doit absolument monter très vite sur Elysium pour se faire guérir par les appareils médicaux miracles, et pour ça il fait un truc pas bien pour obtenir un ticket de la part de l'informaticien au pied-bot qui peut vendre des vrais-faux passeports fabriqués par ses ordinateurs, et qui est aussi chef d'une bande de malfrats mais qu'on devine aux coeurs tendres : le deal, c'est que le héros malade doit choper les données cérébrales d'un citoyen d'Elysium en les téléchargeant dans son propre cerveau, afin de lui voler des infos, des codes de comptes en banques notamment, je vous passe les détails technologiques c'est prodigieux. Le citoyen victime ce sera justement le méchant patron de son usine, que le héros attaque, mais sauf qu'il tombe sur des données de dingue dans ce cerveau véreux : celles qui permettraient de donner la citoyenneté Elysiumienne à toute l'Humanité. Comme quoi c'est pas bien de vider le cerveau de quelqu'un mais là, la bonne cause y est, on va sauver l'Humanité et guérir tous les malades du monde, ouf. Au passage, dans le cerveau il y a de quoi aussi prendre le pouvoir sur Elysium, donc ça excite plein de méchants, je ne vous raconte pas tout. Et comme le héros est fondamentalement gentil, qu'il est amoureux d'une amie d'enfance qu'il recroise par hasard à l'hôpital et dont la fille est atteinte d'une leucémie (vous voyez venir le morceau d'intrigue), que l'informaticien chef de voyoux pas méchants est gentil, bref à la fin on n'a pas vu un jeu d'acteurs d'une grande finesse, mais le rythme est prenant, et surtout ça finit bien, ou presque, ou ça dépend pour qui, mais ça je n'en spoilerais pas plus.

Elysium, film sorti en 2013. Réalisé par Neill Blomkamp. Avec Matt Damon et Jodie Foster. 

samedi 24 juin 2017

14-18, Le Diable Rouge : Histoires fortes sur Histoire violente


Rappelons le concept : une série BD qui raconte la vie quotidienne de huit jeunes hommes issus du même village, mobilisés en 1914, qui ne savent pas encore qu'ils vont traverser plusieurs années d'enfer, de sauvagerie, de privations, de peur et de mort. Le tome 7 est sorti en avril 2017, il place le décor en avril 1917, il y a tout juste un siècle. La tragédie - une de plus dans cette guerre monstrueuse - commence le 16 avril, à 6 heures du matin, avec le début de la bataille du Chemin des Dames, dite aussi "offensive Nivelle", du nom du Général français qui avait imaginé qu'en 24 heures, 48 heures tout au plus, grâce à une progression de 100 mètres toutes les 3 minutes, les lignes allemandes seraient percées sur le "Chemin des Dames" entre Reims et Hurtebise, pour permettre aux forces françaises de s'y engouffrer et obtenir l'effondrement rapide de l'armée ennemie. Autant le dire, c'est un échec, et les pertes sont nombreuses. Or cela fait trois ans que la guerre a commencé, les soldats en ont ras le casque, les familles en ont ras le deuil, et des mutineries se produisent de plus en plus souvent, parfois encouragées par le vent de révolte voire de révolution qui souffle depuis la Russie.

Mature et complet

Ce septième épisode de "14-18" est sans doute le plus mature et le plus complet. On l'a vu, la grande Histoire qui en constitue le cadre est tragique. Elle est bien expliquée par les personnages au fil des pages. Les "petites" histoires des personnages quant à elles sont émouvantes, sans être cucul comme cela a pu être le cas dans certains épisodes précédents. Les soldats ont une immense conscience de ce qu'ils vivent et de ce qui les attend : ils savent qu'ils vont mourir, qu'ils sont guidés par des officier complètement fous et déconnectés de la réalité, ils sont habités par la mort, et ils le disent, ils le dessinent pour certains, ils l'écrivent à leurs familles. L'un d'eux se rebelle, appelle ses camarades à déposer les armes, à lorgner vers les révoltes russes. Mais comme il n'y a pas assez de morts, il est arrêté et fusillé. Les personnages s'engueulent, fraternisent, se solidarisent. A l'arrière, les femmes pleurent leurs morts, elles travaillent, et continuent de subir, même à l'usine, le patriarcat qu'elles connaissaient déjà dans leur foyer et leur village. Entre la sauvagerie de la guerre et la dureté des rapports sociaux, cet épisode dessine une époque, pas si lointaine, d'une grande violence.

La page 7


14-18 tome 7, Le Diable Rouge (avril 1917). Par Corbeyran et Le Roux. Editions Delcourt, avril 2017.

vendredi 28 avril 2017

Saint-Barthélémy, "Tuez-les tous !" : A lire car le cauchemar prend chair



Paris, 24 août 1572, cinq heures du matin. Le tocsin de l’horloge du Palais donne le signal du massacre. Aucun huguenot ne doit survivre à cette journée placée sous le signe de la colère de Dieu.
La fureur s’empare des catholiques qui tuent à tour de bras hommes, femmes et enfants. Charles IX tente de reprendre la main sur une situation qu’il a lui-même provoquée mais assiste, impuissant, au carnage.
Elie Sauveterre, jeune protestant, tente d’échapper à la mort et de rejoindre son roi, Henri de Navarre, reclus au Louvre. Son chemin croise alors celui de son jeune frère Clément, devenu catholique fanatique à la solde du duc de Guise…

(présentation éditeur)

Voici le deuxième tome d'une série de trois albums sur le massacre des protestants lors de la Saint-Barthélémy à Paris, en 1572. La chronique que j'avais écrite à l'occasion du premier tome, je n'en enlève rien aujourd'hui, c'est pourquoi je la rappelle ci-dessous. J'ajouterais juste que dans cette période actuelle bien pourrie, avec un Front national aux portes du pouvoir, il est bien de se rappeler à quel point la haine attisée par certains secteurs politiques extrémistes a, de tous temps, pu conduire à des malheurs, des larmes et du sang. Je ne sais pas si le Front national au pouvoir lancerait le "peuple" dont il se croit le porte-parole sur une tuerie du même ordre, contre les musulmans, les homosexuels ou tout autre bouc-émissaire. Je ne sais pas si Le Pen lancerait "Tuez-les tous" comme le pouvoir royal l'avait crié en 1572. Mais quand on réveille la bête immonde, elle est prête à bondir, à massacrer, à diviser, à rendre une partie des gens cons et dangereux. Dans le contexte actuel, la lecture de cet album fait écho à des cauchemars qui pourraient bien prendre chair. Cette BD, il faut la lire tant qu'il est encore temps.

*****

Chronique du 24 octobre 2016 sur le tome 1 de Saint-Barthélémy

Imaginez une religion minoritaire qui fait peur parce qu'elle est en expansion, qu'elle semble remettre en cause des équilibres sociaux ancestraux, qu'elle vient de "l'étranger", qu'elle est ingérable parce qu'elle n'a pas de hiérarchie, qui suscite la haine... Ne cherchez pas : on parle ici du protestantisme au 16e siècle. L'intolérance contre la Réforme est vive de la part des catholiques ultra-majoritaires. Les guerres de religions ont commencé. Elles sont motivées en apparence par les raisons de l'âme. Elles sont surtout gonflées par les colères sociales du moment, excitées et orientées opportunément par les puissants de ce monde selon leurs intérêts politiques. Jusqu'au tragique, jusqu'au massacre. 

Temps réel
Le tome 1 de Saint Barthélemy (qui devrait compter trois épisodes) est une excellente BD qui relate l'événement sanglant du même nom : le massacre des protestants de Paris un soir d'été. L'intrigue est bien rythmée, en collant au temps réel pendant l'essentiel de l'ambum. 
En focalisant sur ce moment terrible, la BD en profite pour faire un point d'histoire, mais aussi pour interpeller le lecteur sur la violence et la barbarie que peuvent revêtir les conflits religieux et l'intolérance. Que le lecteur se contente de lire une BD historique sur les massacres d'une nuit parisienne, et il aura raté le meilleur : la dénonciation de l'intolérance, qu'elle soit d'extrémisme religieux ou philosophico-laïcarde - deux tendances hélas croissantes de nos jours et reposant sur les mêmes piliers : identité communautaire, prétention, volonté de domination, exclusion. 
Il a suffit d'une étincelle sur les brindilles séchées par de mauvaises récoltes, des guerres meurtrières et des paix insatisfaisantes, des conflits politiques et des tensions géopolitiques, des incompréhensions religieuses et le recours aux bons vieux boucs émissaires, pour que le massacre de la Saint-Barthélémy se produise. Aujourd'hui certains ingrédients sont de nouveau dans la marmite. Gageons que l'étincelle qui jaillira sera cette fois-ci celle de l'intelligence, favorisée par la laïcité, contre la barbarie qui pointe son nez sous le regard gourmand de certains apprentis sorciers politiques. 

La page 6


Saint-Barthélémy - Tome 2 "Tuez-les tous !".  Pierre Boisserie, Eric Stalner. Editions Les Arènes. 2017.

samedi 1 avril 2017

Revue Dessinée de printemps : De quoi choquer, s'interroger, grandir, s'engager


C'est une honneur de tenter de déployer une art, celle de porter critique sur un ou plusieurs images, ceux, en particulier, qui composent ce nouveau numéro de la Revue Dessinée. Malmener ce dernier serait un erreur, voire un insulte, un ombre sur mes pensées, que dis-je, un affaire bien plus grave que celui qui frappe certains candidats à la présidentielle !

Non, je n'ai pas viré Jane Birkin. Ce paragraphe est écrit en respectant le genre des mots tels qu'il était avant que les vieux cons de l'Académie française les dévoient au 17e siècle. Car oui, déjà à l'époque, ces vieux cons sévissaient, et oui, ils l'étaient déjà, vieux et cons. Pour décider que des mots porteurs de force et de puissance devaient être masculinisés, et les mots "mols" féminisés, il en fallait une sacrée couche. C'est pourtant ce qui fut fait, en même temps que la fameuse règle du "masculin qui l'emporte sur le féminin" pour les adjectifs qui suivent une énumération, alors que c'était le genre du dernier mot de l'énumération qui donnait le ton, antérieurement. Inquiets pour leur virilité, il leur fallait manipuler les mots pour se doter d'un pouvoir...


Cette info peu connue, la Revue Dessinée de printemps la livre, comme elle livre depuis 15 numéros des enquêtes, reportages et analyses bourrées de connaissances, sous forme de BD. De quoi choquer toute personne douée d'un minimum de volonté d'égalité entre femmes et hommes, comme avec cette rubrique régulière sur la sémantique. De quoi aussi interroger nos habitudes de consommation, avec une enquête sur "le poids du clic", qui démontre comment l'empreinte carbone de nos activités sur internet est bien plus négative qu'on ne le pense (si Internet était un pays, il serait le 6e plus gros consommateur d'énergie au monde). De quoi grandir en citoyenneté, en lisant comment une loi - en l'occurrence la loi Macron - est élaborée, entre projet politique, manœuvres partisanes, rapports de forces parlementaires, arcanes des fonctionnements institutionnels... De quoi rester vigilants, avec une enquête sur les nouveaux paysages miniers, sur les guerres économiques qui se dessinent pour exploiter de nouveaux filons dans nos sous-sols, y compris hexagonaux, pour en extraire des métaux aussi rares que polluants mais hélas indispensables pour le fonctionnement de nos tablettes, smartphones et autres outils high-tech...

De quoi désespérer un peu de notre monde ? Que nenni. D'abord on peut pratiquer la boxe pour se défouler (un petit reportage rigolo sur le sujet), aller au cinéma, écouter de la musique, admirer une image (avec les rubriques dédiées) pour titiller nos passions artistiques. Ensuite il n'a jamais été question de baisser les bras : en cette période pré-électorale, plus que jamais, il faut s'informer, non pas pour pleurer misère, ni pour phosphorer dans des projets fumeux irréaliste, mais pour trouver la voie médiane, celle de l'engagement. La Revue Dessinée y contribue.

Revue Dessinée n° 15. En vente en librairie, 15 euros. Le sommaire, sur le site de la revue, c'est ici.

Et pour relire toutes mes chroniques sur la Revue Dessinée, c'est ici ! 

vendredi 24 mars 2017

L'Ambulance 13, tome 7 : Une ambiance de fin de guerre


Après la mort d’Émilie, Bouteloup est désespéré. Ses deux amours, son père et trop de ses amis ont été tués au cours de la Grande Guerre. Mutilé de la face et mis en disponibilité, il se sent inutile. Jusqu’au jour où le lieutenant-colonel d’Avrainville lui demande d’accompagner la folle équipée du général Jouinot-Gambetta en Orient. Louis accepte, à condition de reformer l’Ambulance 13. Au terme du voyage : Uskub, théâtre à venir de la dernière charge de la cavalerie française.
(Présentation éditeur)


Si cela ne parlait pas d'une des guerres les plus sanguinaires et cyniques de l'histoire, on pourrait appeler L'Ambulance 13 une série hospitalière. Mais le décors est celui de la guerre 1914-1918, et l'intrigue s'appuie sur la mise en place d'un service de santé "moderne" au sein de l'armée française, pour sauver les soldats ou les remettre d'aplomb pour retourner au combat. Autant dire, un service aux premières loges de la souffrance des Poilus ou de ce qui en reste après une ou deux montées au front. Autant dire (bis), rien de drôle, rien de léger. Le "héro" de la série, Louis-Charles Bouteloup, jeune officier médecin, il n'en reste pas grand chose dans ce 7e opus. Gueule cassée - il camoufle la moitié de son visage ravagé sous un masque -, vie brisée - la femme qu'il aime est morte mais vient hanter chacun de ses instants -, il s'accroche plus ou moins à la vie en se plongeant dans sa mission de sauver des vies humaines. Non plus dans le cloaque des tranchées marnaises, mais, cette fois-ci, sur une autre front, celui de l'Orient. Ce qui transporte, au passage, le lecteur dans des paysages tragiquement splendides magnifiquement dessinés par l'excellent Alain Mounier.
Mais sous ces paysages nouveaux et somptueux, l'histoire de Bouteloup transpire la fin de vie. Et sans doute aussi, la fin de série au prochain tome.

Un peu plus d'anatomie que dans les précédents albums.


Cinq étoiles

Au-delà de la dépression du jeune médecin - on y sombrerait à moins - le scénario a du mal à nous emporter, plongeant plus souvent que dans les épisodes précédents dans des considérations chirurgicales à coups de terminologies anatomiques qui ne parlent qu'aux "professionnels de la profession". La BD reste d'une grande qualité, la série mérite cinq étoiles (pas celles des gradés toujours aussi meurtriers dans cette boucherie historique !). Et au moins, contrairement à une série hospitalière télé, elle aura le bon goût, très certainement, de finir son histoire, de boucler la boucle, et de reposer en paix.

La page 7


L'Ambulance 13, tome 7. "Les Oubliés d'Orient". Patrice Ordas, Alain Mounier. Editions Bamboo. Octobre 2016. 

vendredi 17 mars 2017

Soda n°13 : Une résurrection dure à vivre


Comme chaque année, ignorant toujours le vrai métier de son fils, Mary Solomon réclame une simple rose pour son anniversaire, mais pas n'importe laquelle : une de ces délicates roses blanches que son ami fleuriste vend désormais à la sauvette dans une proche station de métro.
Mère et fils arrivent ensemble sur place, mais tandis que le "pasteur" Soda négocie avec le vieux vendeur l'achat de tout son stock de roses, Mary a l'attention attirée par un personnage sombre, à la physionomie vaguement orientale, porteur d'un sac à dos.
Ce dernier a, par inadvertance, laissé tomber une enveloppe contenant une importante somme que Mary, s'éloignant de son fils pour trottiner dans la foule des navetteurs, tente de lui restituer. Mary est cardiaque, pas bien agile, mais au bout d'une ou deux minutes, elle parvient néanmoins à interpeler timidement l'inquiétant personnage. Dissimulant mal sa surprise, il s'empresse de s'éloigner avec l'enveloppe... avant de se raviser... pour glisser à l'oreille de la vieille dame : "Ces jours-ci, ne prenez surtout pas le métro !"
Soda ne prend connaissance de l'anecdote que Mary lui confesse naïvement que dans la soirée. Il se lance alors avec 8 heures de retard sur la piste de Khalid Cheik.
(Présentation éditeur)

Ne dites pas à sa mère qu'il est flic, elle le croit pasteur. Un mensonge œdipien (je vous épargne l'analyse psy) qui constitue le fil rouge de Soda, une bonne série d'action policière au décor new-yorkais, légère et pleine de suspens. C'est bien simple, ça s'agite comme dans Starsky et Hutch, mais en plus subtil. 

Soda vit chez sa maman, c'est un bon fils, il part le matin habillé en pasteur, sa mère lui souhaite une bonne journée à distribuer la bonne parole, il se change dans l'ascenseur et se retrouve en bas de chez lui en tenue de flic, prêt à distribuer les coups et les balles. Et depuis douze aventures, c'est comme ça, et ça se passe avec des bing et des paf, des énigmes, du suspens.

Sorti en 2014 (oui ça commence à dater, permettez-moi de prendre le temps que je veux), attendu depuis neuf ans pour des raisons que je vous laisse lire ici, ce tome 13 a une caractéristique : il est glauque. Est-ce que c'est le nouveau dessinateur de Soda ? Non, le trait de Dan Verlinden, et son style, sont  propres et dynamiques et restent dans la lignée des albums précédents. Est-ce le scénariste ? Le grand Philippe Tome est toujours à la barre, comme aux premiers pas de son personnage. La raison est sans doute à chercher dans l'histoire encore récente de New York, ville qui fait partie intégrante de la série, qui lui en donne le ton, l'univers, le contexte, la couleur, la violence et presque l'odeur. New York, c'est un compagnon de Soda. Or, New York a été agressée en 2001. Il fallait en parler un jour. Les auteurs de la BD semblent avoir voulu exorciser ces attentats, et ont donné un cadre "terroriste" à l'intrigue. Là où, jusque là, les histoires de Soda avaient un petit air d'insouciance, de série télé, celle du numéro 13 est grave, sombre, déprimant. Le personnage principal est lui-même déprimé. Il vaut mieux avoir le moral pour lire cet album. La "résurrection" (son titre), une expérience manifestement dure à vivre...

La page 7



Soda, tome 13. Résurrection. Par Dan et Tome. Ed. Dupuis. 2014. 

vendredi 10 mars 2017

Les Yeux rouges du Caïman : Un polar sur le Mur, qui picole très très dur



A Loguivy-de-la-mer, près de Paimpol, l’ex-flic Pogam lance une page facebook, à la recherche d’une affaire trouble à laquelle se mêler. Et pour ça, il va être servi ! Son pote, Harteau,le branche sur un trafic de diamants. Tout s’enchaîne coup sur coup : une blonde mystérieuse roucoule avec qui faudrait pas, un type se fait descendre et Baudouin, son pote Baudouin, qui ne trouve rien de mieux qu’à les lui casser avec son caïman empaillé ! Un vrai sac de nœuds.
(Présentation éditeur)

Un polar à suivre au travers des posts que le narrateur dépose sur son mur Facebook : l'idée est originale. Bien sûr la vraisemblance n'est pas au rendez-vous, car on voit mal un enquêteur dévoiler ses avancées sur un réseau social aussi exposé à tous les vents virtuels de la toile. Même si l'enquêteur en question est un flic défroqué et un alcoolique défoncé.
Mais tout cela n'est pas très grave, le support rédactionnel de ses pérégrinations permet toutes les libertés narratives, et nous voilà embarqués dans ses pensées, dans ses enthousiasmes, dans ses gueules de bois, et surtout dans son aventure un tantinet tarabiscotée. Et comme justement monsieur n'a pas toujours l'esprit très clair, le lecteur peut être rattrapé par une forme de réalisme : on n'est jamais très loin de s'embourber dans la confusion d'un personnage sans doute un peu trop imbibé... Heureusement l'histoire en elle-même, une fois qu'on en a saisi le fil, n'est pas spécialement compliquée. Elle est même parfois un peu prévisible. Mais pour l'originalité de l'ensemble, le style très enlevé, imagé et dynamique, je n'hésite pas : je like et je partage.

La page 7



Les Yeux rouges du Caïman, de Jo Mével. Editions L'Arlésienne. 42 pages. 2016. Pour acheter cet ebook, c'est ici. 

mardi 21 février 2017

Demain : Des utopies, mais en vrai


Le monde va mal. Personne n'en doute, même ceux qui en tirent profit. Il faudrait le changer. Chacun en convient. Sauf ceux qui l'exploitent abusivement. Le changer oui, mais comment ? Pas par des aventures politiques globales qui imposeraient un nouvel ordre à l'ancien par des décisions tout droit tombées du ciel ou du comité central. Au contraire, partir du local, pour changer, pas à pas, peu à peu (mais pas trop lentement quand même, ça urge !) le monde.

Le fameux slogan écolo "du local au global", usé jusqu'à la fibre de chanvre : on y croit ou on n'y croit pas ? Pour sortir du questionnement quasi religieux qui se pose face aux idéologies qui promettent la lune (ou le paradis, ou le bonheur du prolétariat), l'actrice Mélanie Laurent et le réalisateur Cyril Dion sont partis du concret, de l'existant, des actions qui se vérifient et s'évaluent. Dans Demain, ils présentent un échantillon de ce qui se fait de mieux dans le monde entier en matière de réalisations dans les domaines économique, citoyen, éducatif, agricole... Toutes vont dans le même sens : une reprise en main des gens sur leur vie, leur consommation, leur production, hors des autoroutes battues du capitalisme dominant. Les acteurs (dans le sens de ceux qui agissent, pas des comédiens) expliquent par A + B pourquoi battre monnaie locale est bénéfique pour l'économie, pourquoi revenir à une agriculture plus manuelle produit plus et mieux d'aliments, pourquoi il est possible de créer plus d'emplois que les multinationales, pourquoi l'éducation dans les pays nordique est bien plus efficace qu'en France... Des utopies, mais en vrai. 

Gouttes d'eau bienfaisante
Tout cela est convainquant, enthousiasmant, donne envie de s'y mettre soi-même là, tout de suite, à sonner chez les voisins et leur dire "Allez hop, ça assez duré, on change le monde, à commencer par notre quartier !" Et ça a quelque chose d'effrayant, de penser qu'il ne s'agit  que de quelques gouttes d'eau bienfaisante seules dans un océan déjà trop pollué... Mais ce n'est pas parce que la tâche est immense qu'il ne faut pas commencer. Il est déjà assez tard comme ça. Allez, on s'y met. 



Demain, documentaire de Cyril Dion et Mélanie Laurent. 2015 
Des infos pour aller plus loin sur le site du film.

jeudi 16 février 2017

Quinquennat : Les services secrets US pointent le risque d'extrême droite en France

Voici une note des services secrets américains sur la situation politique en France. Nous sommes à l'approche de l'élection présidentielle en France. Les sondages sont clairs, le Mouvement patriote sera au deuxième tour, et les risques qu'il accède au pouvoir sont réels. De quoi inquiéter les Etats-Unis, qui sont prêts à soutenir l'autre candidat qui serait qualifié pour le deuxième tour face à l'extrême droite, Philippe Launay.

Un parti et un candidat encore inconnus ? Et pour cause, nous sommes dans un roman. Dans Quinquennat, deuxième tome de la Trilogie de l'Emprise (dont j'ai chroniqué le premier tome) l'auteur Marc Dugain imaginait ce scénario dès 2015. Un scénario d'une proximité frappante avec ce que nous vivons. L'extrait ci-dessous, qui expose donc une note des services secrets US, décrit très bien la situation actuelle de la France. Je chroniquerai le livre une fois terminé de le lire, mais dans l'attente, je partage cet exposé d'anticipation très réaliste... 

"De tous les pays de l'Union européenne, la France nous paraît être celui qui représente le plus grand risque pour les intérêts américains. Après avoir eu longtemps un parti communiste fort, particulièrement pendant la guerre froide, la plupart des électeurs auraient suivi le chemin le plus court pour rejoindre l'extrême droite, l'extrême gauche sous forte influence trotskiste étant l'ennemi héréditaire. S'y sont joint une masse de mécontents qui éprouvent un sentiment de malaise grandissant dans le processus de globalisation auquel la France, venant d'un système composite d'économie mixte, n'était pas préparée. Son appareil de production a été frappé de plein fouet par la mise en compétition des entreprises françaises, bénéficiant de technologies avancées mais handicapées par le poids des charges publiques et par des rapports entre décideurs et employés très détériorées. Il s'ensuit que, plus que jamais, la France, habituée à amortir les crises, amortit désormais la croissance. Ses dirigeants, issus en majorité de la haute administration française, n'ayant pas eu le courage d'imposer les réformes quand il était temps, attendent maintenant la croissance comme les officiers français attendaient les Allemands sur la ligne Maginot.

Un autre phénomène nous paraît également prégnant. C'est celui du fossé entre le pays profond et ses élites, en particulier politiques, qui ajoutent à une attitude constante de suffisance un goût pour l'argent qui va jusqu'à la prévarication sur des montants considérables avec un sentiment d'impunité rare dans une démocratie de cette importance.

Il serait faux de croire que cette frange croissante de la population est majoritairement d'obédience fasciste. Que l'extrême droite n'ait jamais été aux commandes lui octroie une virginité qui, alliée à un langage simple, direct et non technocratique, en fait pour beaucoup de Français la seule alternative crédible à une classe politique non représentative favorisée par un scrutin qui exclut une grande partie de la population de la représentation nationale.

Virginité politique

Le Mouvement patriote est clairement issu de l'extrême droite et ses dirigeants sont dans la ligne du populisme antisémite et raciste même si désormais ils s'en défendent. Nos experts sont convaincus que ce parti pourrait atteindre plus de la majorité des votants en France grâce à une abstention croissante. Le refus des partis en place d'évoluer vers des élections législatives à la proportionnelle maintient le Mouvement patriote loin du champ des responsabilités, situation qui non seulement en fait un martyr mais lui conserve sa virginité politique.

L'électorat de ce parti est pour un repli de la France sur elle-même au détriment de l'Europe, mais, pire encore, il est profondément antimondialiste et contre tout accord de libre-échange entre l'Europe et les Etats-Unis. Sur le plan diplomatique, leur modèle est clairement plus la Russie que les Etats-Unis.

La faiblesse de l'équipe gouvernementale en place nous conduit à prendre très au sérieux le risque d'élection d'un président issu du Mouvement patriote ou, dans le cas contraire, d'une déstabilisation de la France devant le non-retour à la croissance."

Extrait de Quinquennat, de Marc Dugain. Folio. 2015 (pour la première édition).

vendredi 20 janvier 2017

Blanche Neige : Un baby-catting pathologique


Vous êtes jeunes parents, votre enfant est un trésor, c'est le centre du monde. Vous êtes prêts à tout pour lui. Surtout quand il y a quelque chose qui cloche et qui vous met de mauvais poil. Vous êtes même prêts à rendre visite à des pâtées de médecins aux spécialités qui fleurent bon l'angoisse parentale : orthophonistes, psychiatres... Bref, vous êtes prêts à sortir le grand jeu, et même vos griffes.

Et pourtant. Il serait si simple de respecter la morale de cette nouvelle rondement contée et au final flippant : n'appelez jamais votre chat Blanche Neige s'il a le pelage noir ; ne laissez jamais votre enfant seul avec un chat noir qui s'appelle Blanche Neige.

Voilà, vous appliquerez ça matin, midi et soir. Pendant une vingtaine d'années, ça devrait suffire. Ça fera 60 euros pour cette consultation. Mais pour vous je la fais à 0,99 euro.

Blanche Neige, de Ségolène Roudot. Ed. L'Arlésienne. 2017. 

dimanche 15 janvier 2017

Parfaites : Adrénaline et ballerines


Deux jeunes filles violées dans une violence extrême, des familles qui ne veulent pas porter plainte pour ne pas nuire à la réputation de leurs futures ballerines étoiles et des frères qui semblent totalement indifférents au sort de leurs sœurs. L’inspecteur Julie Bergeron doit essayer de retrouver un agresseur en ne pouvant compter sur le témoignage des jeunes filles agressées, jusqu’au jour où une jeune fille est retrouvée presque morte dans le Vieux Port de Montréal, enroulée dans un vieux tapis. Julie a déjà subi une telle agression il y a plus de 20 ans. Est-ce que son agresseur a été remis en liberté et recommence son jeu macabre avec des adolescentes ? L’inspecteur Bergeron jonglera entre sa vie personnelle, ses souvenirs douloureux et le mutisme des jeunes filles et de leurs familles pour trouver le coupable de ces agressions d’une extrême violence. Un roman au style concis avec beaucoup de dialogues et d’action, présentant les dangers d’internet pour les adolescents. L’interlocuteur peut prendre à la lettre les messages de haine…

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On grimace à lire ce qu'ont subi ces malheureuses jeunes filles, violées et atrocement torturées. On a le sang qui bout et des envie de coller des beignes à leurs parents, qui nient la gravité des faits parce qu'il faut sauver la carrière de leurs enfants, parfaites ballerines en formation, parfaites futures stars du tutu. On compatit aux affres de l'inspecteur Bergeron, qui mène l'enquête avec cette part de combat personnel de celle qui a subi ce qu'ont subi les victimes. On se lance, avec elle, sur de fausses pistes, on soupçonne à tort, on attend la victoire du bien sur le mal, de la raison sur la folie. Résultat on avale ce polar au plus vite, non par volonté - car il est fort bien écrit -, mais par nécessité - car on le vit et qu'on veut savoir, car il faut savoir.

Alors bien sûr les esprits chagrins noteront qu'il y a parfois des hasards miraculeux, des coïncidences faciles, des retournements rapides. Mais peut-on, en ce monde tordu, avoir du plaisir à se laisser porter, à se laisser envahir par quelques doses d'adrénaline, sans se voir reprocher de s'adonner à cette drogue naturelle ? C'est du très bon polar, et j'en recommande la consommation.

Parfaites, d'Isabelle Larocque. Editions L'Arlésienne. 160 pages. Décembre 2016. Pour se procurer cet ebook, consulter ce lien

samedi 14 janvier 2017

S'enfuir, récit d'un otage : Un lit, un radiateur, un homme attaché



En 1997, alors qu'il est responsable d'une ONG médicale dans le Caucase, Christophe André a vu sa vie basculer du jour au lendemain après avoir été enlevé en pleine nuit et emmené, cagoule sur la tête, vers une destination inconnue. Guy Delisle l'a rencontré des années plus tard et a recueilli le récit de sa captivité – un enfer qui a duré 111 jours. Que peut-il se passer dans la tête d'un otage lorsque tout espoir de libération semble évanoui ? Un ouvrage déchirant, par l'auteur de "Pyongyang", de "Shenzhen", de "Chroniques birmanes" et de "Chroniques de Jérusalem".
(Présentation éditeur)

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Une BD de 430 pages pour raconter l'histoire vraie du quotidien d'un otage qui va vivre 111 jours enfermé dans 15 à 25 mètres carrés (selon les périodes), le poignet menotté attaché à un radiateur ou à un anneau scellé au sol. Un homme qui bouge peu, donc, sauf quelques pas accompagnés pour se rendre aux toilettes ou un quart d'heure sans entraves le temps de prendre un repas plus liquide que solide. Son environnement est restreint : une couche, un radiateur, une fenêtre quasiment obstruée. Et rien d'autre. Rien dans le quotidien pour occuper le temps. Rien dans la pièce pour distraire les yeux. Tout est dans le détail qui rompt la monotonie : des bruits sourds contre les murs, les éclats de voix inhabituels, les sons de la rue. Le rayon du soleil qui parvient à se glisser entre deux planches qui recouvrent la fenêtre. Et ce qui bouge dans la tête : les pensées, les réflexions, les interrogations, les hypothèses de l'otage qui ne sait pas pourquoi il est là, pour combien de temps, si on pense à lui... "Etre otage, rapporte-t-il, c'est pire qu'être en prison. En prison, tu sais pourquoi tu es là et à quelle date tu vas sortir. Quand tu es otage, tu n'as même pas ce genre de repères. Tu n'as rien."

Quatre cents pages d'un vécu monotone - sauf le début avec l'enlèvement et la fin avec la fuite - et le lecteur reste (sans mauvais jeu de mot)... captivé. Il est vrai qu'on a affaire à Guy Delisle, un auteur coutumier des narrations sereines de situations difficiles (voir notamment les Chroniques de Jérusalem). Narration sereine certes, à partir d'entretiens que l'auteur a tenus avec l'ex-otage, mais derrière les dessins chargés de la langueur monotone d'un temps qui passe trop lentement, on ressent la violence de la situation d'un individu qui n'en est pas un aux yeux des ravisseurs. Qui n'est plus qu'une marchandise à vendre très cher sur le marché. Pas de violence physique, pas de maltraitance. Juste la violence d'être privé de liberté de façon arbitraire, et c'est déjà beaucoup. Pas non plus de revendication politique évoquée dans cette histoire, et c'est tant mieux, car aucune cause ne peut reposer sur le déni de l'individu, sauf à vouloir ériger un pouvoir totalitaire. L'otage a su résister dans sa tête pour rester un humain, il a su s'enfuir, c'est l'essentiel. Narration sereine, témoignage suffoquant, mais à la fin, on respire.


La page 77



S'enfuir, récit d'un otage. De Guy Delisle. Ed. Dargaut. 2016.

mardi 10 janvier 2017

Glacé : A regarder frappé

Je serais vous je testerais. L'intrigue est intrigante, l'image est belle, les acteurs ont du chien et pourtant ça commence par le meurtre d'un cheval (lol mdr ptdr). Et il est question d'un asile psychiatrique avec un des internés particulièrement frappés (dans une série qui s'appelle Glacé, vous voyez le lien ? lol mdr ptdr). Bon mais blague à part c'est vraiment pas mal. 






vendredi 6 janvier 2017

Le Dernier Assaut : Replonger les yeux dans le cambouis


Pour le contemporain qui n'aurait pas encore compris l'horrible boucherie qu'a constituée la guerre 14-18, Tardi remet ici un coup de baïonnette (final ?) sur notre mémoire collective. Il suit Augustin, un "branco" un peu paumé sur le champ de bataille, qui invite le lecteur, au gré de ses rencontres et de ses pensées, à replonger dans les rapports de force géopolitiques de l'époque, à voir l'implication de tant de peuples du monde - du Néo-zélandais au Britannique en passant par l'Africain colonisé - sur des terrains de bataille de dimension si petite, à s'insurger contre les plans meurtriers d'un état-major dépassé par l'histoire, à toucher modestement du doigt à quel point les souffrances des soldats lourdement blessés, amputés ou gueules cassées, pouvaient leur faire regretter de ne pas être morts. 

Au passage Augustin nous fait découvrir le bataillon des "bantams", composé de soldats britanniques de taille inférieure à 1,60 m. Et nous fait réfléchir sur les battements d'ailes des papillons et leurs conséquences sur les ouragans : une scène montre Augustin hésitant à "tirer dans le cul" d'un soldat allemand en train de pisser, qu'il tient en ligne de mire. Il s'abstient finalement de tirer dans le dos de l'ennemi. Pas de bol, le boche n'est autre que le soldat Hitler. 

Pour son dernier assaut contre la boucherie 14, Tardi accomplit une nouvelle oeuvre qui donne envie de ressortir les albums précédents. Replonger les yeux dans le cambouis, pour assainir la mémoire. 

La page 77 (et 88)



Le Dernier Assaut, de Tardi. L'album contient également un CD de chansons liées à la guerre interprétées par Dominique Grange. Editions Casterman. 2016.