jeudi 29 décembre 2016

L’œil de Pâques : Laissons l'auteur planer tranquille dans ses volutes


Le centre du monde est à Calais, entre les falaises de craie et le trou dans le Channel. Le centre d'un monde où passent les orbites de six planètes bien humaines. Pâques, beauté métisse venue d'Inde, joue le rôle du soleil. Chacune lui tourne autour, attiré par sa chaleur. Depuis la nuit des temps, ces planètes sont appelées à se percuter, pour faire jaillir des gerbes de bonheur lilas. Et pour que ce miracle advienne, un crime doit être commis.
(4e de couverture)


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Alors soyons clairs : Jean Teulé, j'aime beaucoup. Mais là faut s'accrocher. On suppose que le roman commence 15 millions d'années avant le meurtre pour souligner l'inéluctabilité du déroulement des événements qui se produisent en ce bas monde. On suppose que les détails communs qu'on retrouve incidemment entre les personnages - ici l'écoute d'une chanson des Beatles, là une couleur rouge, ou encore des histoires d’œufs, ou d'yeux... - entendent marquer l'interdépendance des destins. On présume que les tirades délirantes des personnages entendent donner un style à la narration. Ainsi le médecin légiste qui affirme qu'avant il pouvait "réciter les noms des tueurs de la viande (qu'il) mangeait. Mais, depuis Rungis et les carcasses importées, (il) ne sait plus qui tue. L'agneau d'hier a dû pleurer beaucoup au moment de mourir." Quant aux échanges de fin de roman entre les protagonistes de l'assassinat (mais en est-ce un ?) ils sont certainement nourris aux effets induis par la chanson des Beatles "Lucy in the Sky with Diamonds" - LSD - qui s'insère régulièrement en de lourdes ritournelles dans le récit, tant les rebondissements complètement délirants sont égrenés en écriture automatique. Et l’œil rose de Pâques - le nom d'un des personnages principaux, c'est pour dire... et qui donne son titre au livre - sa particularité et son destin ont certainement un rôle poétique.

Volutes de cannabis

Bref, on suppose plein de choses. L'imagination de Jean Teulé a peut-être été libérée aux volutes de cannabis (que les autorités, dans l'histoire, consomment sans vergogne), autant qu'aux acides du LSD, mais ça le regarde. Sans doute faudrait-il s'infliger les mêmes remèdes pour se laisser vraiment porter sans chercher à trop comprendre, afin d'apprécier pleinement ce roman. Mais c'est un peu trop me demander. En attendant, dans la liste des suppositions pointées dans cette chronique, il en est une, désagréable, que l'auteur m'oblige à poser : je suis sans doute trop con pour comprendre ce livre.

La page 77


 L'oeil de Pâques, de Jean Teulé. 1992. Ed.  Julliard, coll. Pocket. 


mardi 27 décembre 2016

Aquarium de Paris : Des requins, surtout des requins...


"Les petits poissons dans l'eau, nagent nagent nagent nagent nagent,
Les petits poissons dans l'eau nagent aussi bien que les gros."
Et comme c'est bien vrai tout ça ! Nous revenons d'une petite visite à l'aquarium de Paris, alias "CinéAqua", et nous l'avons vu de nos yeux : oui, les petits poissons nagent aussi bien que les gros. Sans aller jusqu'à la baleine, cet aquarium propose un très beau panel de fricassées de toutes tailles, du joli poisson-clown jusqu'à l'intimidant requin. Et surtout, il suggère une passionnante transposition en 3D de l'éducative allégorie que porte la petite chanson qui ouvre cette modeste chronique. 
Car en effet, dit la chanson, tout le monde est capable de quelque chose, chacun a sa place ici-bas, même la plus moche des sardine fait briller de mille feux ses écailles d'argent quand les projecteurs les éclairent. Et c'est beau. 

Chacun dans son bocal
Là où les paroles pêchent un peu (ah ah ! "pêchent"...), c'est que ça ne marche que si chacun est dans son bocal. Et de nos jours où le vivre-ensemble doit devenir un objectif sur terre, vous conviendrez que s'il ne l'est pas dans l'eau, ça crée un désordre contre-éducatif (tiens je viens de créer un concept). Mais il est vrai aussi que si vous mettez dans un même aquarium, dans un même bassin, toutes les espèces proposées à nos visites curieuses, il ne restera rapidement, et après carnage, qu'une seule espèce : la plus grosse. Quelle allégorie en effet... Et quelle dépense ! Car vous payeriez alors les 20 € d'entrée par personne pour ne voir qu'un poisson, le dominant, j'ai nommé le requin. 

On se sent poissons
C'est donc pas stupide, tous ces bassins. Mais tout ça pour dire que 20€ pour voir quelques poissons qui nagent aussi bien les uns que les autres, ça fait beaucoup. Même avec un vague univers Nautilus au milieu de la visite, ou avec des mannequins de pirates dont on se demande ce qu'ils foutent là. Au total on se sent soi-mêmes des petits poissons. Face aux requins qui ont fixé un tarif sans rapport avec la prestation, et qui se font des nageoires en or. 

Aquarium de Paris (près du Trocadéro). Tarif d'entrée : trop cher.  

samedi 17 décembre 2016

Revue Dessinée 14 : Se libérer de ses entraves


Le dessin de couverture de ce 14e numéro de la Revue Dessinée résume bien une grande partie des sujets traités. Il faut se dé-ficeler, se libérer, se dénouer, sinon c'est la chute assurée. Se libérer de quoi ? De tout. Des entraves physiques bien sûr, mais aussi celles, plus symboliques, qui nous maintiennent dans l'obscurité, dans l'ignorance, dans l'erreur.


Sortir de sa cage, physique et mentale, comme l'analyse la rubrique Instantané, à partir d'une photo de Raymond Depardon prise dans un asile psychiatrique italien en 1978, représentant un "fou" coincé dans une cage. Se libérer d'un régime totalitaire, avec la narration heure par heure de la chute de Ben Ali, en Tunisie, ouvrant la saison du "printemps arabe". Se méfier des discours sur l'ennemi intérieur, qui permettent toutes les dérives autoritaires de la part des dirigeants d'un pays, avec une belle démonstration historico-politique sur la "7e arme". Ne pas se laisser manipuler par les objets connectés, dans une excellente démonstration dessinée de leurs pouvoirs positifs et négatifs. Douter de tout, et même des chiffres, quand les statistiques de Pôle Emploi peuvent être manipulées par les gouvernements pour "planquer" quelques centaines de milliers de chômeurs.

Attention à la facilité du "bon ton"

Sur ce sujet, permettez-moi de douter aussi de la Revue Dessinée. Certes, la catégorie A des demandeurs d'emploi inscrits à Pôle Emploi est extrêmement limitée pour avoir une vision réaliste de l'état du chômage en France. Or, c'est sur elle que focalisent les médias et les réactions politiques. Le fait de former massivement les chômeurs les fait basculer dans la catégorie dite "D" car ils sont alors considérés comme n'étant plus en recherche active d'emploi : c'est un moyen de les faire disparaître (momentanément au moins) de la catégorie A où ils étaient jusque-là, certes. Mais je préfère un programme massif de formation des demandeurs d'emploi que rien du tout. Il faudrait plutôt que les médias s'extraient d'une forme de paresse intellectuelle qui consiste à commenter uniquement la catégorie A (qui comptabilise les personnes n'ayant pas du tout travaillé dans le mois précédent, et qui ne représente qu'un bout du problème du chômage), alors que les statistiques fournies chaque mois par le ministère du Travail sont une mine d'or pour que chaque journaliste mette en lumière le poids du chômage et de la précarité. Il est de bon ton d'attaquer les gouvernements et leurs tentatives de manipulation, mais là, il revient bien aux médias - et la Revue Dessinée le fait d'ailleurs très bien dans ce numéro - de faire leur travail d'analyse, car ils ont tout en main sans avoir besoin de commenter les commentaires des gouvernants. J'ai vu que la Revue Dessinée s'était alliée à Médiapart sur d'autres types d'infos (sur les présidentielles) : attention à ce que la qualité de la revue ne vienne pas se déliter dans un parti-pris extrémiste, dans une démarche finalement contraire à l'idée d'émancipation.

Enfin, comme l'émancipation c'est aussi la culture populaire, saluons les chroniques plus légères de cette revue : oui, on a besoin d'autres horizons (et apprendre à pratiquer le surf...), de connaissances rigolotes (et savoir d'où vient la dinde qui sera dévorée à noël, ou le LSD qui sera absorbé au réveillon du premier de l'an), d'histoires d'amour racontées au cinéma (avec une belle narration du "Mari de la coiffeuse"...). Bref, s'informer, se cultiver, apprendre, s'amuser, c'est vivre, c'est se débarrasser de ses liens. Alors vivons.

La Revue Dessinée n° 14 - Hiver 2016-2017. 

dimanche 4 décembre 2016

Gotlib, un truc entre lui et nous


Des personnages mythiques comme Gai Luron, le commissaire Bougret et son fidèle adjoint Charolles ("Les indices sont maigres, patron"), Hamster Jovial (mon scout préféré), le professeur Burp... L'immense Marcel Gotlib laisse en plan un paquet de personnages orphelins (dont malheureusement des Super Dupont bien vivants et à foison qu'on repère déjà à l'approche de l'élection présidentielle), et des fans-lecteurs tout aussi désemparés. Mais il a surtout semé sur son chemin un humour incomparable, basé sur la dérision et le non-sens, le n'importe-quoi, l'analyse drôlatique des petits défauts de la vie quotidienne, tous ces sujets qui font rire, et qui ont largement inspiré des générations récentes de comiques. 

Au-delà de l'influence majeure sur l'humour "public", Gotlib a façonné des humours individuels, privés, celui de ses lecteurs anonymes, de tous ses "Jean-Pierre Liégeois, jeune lecteur du Var". Sauf que ça, personne ne le sait, c'est un truc entre lui et chacun de nous. En fait non, Gotlib n'est pas mort. C'est encore un coup de la Dérision, et on en rit encore. 

jeudi 24 novembre 2016

Des nouvelles au goût de pistache


Si vous aimez les pistaches vous comprendrez dans quel enfer on peut se vautrer en commençant la lecture du recueil de nouvelles courtes des éditions L'Arlésienne. Vous êtes devant un bol de pistache, vous en prenez une, vous faites un effort plus ou moins important pour la décortiquer - parfois ce n'est pas possible elle est trop fermée, vous la jetez ou mieux, vous la laissez à d'autres dans le bol - vous mangez le cœur tendre de la pistache, en peu de temps, c'est bon, tellement bon mais tellement bref, que vous en reprenez une autre immédiatement. Et ainsi de suite. Une, deux, trois... mille.

Transposez sur le recueil susnommé, et vous aurez une idée de l'effet addictif et compulsif qu'il provoque. A la différence que les saveurs sont variées : une tranche de "vie" d'un domestique, des doutes sur le sort de Susannah après une nuit agitée, l'histoire flippante du Canigou (déjà chroniquée ici), d'hilarantes funérailles de M. Dubourdy, un écrivain bien embêté par la réputation du héro qu'il a créé, des fantômes plus ou moins fuyants, réels ou fantasmés, un chat à suivre...

A picorer sans modération. Parce que, gros avantage sur les pistaches : vous ne prendrez pas de kilos à lire ce recueil. Sauf si vous grignotez en lisant.

Nouvelles Courtes 2015. Collectif. 150 pages. 7,99 euros. Editions L'Arlésienne

mardi 1 novembre 2016

Brassens sur parole(s) : Gare aux repriiiiiiiises !


C'est l'histoire d'un chanteur, Louis Chedid, qui s'est dit "Tiens ça fait 35 ans tout juste que Brassens est mort, je vais faire un album hommage en faisant chanter une bande de potes comédiens, ça devrait marcher."
Gare aux repriiiiiiiises ! aurait pu chanter l'artiste sétois sur l'air du Gorille. Allons droit au but : c'est sans intérêt, les chanteurs chantent mal, voire ne chantent pas mais disent (sur "Il n'y a pas d'amour heureux", autrement dit un poème d'Aragon, pas de Brassens), sur un arrangement musical qui n'est qu'une reprise exacte de l'air et de la rythmique de Georges Brassens, à peine mâtinée, parfois, d'une sonorité électrique pour faire moderne, ou d'un arrière-son d'orgue sur "Je vous salue Marie" pour faire lourdingue. 

Le bon goût de ne pas chanter
Un conseil : écoutez plutôt un album de vos chansons préférées de Brassens chantées par lui-même, au moins c'est lui qui chante. Contrairement aux potes de Chedid, les copains comédiens de la bande à Brassens avaient au moins le bon goût de ne pas chanter, eux. Ou alors avec lui pour passer une bonne soirée, en buvant un bon vin, comme on le ferait nous-mêmes autour d'un copain guitariste à beugler "Gare au Gorille". Ou "Les Copains d'abord", chanson que Chedid a peut-être pris au premier degré, pour le coup. 

Brassens sur parole(s), chansons interprétées par André Dussolier, Audrey Tautou, Catherine Frot, François Berléand, François Morel, Guillaume Gallienne, Jean-Pierre Darroussin, Julie Depardieu, Karin Viard, Léa Drucker, Lionel Abelanski, Michel Bouquet, Michel Fau, Pierre Richard, Roger Dumas, Valérie Bonneton. Arrangements musicaux : Louis Chedid. 

lundi 24 octobre 2016

Saint-Barthélemy : L'intolérance jusqu'au bout


« Arrive un moment où la question de tuer au nom de Dieu  ne se pose plus… Nous tuons, nous prions… et nous recommençons… »
Les guerres de Religion gangrènent la France dans sa totalité.
Le fanatisme s’instille patiemment, incontrôlable, dévastateur, aveugle.
En 1562, Élie de Sauveterre, un jeune protestant, rejoint l’armée du prince de Condé pour retrouver son frère et sa sœur enlevés par les papistes. Des premières escarmouches au déchaînement ultime de la Saint-Barthélemy, emporté comme les autres par cette vague de violence frénétique, il sera bien malgré lui le héros de cette histoire-là.
(Présentation éditeur)

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Imaginez une religion minoritaire qui fait peur parce qu'elle est en expansion, qu'elle semble remettre en cause des équilibres sociaux ancestraux, qu'elle vient de "l'étranger", qu'elle est ingérable parce qu'elle n'a pas de hiérarchie, qui suscite la haine... Ne cherchez pas : on parle ici du protestantisme au 16e siècle. L'intolérance contre la Réforme est vive de la part des catholiques ultra-majoritaires. Les guerres de religions ont commencé. Elles sont motivées en apparence par les raisons de l'âme. Elles sont surtout gonflées par les colères sociales du moment, excitées et orientées opportunément par les puissants de ce monde selon leurs intérêts politiques. Jusqu'au tragique, jusqu'au massacre. 

Temps réel
Le tome 1 de Saint Barthélemy (qui devrait compter trois épisodes) est une excellente BD qui relate l'événement sanglant du même nom : le massacre des protestants de Paris un soir d'été. L'intrigue est bien rythmée, en collant au temps réel pendant l'essentiel de l'ambum. 
En focalisant sur ce moment terrible, la BD en profite pour faire un point d'histoire, mais aussi pour interpeller le lecteur sur la violence et la barbarie que peuvent revêtir les conflits religieux et l'intolérance. Que le lecteur se contente de lire une BD historique sur les massacres d'une nuit parisienne, et il aura raté le meilleur : la dénonciation de l'intolérance, qu'elle soit d'extrémisme religieux ou philosophico-laïcarde - deux tendances hélas croissantes de nos jours et reposant sur les mêmes piliers : identité communautaire, prétention, volonté de domination, exclusion. 
Il a suffit d'une étincelle sur les brindilles séchées par de mauvaises récoltes, des guerres meurtrières et des paix insatisfaisantes, des conflits politiques et des tensions géopolitiques, des incompréhensions religieuses et le recours aux bons vieux boucs émissaires, pour que le massacre de la Saint-Barthélémy se produise. Aujourd'hui certains ingrédients sont de nouveau dans la marmite. Gageons que l'étincelle qui jaillira sera cette fois-ci celle de l'intelligence, favorisée par la laïcité, contre la barbarie qui pointe son nez sous le regard gourmand de certains apprentis sorciers politiques. 

Saint-Barthélémy - Tome 1 Sauveterre.  Pierre Boisserie, Eric Stalner. Editions Les Arènes. 2016. 

Columbo sur les planches : Lieutenant, il y a ma femme qui me chiffonne...


On a beau savoir que Columbo trouve toujours le coupable, on est systématiquement scotché à son canapé à regarder pendant plus d'une heure ce qui ressemble à une série animalière où un félin joue avec une proie qui sera inéluctablement croquée. Eh bien pour ce Columbo-là, oubliez votre canapé et choisissez un fauteuil de théâtre. Oubliez aussi vos cacahuètes provisionnées sur votre table de salon pour grignoter pendant l'épisode : de toutes façons, vous les aviez oubliées, vous étiez focalisé sur votre écran.

Oubliez tout, et revenez aux sources de Columbo. Car avant d'être une star de la télé, le Lieutenant (pas Inspecteur, s'il-vous-plaît, Lieutenant, "c'est un cran au-dessous") était un personnage de théâtre (en 1962). C'est lui, et la première histoire de meurtre qu'il a élucidée, que vous pouvez retrouver au Théâtre Michel. La première histoire qui a lancé ensuite l'idée d'en faire une série télé. Avec déjà tous les ingrédients : le spectateur est témoin du meurtre ; il suit les réflexions du Lieutenant qui le conduiront à trouver l'assassin, dans un apparent désordre et quelques échanges cocasses ; Columbo est pénible, décalé, il se focalise sur les détails "qui le chiffonnent" et qui tuent (dans tous les sens du terme) ; il a une Peugeot 403 minable, un chien bien cool et une femme à qui il parle souvent. Et ça c'est bien. Il faut toujours parler à sa femme.

Quant à l'histoire, elle est dans la veine columbienne : un psychiatre et sa maîtresse inventent le crime presque parfait pour se débarrasser de madame et vivre pleinement leur amour. "Lieutenant, il y a ma femme qui me chiffonne", aurait pu avouer le psy à Columbo, s'il avait eu de l'humour et un instinct suicidaire. Mais il n'a aucun intérêt à le dire, il est trop prétentieux pour se plier à de l'humour. On reste scotché au fauteuil pendant plus d'une heure et demi, à défaut de canapé au Théâtre Michel. Les acteurs sont bons, et Martin Lamotte ressuscite à merveille Peter Falk et tous ses tics gestuels, linguistiques et vestimentaires. Bref, il faut voir cette pièce : elle a toute l'odeur d'un Columbo en chair et en os, sans la puanteur de son cigare. J'en ai parlé à ma femme, elle est d'accord.

Columbo, Meurtre sous prescription. Au Théâtre Michel, Paris. 

samedi 15 octobre 2016

Le Canigou : Quand la couette n'éloigne plus le monstre


Qu'est-ce qu'on peut être neuneu quand on se fait peur tout seul à penser à des monstres ou des fantômes... Moi-même la dernière fois que je me suis fait peur tout seul dans mon canapé, c'est devant un pauvre DVD d'un film d'horreur avec des gosses qui foutaient les jetons, mais alors les jetons ! Bon, mais une fois couché sous la couette, sans trop prendre le temps de se vêtir en habits de nuit, et avec juste la mèche de cheveux qui dépasse de sous les draps, blotti contre la personne aimée quand elle est là, on se dit que quand même, faut se raisonner, on est adulte non ? Allons !

Mais quand on est seul dans une maison en pleine montagne, loin de tout et de tous, et que passe tout près le sentier où déambule, selon la légende locale, l'immonde monstre nommé Canigou, la couette ne suffit plus à rassurer. Surtout quand on entend des bruits bizarres et que le matin des traces de strangulation apparaissent sur votre cou...

Cette nouvelle courte nous embarque dans les peurs du personnage principal, interpelle nos propres angoisses, et déploie ce qu'il faut de perversité pour ne dénouer l'intrigue qu'à la dernière ligne...

Le Canigou, nouvelle de Lucille Cottin. Editions l'Arlésienne. Ebook à 0,99 euro. Disponible ici.

samedi 8 octobre 2016

14-18, Le Colosse d'ébène : Arsène est un con, mais il n'est pas le seul


La der des ders au quotidien. Février 1916 voit le commencement de la bataille de Verdun, l’une des plus meurtrières de la Grande Guerre. Un déluge d’obus s’abat sur nos héros. Tous ne se relèveront pas…
Verdun, 21 février 1916. L’artillerie allemande débute le pilonnage systématique du secteur dans
le but de « saigner à blanc l’armée française ». Parmi les renforts qui affluent, la présence de tirailleurs sénégalais crée des tensions dans la troupe. C’est dans ce contexte que la compagnie commandée par Armand est envoyée au fort de Douaumont sur le point d’être pris par l’ennemi…

(Présentation éditeur)

La série 14-18 poursuit son évocation de la première guerre mondiale au travers des histoires singulières d'un groupe de copains venant d'un même village et confrontés aux mêmes atrocités du front. Dans ce cinquième opus (le précédent, "La Tranchée perdue", est chroniqué ici), nous sommes en février 1916 et le calvaire des combattants se fait long, très long. Surtout avec une hiérarchie militaire au-dessous de tout, sans véritable stratégie si ce n'est celle d'amasser le plus de chair humaine face aux canons ennemis en se disant qu'il en restera bien un peu de vivante pour crier victoire.
Pendant qu'à l'arrière les femmes travaillent pour remplacer les hommes dans les usines d'armement (et elles sont "plus résistantes" qu'eux, "du coup le rendement est plus intéressant", dit la femme d'un des petits soldats de la série), sur le front on tente d'éviter les millions d'obus qu'elles produisent. Et la France coloniale, non contente de presser le citron des pays africains occupés en exploitant leurs matières premières, n'hésite pas à exploiter aussi leurs matières humaines, en extrayant les indigènes de leurs villages ensoleillés pour les envoyer combattre dans le froid, la pluie et la fureur de l'est et du nord de l'Hexagone.

Normal qu'ils se fassent tuer

Et c'est là qu'intervient Arsène, un des compères du groupe de petits soldats. Et Arsène est un con. Un vrai. Les Noirs ? Des babouins, des singes, des sous-hommes. Leur parler, c'est pactiser avec... avec qui ? quoi ? Il ne sait pas : il est con. Les Africains, on leur a apporté la civilisation, normal qu'il viennent se faire tuer pour sauver le pays. Il a beau se faire rabrouer par ses copains, qui le traitent de con - c'est vrai, qu'est-ce qu'il est con... - il continue et provoque un de ces "négros".

Sans vouloir spoiler, la morale de l'histoire sera sauve, et émouvante. Certes l'intrigue est pour le coup un chouïa trop angélique, car en 1916, la plupart des combattants étaient certainement aussi racistes qu'Arsène qui, dans cet album, est seul à défendre sa bêtise. Mais l'épisode permet de rappeler le rôle éminent des populations africaines colonisées dans la défense de nos frontières lors de cette guerre (et de bien d'autres, d'ailleurs). Il nous confirme également qu'il y a une personnalité politique actuelle qui est au moins aussi con qu'Arsène : si on est Français aujourd'hui, c'est peut-être parce qu'il y a eu des Gaulois à une époque. Mais plus récemment, c'est aussi parce qu'il y a eu des Africains, et des tas d'autres étrangers solidaires, qui nous ont permis de le rester.

La page 7


14-18 : Le Colosse d'ébène (Février 1916). Tome 5. Corbeyran et Le Roux. Ed. Delcourt. 2016.

mardi 27 septembre 2016

Un Pont sur la Brume : Préparer l'après-bac pour éloigner la mort


Kit Meinem d’Atyar est peut-être le plus doué des architectes de l’Empire. Peut-être… et tant mieux. Car il lui faudra convoquer toutes ses compétences, l’ensemble de son savoir pour mener à bien la plus fabuleuse qui soit, l’œuvre d’une vie: un pont sur le fleuve de brume qui de tout temps a coupé l’Empire en deux. Un ouvrage d’art de quatre cent mètres au-dessus de l’incommensurable, cette brume mortelle, insondable, corrosive et peuplée par les Géants, des créatures indicibles dont on ne sait qu’une chose : leur extrême dangerosité…
Par-delà le pont… l’abîme, et pour Kit une aventure humaine exceptionnelle.

(4e de couverture)

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Juste après avoir lu les 125 pages du roman - d'une traite et avec le plaisir de la lecture fluide et agréable - je me suis demandé ce qui s'était passé dans cette histoire. Un pont avait été bâti, certes. Pas n'importe lequel, un pont grandiose, apte à faciliter une traversée jusqu'à présent dangereuse et même trop souvent mortelle sur un fleuve de brume. Un ouvrage d'art érigé sous l'autorité d'un architecte débarquant en zone inconnue, qui doit s'imposer à une population méfiante, et qui le fait bien, au final, humainement parlant. La présence de monstres aquatiques - ou brumeux - laissait présager des batailles homériques opposant les bâtisseurs humains à cette faune. Mais non.

Dis comme ça, on se demande donc ce qui a scotché le lecteur tout au long du roman. Pourquoi, quand on finit ce livre, il est satisfait, il a passé un moment agréable. Même davantage, tant le goût de ce moment persiste en bouche, comme pour un bon rhum vieux. Et comme pour le rhum, on apprécie, mais on ne sait pas toujours exactement pourquoi, en tout cas pas dans l'immédiat. Il faut attendre quelques instants que s'exhalent les parfums. Il faut chercher à savoir ce qui nous a touché.

Des personnages tirés vers le haut

Alors, en vrac, quelques impressions.  Dans Le Pont sur la Brume, on peut aimer le fait que tous ceux qui ont approché l'architecte ont été tirés vers le haut. Pour un bâtisseur de ponts, c'est bien le moins... Ainsi, l'architecte qui était déjà sur place, et qui pensait récupérer le projet finalement destiné à Kit Meinem d'Atyar, travaillera avec ce dernier puis se verra confier plus tard un autre projet, encore plus grandiose. Ainsi encore, un des "passeurs", ceux qui transportent les passagers sur un bac pour traverser le fleuve de brume, très hostile au départ à l'arrivée de Kit, aspirera à se lancer dans des études pour préparer la fin du bac (eh eh !) engendré par la mise en place du pont. Les habitants d'un côté comme de l'autre du pont, initialement méfiants, comprendront peu à peu les retombées économiques potentielles des passages fréquents dans leurs villes, et adapteront leurs activités. Et Rasali, conductrice de bac elle aussi, avec qui Kit vivra une histoire d'amour, acceptera, quand son métier aura disparu, de "renaître", de changer de nom - car dans ce monde, on porte le nom de son métier - et de se lancer dans un grand projet exaltant.


Ni gore ni horreur
Pendant ce temps, pendant ces quelques années de construction du pont, le fleuve de brume, lui, ne change pas. Les monstres qui le peuplent sont toujours aussi meurtriers et renversent régulièrement l'embarcation et ses navigants qui passent par là au mauvais moment. On ne les "voit" pas, on les sent, on les devine, ils font peur, ils structurent l'histoire des habitants, mais ceux qui les voient sont déjà morts, finalement. Ne cherchez pas de gore ou de frissons d'horreur, même si les descriptions de traversées sont flippantes. On ne les voit jamais, ces géants, sauf à la fin. Quand le héro, Kit, peut en observer un, du haut du pont, sans danger, comme on regarderait une bête de zoo. Et ces monstres, qui occupaient l'histoire, les esprits, s'immisçaient involontairement dans les relations humaines, ces monstres vont perdre leur place centrale, et être vus avec distance, au sens propre comme au figuré. Et sans doute - mais l'histoire ne le dit pas - cette destitution provoquera-t-elle des changements importants dans la psychologie et la sociologie des groupes humains concernés.

Au final, un récit sur le progrès scientifique - concrétisé par le montage de ce pont de haute technologie - et ses conséquences, bonnes ou mauvaises, sur la vie des gens, leurs histoires singulières et collective. Une belle description de gens faits de chair et d'esprit. Un beau récit, écrit avec une douceur remarquable, malgré un sujet porteur d'effrois, de morts, de rocs et de métaux. On décèlera sans aucun doute, dans cette longue finale post-lecture qui persiste en bouche, d'autres arômes, d'autres évocations. Mais il faut savoir parfois analyser avec modération...

La page 77




Un Pont sur la Brume, de Kij Johnson. Editions Le Belial'. Coll. Une Heure-Lumière. 2016.


samedi 24 septembre 2016

Revue Dessinée d'automne : Migrations, démocraties, des faits, des gens


Avec un reportage sur le camp de Calais, cela fait plusieurs fois que la Revue Dessinée s'attarde sur la question des réfugiés, et elle a raison. Les médias présentent le sujet comme "la plus grande crise migratoire depuis la dernière guerre mondiale", ou comme un problème qui divise, qui fait peur, et qui hystérise la société française, et c'est vrai, malheureusement. Mais derrière les chiffres, les masses, les concepts, les amalgames de toutes sortes, il y a tout simplement des gens qui ont eu le courage de risquer leur vie pour rester en vie. Et on ne saurait trop remercier la Revue Dessinée de décrypter les faits et de donner chair humaine aux personnes concernées, loin de la compassion excessive et stérile comme du jeu dangereux de l'interpellation identitaire. Ici, il s'agit de mieux comprendre et de se poser en citoyens, pas de suivre le pseudo raisonnement politique d'un crétin d'extrême gauche ou d'une manipulatrice d'extrême droite.

A propos de jeu politique, une très bonne séquence sur les dessous de la réalisation d'une loi, celle d'Emmanuel Macron, donne ce qu'il faut d'infos pour se rendre compte que réaliser une loi n'est pas simple, et que tout en politique est affaire de rapports de force qui peuvent varier à chaque instant. On le voit, légiférer au nom du peuple est un combat qui échappe au peuple, mais en contrepartie, manifestement, un ministre ne peut pas imposer ses choix et son bon-vouloir...


Lange, culture et libertés

En revanche, il y a des lobbies qui s'imposent aux acteurs démocratiques, et ça, ce n'est pas rassurant. Le Flash Ball, le LBD40, lanceurs de balles en caoutchouc contre les manifestants un peu trop agités, sont manipulés par des agents des forces de l'ordre pas toujours au top de la manipulation, et pas toujours d'équerre avec les règles de sécurité. Qu'importe, cela rapporte à des entreprises, et tant pis si cela tue ou handicape à vie, parfois... La BD développée sur le sujet est édifiante et passionnante.

Mais heureusement il y a aussi du positif et du remontage de moral dans ce numéro (d'ailleurs une tendance à noter depuis au moins le dernier opus : on n'est plus seulement dans la lamentation et le désespoir, toujours mis en avant par les extrémistes et qui nourrit surtout le populisme, donc merci la Revue). On apprend des mots (cette fois-ci le mot "personne"), on apprend une pratique sportive (le catamaran, c'est pas si simple), on se cultive (séquence musique, séquence film avec "In the Mood for love"), on se réjouit d'être dans un pays de liberté du dessin de presse (focus sur la caricature)...

Bref, la Revue Dessinée a encore réussi son coup, le numéro d'automne est plein d'infos et de sujets à penser, et dans cette période d'entame de campagne présidentielle qui affiche déjà un niveau de débat public en dessous de zéro, cette publication contribue autant que possible à éviter un naufrage des valeurs démocratiques et républicaines qui arrangerait pourtant certains prétendants avides de pouvoirs.

La page 77



La Revue Dessinée, automne 2016, n° 13.








mardi 6 septembre 2016

Déviations : Des histoires normales mais presque

Il y a des sons, des odeurs, des couleurs, qui sont peints sans grandiloquence, sans tentative d'en mettre plein la vue. Dans ce recueil de nouvelles, les intrigues sont conduites presque tranquillement, comme si tout cela coulait de source, finalement. Comme si tout était normal, au moins au départ, puis peut-être un peu moins normal, puis encore moins... Les tensions montent peu à peu, ligne par ligne, insensiblement, puis un peu plus sensiblement. Puis douloureusement...

Car ces nouvelles sont violentes. Un fait divers sanglant dans une école, des adeptes d'une secte inquiétante dans un bâtiment désaffecté, une mannequin qui doit rester maigre quelle que soit la méthode, un jeune homme qui fait de la musculation avec une idée en tête, une émission télé racoleuse qui échappe à son animateur, une histoire d'amour qui finit curieusement... La fin du recueil comporte quelques pépites plus légères, voire amusantes. On se prend même à soutenir Dieu, je ne vous dis que ça, mais c'est vous dire... 
En tout cas le titre du recueil est bien choisi. Le mieux, dans Déviations, est de se laisser s'y perdre. 

La page 77


samedi 3 septembre 2016

L'Emprise : Marche sanglante sur l'Elysée


Un favori à l'élection présidentielle, le président d'un groupe militaro-industriel, un directeur du renseignement intérieur, un syndicaliste disparu après le meurtre de sa famille, une photographe chinoise en vogue... Qu'est-ce qui peut les relier ?
Lorraine, agent des services secrets, est chargée de faire le lien. De Paris, en passant par la Bretagne et l'Irlande, pourra-t-elle y parvenir ? Rien n'est moins certain. 
(4e de couverture)

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Lire un bouquin hyper glauque sur les élections présidentielles, le pouvoir, le monde politique, leur lien avec la barbouzerie, le tout dans un univers cynique, violent, sexualisé à outrance... Il y a de quoi mal réagir et rester chez soi aux prochaines échéances électorales. Et pourtant, après ce premier épisode, je lirai le deuxième, subtilement intitulé "Le Quinquennat". On baigne dans l'actu, que voulez-vous. Ah oui : et j'irai voter malgré tout. 

"Tous pourris" ? 
Car il faut avoir le civisme bien accroché pour ne pas sombrer, en lisant ce livre, dans un sentiment facile à choper du genre : "Je l'avais bien dit, ils sont tous pourris." Faut dire que l'histoire mêle tout ce qui alimente la discussion de bistrot. En plus subtile évidemment. Plutôt accompagné d'un cocktail que d'un verre de côte. Une dose de politique, deux doses d'ambition, trois doses de corruption, quatre de sexe (triste, juste pour se vider les nerfs), cinq de mépris surtout pour sa femme et ses enfants... Bref c'est moche, les personnages sont tristes, on plonge dans la fange, on se demande ce que ces gens trouvent comme plaisir à chercher le pouvoir. A part une bonne névrose, un gros pépin à dénicher dans les profondeur de la chair de l'enfance, un gros truc qu'on n'arrive même pas à recracher sans cracher sur la gueule des autres. 

Un peu de distance
Mais si on reste calme, un peu de distance avec cette histoire permet de se souvenir qu'on connaît tous personnellement des gens engagés en politique et qui sont honnêtes, qui aiment l'intérêt général et les gens. Et que finalement, tout cela n'est qu'un roman. Flippant et crade, certes. A des niveaux de pouvoir inaccessibles au commun des mortels, soit. Un chouïa exagéré sans aucun doute. Racontant une machinerie tordue au suspens efficace à coup sûr. Avec des entourloupes et des chausses-trappes insupportables et destructeurs il va sans dire.
Mais tout cela ne reste qu'un roman... 

Non ?

La page 77

L'Emprise. Trilogie de l'Emprise. Par Marc Dugain. Folio. 2014. 

jeudi 11 août 2016

La Garden Party : Des odeurs et des affres

Dernier recueil publié du vivant de son auteur, La Garden Party commence à l'aube d'une journée radieuse pour s'achever à la nuit noire, dans une chambre où s'endormira bientôt une femme sans âge ni visage. Une nouvelle après l'autre, Katherine Mansfield peint la vie par petites touches, tendres, cocasses, poignantes, parfois cruelles. Elle dit la solitude, la peur et la mort, partout présentes, même dans la baie des vacances et de l'enfance. Elle chante aussi le bonheur d'exister, l'intensité et la multiplicité des plaisirs qui s'offrent dans l'instant, ces merveilles que sont le sourire édenté d'un bébé, le tourbillon des lumières d'une salle de bal, une odeur de lavande, un vieux saladier rempli de capucines jaunes et rouges sur une table éclaboussée de soleil...
(4e de couverture)

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Allez, va pour du classique. Avant de partir en vacances, j'ai pris ce livre un peu par hasard, un peu parce que j'aime bien les Folio, et surtout parce que j'aime bien les nouvelles, c'est rafraichissant. 
Oui, raffraichissant. La brieveté de l'exercice oblige bien souvent l'auteur à écrire d'une façon particulière, à raconter les choses de manière spéciale, qu'on ne retrouve pas dans d'autres techniques livresque. Et je trouve ça frais. M'en demandez pas plus niveau analyse, je ne suis pas critique chez Télérama. 

Concentration des fragrances
Là en plus, c'est frais et odorant. Pareil, c'est sans doute la condensation des faits qui concentre aussi les fragrances, mais quand j'ai lu ces nouvelles, j'ai senti aussi les lieux : le varech du bord de mer, le moisis des vieilles maison bourgeoises, les herbes séchées par le soleil néo-zélandais... Bon, comme "fraicheur" ok on fait mieux que du moisis ou de l'herbe sèche, mais c'est une façon de parler, arrêtez un peu. Et puis je parlais d'odeurs. Et puis flûte. 

C'est donc frais (j'insiste), odorant, et en plus c'est humain. Les nouvelles de Katherine Mansfield parle de la bourgeoisie friquée, richement vêtue, qui vit dans de belles maisons, aidée par des bonnes et des femmes de ménage, d'une futilité et d'un égoïsme sans nom, mais dont certains membres sont pris à partie par l'auteure pour mettre sous le nez du lecteur leurs affres bien communs. Des affres d'amour, d'angoisses, de jalousies, d'inquiétudes pour les autres, d'ennui, de soumissions familiales... On ne peut pas dire que les nouvelles de ce recueil proposent des intrigues, des histoires. Mais elles donnent à voir des pensées, des vies, des morceaux de gens qui font souvent peine à lire. Sur les étendues d'insouciance où rêgnent les familles aisées poussent finalement les mêmes mauvaises herbes qu'ailleurs. 

La page 77

La Garden Party, et autres nouvelles. Katherine Mansfield. Folio Classique. 


vendredi 5 août 2016

Deads'Diary : Du bon zombie bien de chez nous


En France, Damian Gregor vit les premiers jours de ce qui semble être la fin du monde. Assis devant la télévision il écoute les médias parler d'une maladie étrange : les morts reviennent à la vie et attaquent les vivants. 
Jour aprés jour, Damian fera face à cette pandémie d'une ampleur sans précédent. Accompagné par son ami, il sera confronté à des dangers repoussant sans cesse les limites de son imagination. Au cours de son périple, il rencontrera de nouveaux compagnons, mais aussi des ennemis ; il comprendra que les zombies ne sont pas la seule menace qu'il devra affronter. 
(4e de couverture)

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Les fans de zombies trouveront là leurs litres d'hémoglobine, de membres coupés, de rictus sans joue, de créatures sans pitié, d'enfants dévorés, de sacrifices héroïques et de survivants qui galèrent sérieux, bref tous les ingrédients qui font plaisir à lire. Le jeune auteur Simon J. Paul n'a rien oublié. On sent qu'il a passé du temps devant The Walking Dead (la BD comme la série TV). On en retrouve d'ailleurs quelques bouts de viande, comme le camouflage par badigeonnage de chair putréfiée, mais on ne lui en veut pas : en pareille circonstance on penserait au même subterfuge pour tromper le mort-vivant. 

Nourris au lait de vache
Et on ne lui en veut doublement pas, car la grosse originalité de son histoire, c'est que ça se passe en France. Et non seulement en France, mais pas à Paris ou je ne sais quelle métropole : du côté de Reims ou de Saint Quentin. Et ça, ça change tout. Ce n'est pas loin dans le Far West. C'est près de chez nous. Du bon zombie hexagonal. Des vrais héros nourris au lait de vaches de nos campagnes. Le terroir, y a que ça de vrai, même s'il rime avec mouroir dans ce livre. 

Je n'ai lu que le premier tome. Il est efficace et ravira les amoureux de bonne viande putride. J'espère juste pour la suite que l'auteur aura réussi à se libérer du carcan de style d'écriture dans lequel il semble se réfugier : l'histoire est racontée de manière précise, mais presque trop. Laisse au lecteur un peu de liberté d'imagination, Simon. On veut lire un roman, pas le scénario détaillé d'un film. Un peu plus de vie dans l'écriture de cette histoire mortelle : c'est paradoxal, mais c'est juste ce qu'il y manque. 

La page 77
Deads'Diary. Saison 1 "Le début de la faim". Par Simon J. Paul. 2015. Ikor Editions (pour accéder au site de ces éditions, c'est par ici). 

lundi 1 août 2016

Tarzan : Toi Nature, moi British


Juin 1888. Lord John et lady Alice voguent à bord d'une goélette au large de l'Afrique. À la suite d'une mutinerie, ils sont débarqués sur la côte. 
Là, dans une cabane construite non loin de la plage, Alice met au monde leur fils, John Clayton III, comte de Greystoke. Un an plus tard, elle meurt, avant qu'un grand singe vivant dans la forêt voisind pénètre dans la cabane et tue John. 
Kala, une jeune femelle, s'empare alors du bébé humain et s'en occupe comme s'il était le sien. Elle lui donne le nom de Tarzan, "peau blanche". 
Tarzan est âgé d'une vingtaine d'années quand il rencontre une équipe d'explorateurs anglais conduite par le Pr Porter et sa fille Jane...
(4e de couverture)

Ce "roman culte" est tout simplement palpitant. Parce que le lecteur plonge dans l'Aventure avec un grand A : c'est la jungle, peuplée d'animaux féroces qui ne comprennent que le rapport de force, les luttes mortelles, la violence... Dans ce milieu hostile sont débarqués contre leur grés John et Alice, véritable représentants de la haute caste anglaise, maniérés je ne vous dis que ça. Perdus dans cette nature dominante, Alice promet à son mari qu'elle fera "de son mieux pour être une brave épouse préhistorique". John quant à lui défendra sa femme face à un grand singe hostile en la prévenant : "Je me charge de ce bonhomme avec une hâche !" Ce "bonhomme" pour parler d'un singe... Comment vouliez-vous que ces gens restent en vie...
Leur fils en revanche, Tarzan, né dans cette jungle, se débrouille très bien. Recueilli par une singe quand il est nourrisson à la mort de John et Alice, il ne connaît rien de ses origines et grandit avec les animaux. 

Pas la moitié d'un naze
Et c'est là que l'histoire dépasse le simple roman d'aventure. Car Tarzan connaît les affres du conflit d'identité. Qui suis-je ? Un singe obéissant aux instincts car j'ai été élevé dans la nature ? Ou un homme qui respecte des bases culturelles de comportement car mes gènes sont humains ? On retrouve les questionnements et les quasi-certitudes qui planent dans le débat public de l'époque du roman (1912). L'Humanité doit primer sur Dame Nature. Ainsi, bien que Tarzan n'ait presque jamais vécu dans une communauté humaine, c'est pas la moitié d'un naze. Il apprend même tout seul à lire, avec un abécédaire retrouvé dans les vestiges laissés par ses parents naturels. On se demande à quoi servent les instits. Il apprend tout seul à nager, à tirer à l'arc, à faire des noeuds avec des cordes qu'il fabrique... C'est un vrai scout. Un MacGyver. Mieux : un étudiant de Cambridge. Un être naturellement supérieur, doué d'humour (ah ! jeter une tête de mort sur un groupe de Noirs pour leur faire peur ! Bidonnant ! Du Benny Hill dans le sketch ! Il faut dire que le Noir est superstitieux et couard) et surtout "têtu comme un Anglais" (sic dans le texte !). 

Coup de foudre
Ce n'est pas tout. Non content d'être intelligent, malin, doté de l'humour british, et beau comme un Dieu, il est aussi capable d'émotions. Je ne vous raconte pas tout, mais dès qu'il voit Jane, il sent monter en lui une impression bizarre. Alors ne cherchez pas le coup du "Moi Tarzan, toi Jane", ça ne figure pas dans le texte d'origine. En revanche le coup de foudre de Jane pour "l'homme sylvestre" (resic !) oui. Et c'est réciproque. Une nouvelle occasion pour Tarzan de se demander qui il est : pensez donc ! Un vrai singe possède pleinement sa femelle. Mais lui, quel comportement doit-il adopter ? Une fois qu'il a libéré Jane des pattes du grand singe stupide Terkoz, il agite ses neurones. Jugez plutôt sa réflexion : 
 
Rassurons-nous, Jane ne deviendra pas l'objet sexuel de Tarzan. La Civilisation est plus forte. Tarzan finira par s'adapter rapidement aux moeurs humaines occidentales. Il aurait pu être juste un homme un peu bestial. Mais c'est un British avant tout, Dieu merci. Cette bagarre entre nature et culture, animalité et britishitude constitue le vrai fil rouge du roman. Jusqu'à sa dernière ligne. 

La page 77

Tarzan, seigneur de la jungle. Par Edgar Rice Burroughs. Ed. Archipoche. 

samedi 23 juillet 2016

Têtes de Maures : En quête corse


Melvin, petit escroc parisien, reçoit un jour de juin 2012 une enveloppe bordée de noir : le faire-part de décès de Lysia Dalersa, une jeune femme corse qu'il a connue une dizaine d'années auparavant sous le nom d'Élise. Intrigué et désœuvré, il décide de se rendre à ses obsèques et découvre qu'Élise lui a laissé un journal et deux têtes de poupées maures. Pourquoi ? Que voulait-elle lui faire comprendre ? En Corse, tout a un prix et la mort se nourrit du passé, de ses haines ancestrales, ses secrets et trahisons...
(4e de couverture)

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Son ancien amour se suicide, apparement. Elle lui laisse des indices pour le conduire à comprendre pourquoi. Pourquoi cet acte violent sur elle-même, pourquoi cette violence qui rêgne sur sa famille, et même, au-delà, comment l'histoire familiale, croisée à l'ambiance corse - vendetta, honneur, et tutti quanti - a pu produire tant de malheurs. Le personnage principal est plongé lui-même dans la violence dès son arrivée sur l'île. Il n'a pas d'autre choix que de chercher à dénouer la pelote de laine, de haines et de câbles d'explosifs dans laquelle il se prend les pieds. 

Au-delà de cette quête de vérité racontée avec la limpidité des eaux maritimes corses malgré la complexité de l'intrigue, Didier Daeninckx dépeint de splendides paysages, exhale les odeurs chaudes du maquis, donne envie de siroter une mauresque à l'ombre d'une terrasse sur une petite place de village. Il plonge aussi le lecteur dans une ambiance étouffante, où, comme le dit le proverbe corse, "tout se fait, tout se sait, tout se tait". Derrière la beauté de l'île, il y a la violence des secrets de famille, les vengeances, la méfiance et la mafia. Et un code d'honneur ancestral qui n'est plus que la loi du plus fort, du plus retors et du plus friqué. Daeninckx en profite pour délivrer quelques messages politiques, en bon communiste libertaire. Sans être ni communiste ni anarchiste, le lecteur conclura que ces messages sont sans doute les plus importants de ce roman qui suinte la sueur, le sang et le plomb. 

La page 77


Têtes de Maures, de Didier Daeninckx. 2013. Folio Policier. 

mardi 19 juillet 2016

Le Magasin des Suicides : Un squelette rongé jusqu'à la moëlle



Imaginez un magasin où l'on vend depuis dix générations tous les ingrédients possibles pour se suicider. Cette petite entreprise familiale prospère dans la tristesse et l'humeur sombre jusqu'au jour abominable où surgit un adversaire impitoyable : le joie de vivre...
(4e de couverture)

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L'idée de base est amusante. Contre toute morale, crachant sur l'avenir et l'espoir, mais avec un culot riogolo, une boutique proclame : "Vous avez raté votre vie ? Avec nous vous réussirez votre mort". Dans cette boutique, une famille au nom prédestiné et à la consonnance bédéesque, les Tuvache. Qui depuis une dizaine de générations aident les gens à se suicider, en leur proposant des lames de rasoir rouillées - même si vous vous ratez vous choperez bien un tétanos fatal -, des cordes déjà nouées prêtes à aggriper au plafond ou déjà fixées à un parpaing  - on a le sens du pratique chez les Tuvache -, des bonbons empoisonnés pour les enfants - mais dans le bocal un bonbon sur deux est mortel car la loi oblige, dans cette société futuriste, à laisser une chance aux mineurs de s'en sortir... Les clients sont contents, il y en a même qui invitent les Tuvache à leurs obsèques avant d'utiliser l'article acheté dans leur boutique. 

Non contente de vendre de quoi mourrir en toute quiétude, les Tuvache sont imprêgnés de leur commerce : il faut être triste, leurs enfants sont dépressifs, ils sont contraints de regarder les infos à la télé pour alimenter leur mal-être, et plus ils vont mal, plus ils y sont encouragés. Sauf que le petit Alan, conçu par erreur en testant un préservatif troué - un article de la boutique qui favorise la mort par propagation de MST - va changer cette ambiance, car la vie, lui, il l'aime et il veut en faire profiter tout le monde. Peu à peu, en encourageant le côté artistique de son frère dépressif, en persuadant que sa grande soeur est belle, en tirant une fibre maternelle dont il a saisi la bribe, il finit par imposer les forces de vie sur les forces du mal. 

Comme un hommage funéraire
Jean Teulé a dû s'amuser à écrire ce roman. Son côté fable, ses personnages hauts en couleur, son histoire caricaturale laissent à penser qu'il avait en tête l'idée qu'il puisse être adapté en film d'animation, ce qui fut fait (en 2012 par Patrice Leconte). C'est très bien, entre deux romans plus "sérieux" (le précédent était Fleur de Tonnerre, chroniqué ici), de vouloir respirer. Mais là, Jean Teulé a rongé le squelette jusqu'à la moëlle. Des inventions de produits suicidaires à la pelle (genre d'imagination qui fait un peu peur pour lui et ses proches !), des ambiances mortuaires poussées au maximum du glauque mais attention avec les clins d'oeil car on est dans le registre comique, et qui plus est, du comique de répétition. Et une morale finale de l'histoire aussi gentille qu'un hommage funéraire. Bref ça se lit avec plaisir, vite fait, comme un bonbon un peu trop sucré. Mais pas mortel, si ma main, dans le bocal, ne m'a pas trahi...

La page 7



Le Magasin des Suicides. Jean Teulé. Ed. Pocket. 2007. 

jeudi 14 juillet 2016

Meurtre aux Jeux olympiques : Un polar antique sans flamme ni couronne


Rosalis et Costas, "deux entraîneurs" qui tiennent le célèbre gymnase "Victoire" à Alexandrie en Egypte, se retrouvent à Olympie à la veille des Jeux olympiques au milieu des officiels et des champions du monde entier.

Le pharaon Ptolémée qui rejoint sur place son fils Alexandros et sa compagne Héléna, espère que les champions alexandrins remporteront le maximum de médailles. Mais Rosalis disparaît mystérieusement. Ne serait-ce pas plutôt un crime? Les athlètes de "Victoire" sont tous susceptibles d'être impliqués dans l'affaire. Quant aux autres cités, jalouses d'Alexandrie, elles sont également suspectes. Alexandros mène l'enquête avec Héléna et l'aide de Kipiou, le singe de Rosalis.

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"Meurtre aux Jeux olympiques"... Rien que le titre fleure bon l'histoire bien surrannée en noir et blanc, pleine de barbouzes et de flics qui boivent du whisky et bouffent du boeuf en daube tous les midis. On s'attend à voir débarquer Raymond Souplex. Ça vaudrait des noms comme "Du rififi dans la schnouf" ou, côté Marmiton, "Purée traditionnelle au jambon de pays" : c'est plein de promesses mais c'est parfois insipide. 

Eh bien là, pareil. Sans compter que bien sûr les JO en question ne sont pas de l'époque moderne. Alors forcément faut expliquer plein de trucs au lecteur. Et pour expliquer il faut du temps. Du temps pris sur l'intrigue elle-même. Résultat, on lit pour moitié un livre d'histoire sur les habitudes sportives de l'antiquité. Ça tombe bien l'auteure est historienne spécialiste de cette époque. L'autre moitié, c'est le livre d'une histoire, un polar. Ça tombe mal, l'auteure n'est pas écrivaine. Son écriture est sans relief. Et l'assemblage "cours d'histoire"-"évolution de l'intrigue" est lourdement monté. 
Bref, j'ai déclaré forfait dès la soixantième page. Les JO, ce sera sans meurtre j'espère, devant ma télé en août. Il y aura plus de suspens que dans ce livre. 

La page 77



Meurtre aux Jeux olympiques. Violaine Vanoyeke. Ed. Le Masque. 2008. 

mardi 5 juillet 2016

Revue Dessinée d'été : Du bonheur et des cris


Je ne sais pas si c'est la saison estivale qui veut ça, mais voilà une nouvelle livraison de la Revue Dessinée qui déprime moins que d'habitude. On y parle du Bonheur national brut, un concept développé au Bouthan, un petit pays perché dans l'Himalaya. Bon c'est le concept qui est développé hein, parce que l'épanouissement du bonheur, lui, reste un combat. Qu'à cela ne tienne, cherchons la zenitude personnelle avec la pratique du yoga : un des journalistes a testé pour vous, c'est assez frais et la chute est rigolote. Droit à la différence, droit à l'indifférence, peuvent aussi contribuer au vivre ensemble et à se sentir libre : un enquête est consacrée au quartier parisien où l'homosexualité peut être vécue sans tabou, dans une société adulte qui a bien évolué en quelques années, même s'il reste beaucoup à faire. Au chapitre des libertés, on lira également avec intérêt les quelques pages sur l'histoire des dessins de presse qui disent des gros mots ou qui magnifient des personnages assez crades genre le Gros Dégueulasse de Reiser... 

Un chouïa de déprime
Bref tout cela est vivifiant et optimiste. Certes il y a aussi du déprimant : cette enquête sur les "Cat Bonds", nouveaux produits financiers censés assurer contre les risques environnementaux majeurs (volcan qui s'éveille, tsunami qui déferle, tornade qui balaye, centrale nucléaire qui explose... À côté, vos histoires de dégât des eaux c'est minable). Censés assurer donc, mais conçus de telle manière qu'ils n'assurent pas mais qu'ils nourrissent les spéculateurs. Egalement à lire en l'absence de corde, de flingue ou de boîte de médicaments à proximité : l'histoire de la découverte de la radioactivité et ses usages, ou l'enquête sur la bombe atomique et sa relative inutilité opérationelle en cette époque post-Yalta où on ne sait même pas vers qui dresser nos ogives nucléaires...

Mais la Revue Dessinée ne serait pas la Revue Dessinée si elle ne dénonçait pas, si elle n'expliquait pas le monde dans lequel nous vivons, si elle ne criait pas, à grands coups de dessins, les aberrations, les injustices et les scandales qui nourrissent à juste titre nos indignations. Et comme trop d'indignation peut aussi conduire à la paralysie, la Revue fait bien de développer davantage de sujets qui donnent espoir en la nature humaine. Continue, Revue ! 

La Revue Dessinée. Nº12, Été 2016. 17€ en librairie. http://www.larevuedessinee.fr

vendredi 1 juillet 2016

Les Vieux Fourneaux : Ces croûtons qui attachent


Pierrot, Mimile et Antoine, trois septuagénaires, amis d'enfance, ont bien compris que vieillir est le seul moyen connu de ne pas mourir. Quitte à traîner encore un peu ici-bas, ils sont bien déterminés à le faire avec style : un œil tourné vers un passé qui fout le camp, l'autre qui scrute un avenir de plus en plus incertain, un pied dans la tombe et la main sur le cœur. Une comédie sociale aux parfums de lutte des classes et de choc des générations, qui commence sur les chapeaux de roues par un road-movie vers la Toscane, au cours duquel Antoine va tenter de montrer qu'il n'y a pas d'âge pour commettre un crime passionnel.

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Le résumé ci-dessus, ce n'est que le premier épisode. Il y en a trois. Du vrai bonheur. Non, ça ne donne pas envie d'être vieux plus vite que la musique, parce qu'ils sont pas mal chiants les trois vioques. Entre Antoine le nostalgique, Pierrot qui pense encore au Grand Soir et Mimile qui plane à quinze mille, il y a de quoi faire péter les plombs à n'importe qui d'à peu près "normal". D'ailleurs la seule "normale" de la bande, c'est une jeune femme, petite-fille d'un des vieux, maman d'un bébé, qui ramène à l'ordre autant que possible cette marmaille ridée qui n'a jamais tout à fait grandi. Et qui leur rappelle, pour qu'ils cessent de se prendre pour des dieux, l'état dans lequel ils ont légué le monde à leur descendance...

N'empêche qu'ils sont attachants ces croûtons. Parce qu'on s'y retrouve assez bien. On se demande en lisant cette BD "Mais comment je serai moi, à cet âge ?" Certes il suffit parfois de regarder son propre père, mais là ça compte pas, ça fait trop peur (pardon papa, je rigole). Serais-je Pierrot, cet emmerdeur activiste qui anime le collectif "Ni Yeux, Ni Maître", et qui pourrit la vie de tous ceux qui se complaisent dans le Grand Capital ? Ou qui occupe pendant plusieurs jours, avec ses autres copains buveurs de thé et joueur de belote, un bistrot pour jeunes un peu trop bruyant pour forcer le patron à négocier une baisse de décibels...

Serais-je Antoine, qui se fait du mal en pensant à ses amours d'antan ou à ses rivaux maintenant grabataires ? Ou bien Mimile, le taiseux du trio, et qui pourtant pourrait raconter une vie pleine d'aventures qu'il a vraiment vécues, et des histoires qu'il imagine ?

Allez je ferais une réponse facile : un peu des trois, j'espère. Mais si je pouvais garder aussi un peu de la jeunesse adulte et responsable que porte la jeune maman, qui tente tant bien que mal de survivre au milieu de ces histoires de gamins de 70 ans, ça pourrait peut-être m'aider à rassurer mes propres enfants et petits-enfants qui devront me supporter. Ou pas, d'ailleurs... C'est jeunes sont cruels, je vais les engueuler dès ce soir, en anticipation.

En quelques mots, cette BD est à placer entre toutes les mains, à la peau lisse ou ridée : c'est plein d'humour, chargé d'émotion, on en ressort avec le sourire. Et on attend le 4e tome. Bref, ces histoires de vieux qui font leur crise d'ado, c'est bath.

La Page 7


Les Vieux Fourneaux. Tomes 1, 2 et 3. Paul Cauuet, Wilfrid Lupano. Editions Dargaud.

mercredi 11 mai 2016

Métronom' : Fin d'une bonne série, début des bonnes questions


Une nouvelle fois libéré grâce à l’aide de Loess, Floréal décide de contacter un groupuscule de rebelles et de leur communiquer les failles du palais des ministères pour renverser le gouvernement. Son véritable but : sauver Lauren, prisonnière de l’enfer de la reprogrammation. Pendant ce temps, le célèbre biologiste Warnier, revenu d’entre les morts, est recruté par Ternett Industry afin de maîtriser la mystérieuse entité découverte dans l’espace... Il s’agirait d’un virus psychique capable de véhiculer non pas des maladies, mais des idées ! Une formidable capacité dont le pouvoir aimerait profiter afin de contrôler de façon encore plus efficace la population...
Dans la plus pure tradition des grands romans de SF, Metronom’ nous interroge sur des problématiques politiques et sociales intemporelles. Le graphisme époustouflant de Grun, tout en couleur directe, vient conclure en beauté ce récit brillant de Corbeyran, lorgnant du côté des classiques du genre : de Brazil à Blade Runner.
(Présentation Editeur)

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Cinquième et dernier tome de la très bonne série de SF Métronom', une dystopie qui raconte une société d'avenir fasciste dont le pouvoir s'appuie - le paradoxe n'est qu'apparent - sur une forme de démocratie directe où les "citoyens" sont fréquemment appelés à voter sur des mesures qui, de fait, restreignent leurs libertés. N'ayons pas peur des mots : la société décrite est bien fasciste, les libertés sont vraiment bafouées, l'Etat est vraiment policier. Je le précise à l'attention du lecteur extrémiste, qu'il soit de droite ou de gauche, qui éructe que nous serions aujourd'hui dans un pays fasciste parce qu'un Parlement oserait voter le droit au mariage pour tous, ou parce qu'un gouvernement, fut-il à bout de souffle et peu inspiré, oserait utiliser la voie constitutionnelle d'un 49-3. A force de rendre relatif le mot "fasciste" ou "totalitaire", on peut se demander quel mot devront inventer ces crétins pour qualifier une société qui le serait vraiment et qui leur enlèverait réellement toute liberté.

Mais je ferme la parenthèse. Heureusement, dans tout pays totalitaire il y a des gens qui veulent sauver leurs libertés. Dans Métronom', on suit justement un groupe de personnes qui veulent revivifier la démocratie, en diffusant des idées rebelles par un livre interdit, une fable bourrée de paraboles qui critique violemment la société et qui donne son nom à la série. Et par le jeu d'une pièce de théâtre qui dénonce la situation sociale et culturelle du monde dans lequel ils vivent. La culture contre la barbarie. Mais cela ne semble pas suffisant, et on a recourt à la violence. Surtout quand il y a urgence, et qu'un virus est identifié, qui transmets non pas une maladie mais des dispositions psychiques qui, aux mains du pouvoir, lui assureraient la soumission absolue du peuple. 

Le passage le plus troublant est celui où le grand ordonnateur du peuple, dont le lieu de pouvoir est envahi par les rebelles, explique à ces derniers que non, il n'y a pas besoin de manipuler les résultats des votes électroniques pour imposer au peuple des mesures toujours plus liberticides. 


Autrement dit, la démocratie en soi n'est rien, elle peut même être fallacieuse, quand elle s'appuie sur l'ignorance. Et cette ignorance peut parfaitement être organisée. Certains partis politiques ne pourraient tenir le pouvoir que sur elle. On pense à l'extrême droite, mais l'extrême gauche a tout intérêt elle aussi à maintenir le peuple dans l'ignorance, il suffit de voir comment elle surfe sur la méconnaissance des gens sur certains sujets d'actualité pour les maintenir en état de colère. 

La diffusion de la lecture et de la culture, que brandissent les révoltés de Métronom', est donc bien la seule arme vraiment efficace contre l'absolutisme. Gagneront-ils ? La fin de la BD et de la série ne le garantit pas, mais en laisse poindre l'espoir. Même si une vieille affiche "Je suis Charlie" dans une des cases (image ci-dessous) vient rappeler subrepticement que des combats qui paraissent évidents aujourd'hui n'empêchent pas la société d'être susceptible de grâvement dévier un jour. Un clin d'oeil pour garder l'oeil ouvert. 



Métronom'. Nº5 et dernier. "Habeas Mentem". Eric Corbeyran et Grun. Ed. Glénat. 2015. 

dimanche 17 avril 2016

"Toujours Debout" : Renaud recycle sans valoriser


Vous voulez pleurer ? Vous voulez cracher, avec le chanteur, sur les paparazzi méchants ? Vous voulez, avec lui, minimiser l'alcoolisme en le comparant à un peu de titubage qui peut arriver à tout le monde ? Vous voulez faire semblant, avec Renaud, de croire qu'en trempant dans la nostalgie on va renouer par miracle avec la qualité des chansons d'antan ? Vous voulez vous acheter une bonne conscience d'anar en accusant de moutons bêlants ceux qui apprécient de fêter juste un anniversaire ? 

Bon allez je suis méchant. Renaud doit se reconstruire, même en repartant de pas très haut. Il doit rappeler qu'il est "toujours debout". Soit. Mais son appel si lourd à être aimé, et le recyclage trop médiocre de ce qui a fait sa patte et sa grandeur - certains combats, l'univers de l'enfance, la provocation... - ont achevé de m'énerver. Ciao Renaud, tes combats perso sont nécessaires, honorables et légitimes, mais je préfère aimer une image de toi plutôt que la caricature que tu exposes. 

"Toujours debout". Renaud. 2016.