vendredi 28 février 2014

Madie : une belle tranche de vie



J'ai bien aimé Madie. Le quotidien, les affres, les questionnements de cette femme, illustrent bien la crise de la trentaine et son cortège d'histoires de couples (dans lequel on est bien et c'est ça qui est nouveau et bizarre, peut-être même loûche), d'amours passées (qu'on a encore en tête mais on est quand même bien avec l'amour présent), de nostalgie (mais en même temps, l'avenir... c'est l'avenir !), de parents qui nous emmerdent (mais dont on ne peut pas se passer)... C'est touchant pour un presque-quinqua de replonger dans cet âge farouche, avec le recul du vieux sage, et un petit sourire compatissant et complice à la fois. Le dessin est agréable, les couleurs aussi, ce qui n'enlève rien au plaisir de lire cette BD.

Madie. Paul Filippi, Mathias Mercier, Damien Raymon. Casterman, Coll KSTR.


dimanche 23 février 2014

"Biscottes dans le vent", avalées vite fait



C'est gentil, bucolique, rapide à lire - comptez vingt minutes pour tourner les 240 pages. C'est l'histoire d'un jeune qui cherche du boulot et qui réussit le concours des Postes et se retrouve, en deuxième partie d'ouvrage, préposé de ce service public dans un bled paumé. Le jeune a une passion : l'aéromodélisme.
Vu comme ça, ça n'a l'air pas terrible. En fait ce n'est pas terrible. Sauf à s'amuser à chercher tous les lieux communs sur les catégories de personnes qui apparaissent dans l'histoire.
Ainsi notre jeune héro est certes au chômage au début de l'histoire, mais il se déchire la gueule avec ses potes, rate donc son rendez-vous boulot.
Il couche avec la voisine - les jeunes ne pensent qu'à ça - mais il est un peu romantique et drague une autre voisine - celle d'en face, qui apparaît à la fenêtre -  grâce à des messages écrits sur des banderoles tractées par son avion miniature (mais néanmoins télécommandé), qu'il fait voler devant la demoiselle, touchée par tant de poésie aéroportée.
Le jeune a des potes qui sont jeunes et abusent de son appart, mais qui ont toujours des trucs à boire et à fumer.
Mais au hasard de l'épopée, on rencontrera également :
- des parents fatalement un peu demeurés, un peu racistes, mais sympas,
- un ouvrier qui lit nécessairement l'Humanité,
- des femmes seules qui sont toutes des excitées sexuelles (même la petite mamie propriétaire aurait aimé se faire son jeune locataire),
- des villageois qui sont nécessairement un peu concons. Exemple, à l'occasion d'un enterrement, ils vont répéter à plusieurs reprises tous les lieux communs possibles ("Nul n'est éternel", "C'est notre lot à tous", "Personne n'y échappe"...),
- un collègue de la Poste qui lance des vannes Carambar tout le temps,
- et des histoires de cul comme dans tout village qui se respecte.
A vous de jouer et de retrouver les personnages !
Sinon, pourquoi ça s'appelle Biscottes dans le vent ? Parce qu'on tourne les pages tellement vite que ça fait de l'air ? Ca pourrait être une très bonne explication. Non, parce que cet album reprend dans sa première partie l'album précédent, intitulé Tartine de courant d'air. Cela vous suffit-il comme explication ?

Pour aller plus loin

Faites comme le héro, faites de l'aéromodélisme. Apparemment ça fait rencontrer l'âme soeur. Sinon rappelez-vous que pour draguer, rien de tel que d'être drôle : allez donc voir sur le site de Carambar, qui a dû inspirer le collègue postier de cette BD, bien qu'à vue de nez il ne doit pas connaître internet. A propos, puisque ça a l'air d'embaucher, allez donc voir sur le site de recrutement de la Poste, histoire de vivre les mêmes péripéties que notre héro.
Enfin ne ratez pas ce site : "Toutes les phrases qui tuent". Il y en a des biens dans cette BD (normal, les villageois sont obligatoirement des champions en la matière), mais ce site internet est une mine d'or. Vous allez voir, c'est pitoyable.

Biscottes dans le vent. Pascal Rabaté, Bibeur Lu. Ed. Vents d'Ouest. 2013.


vendredi 14 février 2014

Le Centre historique minier donne un coup de grisou aux nostalgiques


Ah le bon vieux temps !
Le bon vieux temps où le mineur commençait à travailler à 8 ans pour pousser des berlines au fond de la mine, remplie de charbon par son père, par 35 degrés et 80% d'humidité. 
Le bon vieux temps où les ouvriers vivaient dans des villages pour ouvriers, propriétés du patron, comme l'école, la boulangerie, le club de foot ou l'église, seul le cimetière échappant à sa coupe. 
Le bon vieux temps où le mineur était payé à la quantité de charbon extraite, donc plus tu bosses plus tu gagnes (travailler plus pour gagner plus, y a que ça de vrai !) jusque 12 à 14 heures par jour du temps de Germinal. Et plus encore la quinzaine avant la Sainte Barbe (4 décembre), patronne des mineurs (mais aussi des pompiers, des métallos, des architecte et de l'Ecole Polytechnique) : fête oblige, donc dépenses obligent, le mineur était autorisé à amasser davantage d'argent par anticipation pour assumer les agapes à venir. Le respect des traditions...
Ah le bon vieux temps qui cassait le travailleur à force de travail. Le bruit infernal des machines qui rendait sourd en cours de carrière, la chaleur qui déshydratait, et la poussière, malgré les tonnes de flotte balancées sur la roche pour la plaquer au sol (et qui obligeait à bosser les genoux dans la boue), la poussière qui attaquait les poumons et provoquait des silicoses. Les silicoses, plus mortelles encore que les coups de grisou, mais moins rapide quand même : en 1906, un coup de grisou provoque un dégagement de poussière de charbon qui s'enflamme, la vague de feu parcourt plus de 100 km de galeries à 1000 km/h et tue 1 099 travailleurs. C'est la catastrophe de Courrières.

Tout ce bon vieux temps, le Centre historique minier du Nord Pas-de-Calais à Lewarde fait bien de le mettre en valeur. Edifiant, instructif, émouvant. La visite de ce haut lieu de mémoire de l'histoire ouvrière, sur le site même où 1 000 personnes travaillaient, accompagnée de témoignages d'anciens mineurs, est la meilleure réponse à apporter aux nostalgiques d'une époque et d'un fonctionnement heureusement révolus. Non ce n'était pas mieux avant. En revanche, c'est bien dans ces situations difficiles que les ouvriers ont su s'organiser pour tisser des liens concrets de solidarité entre eux (mutuelles, syndicalisme, actions pour obtenir des droits), et ça, c'est un des fruits positifs de ce passé, dont les salariés bénéficient encore maintenant. Et qui aurait mérité d'être davantage expliqué et exposé sur ce lieu de mémoire (voir à ce sujet le musée virtuel de la Mutualité française). Histoire de faire taire aussi bien les nostalgiques d'extrême droite que les dépressifs d'extrême gauche qui prétendent qu'on vit encore comme du temps de Zola.
Il y a, à Lewarde, tellement à voir, à entendre, à sentir, à s'émouvoir, à penser. Un site à visiter absolument.

Centre historique minier. Fosse Delloye. Rue d'Erchin. 59287 Lewarde. Tél 03 27 95 82 82. Email : contact@chm-lewarde.com

dimanche 9 février 2014

Arto Paasilinna, un "Potager de malfaiteurs" aux légumes un peu fades



L'écrivain Arto Paasilinna a un nom tellement chiant à écrire qu'on a envie de l'oublier très vite. Mais le finnois c'est comme ça, il y a plein de "a", de "i", de "s" et de "l". Faut faire avec. Mais ce qui relativise l'entame de mon propos, c'est qu'en fait, une fois qu'on a lu du Arto (si vous permettez je vais simplifier), on n'oublie pas. D'abord parce que ça dépayse de lire des histoires où les personnages s'appellent Jyllänketo, Kasurinen, Röpelinen ou Kylmäsaari. Qui évoluent non pas à Manhattan, le Bronx ou La Courneuve, mais dans les forêts de Laponie. Et qui vont se détendre au sauna comme ici on va au bistrot, et qui boivent du vin de groseille à maquereau, mangent des pirojkis, du poisson salé et du renne fumé, et pas un hamburger-bière.
L'écriture elle-même est spéciale. Les histoires sont loufoques mais souvent vraisemblables (dans un monde déjanté certes) et sont racontées presque "à plat", sans superlatif, sans émotion, comme on rédigerait un rapport (plus agréable à lire, je vous rassure), genre "c'est normal". Son passé de journaliste transparaît sans doute là. Et de cecalage entre la quasi-platitude émotionnelle du texte et l'histoire démesurément dingue, naît un sentiment vraiment jubilatoire.
Généralement
Mais pas toujours. 
Arto écrit presque un roman par an, donc il a ses faiblesses. Et là, en 1998, il a dû avoir une faiblesse en écrivant Le Potager des malfaiteurs ayant échappé à la pendaison. L'histoire, dans ses grandes lignes, est a priori délirante "à la Arto". Un inspecteur de la sûreté nationale finlandaise enquête sur de mystérieuses disparitions, dans un ancien kolkhose nommé "L'Etang aux rennes", situé aux fins fonds de la Laponie , et qui affiche une prospérité insolente avec une production de champignons et de plantes bio dans lesquels le site s'est reconverti. L'inspecteur se fait passer pour un contrôleur en agriculture biologique, et découvre que les disparus, tous des malfrats à degrés divers, sont employés de force et gratuitement sur le domaine, et en particulier dans les mines transformées en champignonnières. Vue comme ça, l'histoire est drôle et prometteuse. On a même droit à un passage anticapitaliste, avec l'enfermement de PDG bourgeois exploiteurs dans les mines. Et un peu de morale, quand le héro du livre, l'inspecteur Jyllänketo, se retrouve par erreur contraint aux travaux forcés avec les malfrats, et reconnait que "dans son enfance, il avait martyrisé le chat de sa grand-mère, qui était mort d'une inflammation de la prostate après qu'il lui avait passé les couilles au goudron. C'était horrible, et il le payait maintenant."
Sauf qu'il y a des moments de lectures assez longs, c'est un peu poussif, on a même droit à des descriptions inutiles, comme celles des caractéristiques techniques de divers avions dans le chapitre "En quête d'un avion-cargo".
Bref, je n'en veux pas à Arto Paasilinna (qui d'ailleurs s'en fout totalement) parce qu'avant ça, il a écrit Le Meunier Hurlant, Le Fil du Dieu de l'orage, La Forêt des renards pendus, Prisonniers du Paradis ou La Douce Empoisonneuse, qui sont des vrais moments de bonheur. Pour retrouver ce niveau, il faudrait juste qu'il prenne un peu plus de temps pour trouver l'inspiration.

Pour aller un peu plus loin

Mais où est donc ce site de l'Etang aux rennes ? Le roman indique qu'il est dans la commune de Turtola en Finlande.
Arto Paasilinna est un auteur prolifique. Un article sur Bibliomonde résume bien son oeuvre, et explique notamment pourquoi l'auteur sort un livre par an en Finlande, alors qu'en France il n'est édité qu'une oeuvre tous les deux ans environ.
Ah au fait, j'ai cité le pirojki dans mon article un peu plus haut : ça se prépare comme ceci.
Quant aux noms finlandais, en particulier ceux qui se finissent par "nen", ils ont une étymologie particulièrement vivante et pleine de poésie : c'est ce qu'explique cet article. Ca vaut le détour.


Le Potager des malfaiteurs ayant échappé à la pendaison. Arto Paasilinna. Ed. Denoël, coll. Folio. 375 pages.