lundi 24 octobre 2016

Saint-Barthélemy : L'intolérance jusqu'au bout


« Arrive un moment où la question de tuer au nom de Dieu  ne se pose plus… Nous tuons, nous prions… et nous recommençons… »
Les guerres de Religion gangrènent la France dans sa totalité.
Le fanatisme s’instille patiemment, incontrôlable, dévastateur, aveugle.
En 1562, Élie de Sauveterre, un jeune protestant, rejoint l’armée du prince de Condé pour retrouver son frère et sa sœur enlevés par les papistes. Des premières escarmouches au déchaînement ultime de la Saint-Barthélemy, emporté comme les autres par cette vague de violence frénétique, il sera bien malgré lui le héros de cette histoire-là.
(Présentation éditeur)

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Imaginez une religion minoritaire qui fait peur parce qu'elle est en expansion, qu'elle semble remettre en cause des équilibres sociaux ancestraux, qu'elle vient de "l'étranger", qu'elle est ingérable parce qu'elle n'a pas de hiérarchie, qui suscite la haine... Ne cherchez pas : on parle ici du protestantisme au 16e siècle. L'intolérance contre la Réforme est vive de la part des catholiques ultra-majoritaires. Les guerres de religions ont commencé. Elles sont motivées en apparence par les raisons de l'âme. Elles sont surtout gonflées par les colères sociales du moment, excitées et orientées opportunément par les puissants de ce monde selon leurs intérêts politiques. Jusqu'au tragique, jusqu'au massacre. 

Temps réel
Le tome 1 de Saint Barthélemy (qui devrait compter trois épisodes) est une excellente BD qui relate l'événement sanglant du même nom : le massacre des protestants de Paris un soir d'été. L'intrigue est bien rythmée, en collant au temps réel pendant l'essentiel de l'ambum. 
En focalisant sur ce moment terrible, la BD en profite pour faire un point d'histoire, mais aussi pour interpeller le lecteur sur la violence et la barbarie que peuvent revêtir les conflits religieux et l'intolérance. Que le lecteur se contente de lire une BD historique sur les massacres d'une nuit parisienne, et il aura raté le meilleur : la dénonciation de l'intolérance, qu'elle soit d'extrémisme religieux ou philosophico-laïcarde - deux tendances hélas croissantes de nos jours et reposant sur les mêmes piliers : identité communautaire, prétention, volonté de domination, exclusion. 
Il a suffit d'une étincelle sur les brindilles séchées par de mauvaises récoltes, des guerres meurtrières et des paix insatisfaisantes, des conflits politiques et des tensions géopolitiques, des incompréhensions religieuses et le recours aux bons vieux boucs émissaires, pour que le massacre de la Saint-Barthélémy se produise. Aujourd'hui certains ingrédients sont de nouveau dans la marmite. Gageons que l'étincelle qui jaillira sera cette fois-ci celle de l'intelligence, favorisée par la laïcité, contre la barbarie qui pointe son nez sous le regard gourmand de certains apprentis sorciers politiques. 

Saint-Barthélémy - Tome 1 Sauveterre.  Pierre Boisserie, Eric Stalner. Editions Les Arènes. 2016. 

Columbo sur les planches : Lieutenant, il y a ma femme qui me chiffonne...


On a beau savoir que Columbo trouve toujours le coupable, on est systématiquement scotché à son canapé à regarder pendant plus d'une heure ce qui ressemble à une série animalière où un félin joue avec une proie qui sera inéluctablement croquée. Eh bien pour ce Columbo-là, oubliez votre canapé et choisissez un fauteuil de théâtre. Oubliez aussi vos cacahuètes provisionnées sur votre table de salon pour grignoter pendant l'épisode : de toutes façons, vous les aviez oubliées, vous étiez focalisé sur votre écran.

Oubliez tout, et revenez aux sources de Columbo. Car avant d'être une star de la télé, le Lieutenant (pas Inspecteur, s'il-vous-plaît, Lieutenant, "c'est un cran au-dessous") était un personnage de théâtre (en 1962). C'est lui, et la première histoire de meurtre qu'il a élucidée, que vous pouvez retrouver au Théâtre Michel. La première histoire qui a lancé ensuite l'idée d'en faire une série télé. Avec déjà tous les ingrédients : le spectateur est témoin du meurtre ; il suit les réflexions du Lieutenant qui le conduiront à trouver l'assassin, dans un apparent désordre et quelques échanges cocasses ; Columbo est pénible, décalé, il se focalise sur les détails "qui le chiffonnent" et qui tuent (dans tous les sens du terme) ; il a une Peugeot 403 minable, un chien bien cool et une femme à qui il parle souvent. Et ça c'est bien. Il faut toujours parler à sa femme.

Quant à l'histoire, elle est dans la veine columbienne : un psychiatre et sa maîtresse inventent le crime presque parfait pour se débarrasser de madame et vivre pleinement leur amour. "Lieutenant, il y a ma femme qui me chiffonne", aurait pu avouer le psy à Columbo, s'il avait eu de l'humour et un instinct suicidaire. Mais il n'a aucun intérêt à le dire, il est trop prétentieux pour se plier à de l'humour. On reste scotché au fauteuil pendant plus d'une heure et demi, à défaut de canapé au Théâtre Michel. Les acteurs sont bons, et Martin Lamotte ressuscite à merveille Peter Falk et tous ses tics gestuels, linguistiques et vestimentaires. Bref, il faut voir cette pièce : elle a toute l'odeur d'un Columbo en chair et en os, sans la puanteur de son cigare. J'en ai parlé à ma femme, elle est d'accord.

Columbo, Meurtre sous prescription. Au Théâtre Michel, Paris. 

samedi 15 octobre 2016

Le Canigou : Quand la couette n'éloigne plus le monstre


Qu'est-ce qu'on peut être neuneu quand on se fait peur tout seul à penser à des monstres ou des fantômes... Moi-même la dernière fois que je me suis fait peur tout seul dans mon canapé, c'est devant un pauvre DVD d'un film d'horreur avec des gosses qui foutaient les jetons, mais alors les jetons ! Bon, mais une fois couché sous la couette, sans trop prendre le temps de se vêtir en habits de nuit, et avec juste la mèche de cheveux qui dépasse de sous les draps, blotti contre la personne aimée quand elle est là, on se dit que quand même, faut se raisonner, on est adulte non ? Allons !

Mais quand on est seul dans une maison en pleine montagne, loin de tout et de tous, et que passe tout près le sentier où déambule, selon la légende locale, l'immonde monstre nommé Canigou, la couette ne suffit plus à rassurer. Surtout quand on entend des bruits bizarres et que le matin des traces de strangulation apparaissent sur votre cou...

Cette nouvelle courte nous embarque dans les peurs du personnage principal, interpelle nos propres angoisses, et déploie ce qu'il faut de perversité pour ne dénouer l'intrigue qu'à la dernière ligne...

Le Canigou, nouvelle de Lucille Cottin. Editions l'Arlésienne. Ebook à 0,99 euro. Disponible ici.

samedi 8 octobre 2016

14-18, Le Colosse d'ébène : Arsène est un con, mais il n'est pas le seul


La der des ders au quotidien. Février 1916 voit le commencement de la bataille de Verdun, l’une des plus meurtrières de la Grande Guerre. Un déluge d’obus s’abat sur nos héros. Tous ne se relèveront pas…
Verdun, 21 février 1916. L’artillerie allemande débute le pilonnage systématique du secteur dans
le but de « saigner à blanc l’armée française ». Parmi les renforts qui affluent, la présence de tirailleurs sénégalais crée des tensions dans la troupe. C’est dans ce contexte que la compagnie commandée par Armand est envoyée au fort de Douaumont sur le point d’être pris par l’ennemi…

(Présentation éditeur)

La série 14-18 poursuit son évocation de la première guerre mondiale au travers des histoires singulières d'un groupe de copains venant d'un même village et confrontés aux mêmes atrocités du front. Dans ce cinquième opus (le précédent, "La Tranchée perdue", est chroniqué ici), nous sommes en février 1916 et le calvaire des combattants se fait long, très long. Surtout avec une hiérarchie militaire au-dessous de tout, sans véritable stratégie si ce n'est celle d'amasser le plus de chair humaine face aux canons ennemis en se disant qu'il en restera bien un peu de vivante pour crier victoire.
Pendant qu'à l'arrière les femmes travaillent pour remplacer les hommes dans les usines d'armement (et elles sont "plus résistantes" qu'eux, "du coup le rendement est plus intéressant", dit la femme d'un des petits soldats de la série), sur le front on tente d'éviter les millions d'obus qu'elles produisent. Et la France coloniale, non contente de presser le citron des pays africains occupés en exploitant leurs matières premières, n'hésite pas à exploiter aussi leurs matières humaines, en extrayant les indigènes de leurs villages ensoleillés pour les envoyer combattre dans le froid, la pluie et la fureur de l'est et du nord de l'Hexagone.

Normal qu'ils se fassent tuer

Et c'est là qu'intervient Arsène, un des compères du groupe de petits soldats. Et Arsène est un con. Un vrai. Les Noirs ? Des babouins, des singes, des sous-hommes. Leur parler, c'est pactiser avec... avec qui ? quoi ? Il ne sait pas : il est con. Les Africains, on leur a apporté la civilisation, normal qu'il viennent se faire tuer pour sauver le pays. Il a beau se faire rabrouer par ses copains, qui le traitent de con - c'est vrai, qu'est-ce qu'il est con... - il continue et provoque un de ces "négros".

Sans vouloir spoiler, la morale de l'histoire sera sauve, et émouvante. Certes l'intrigue est pour le coup un chouïa trop angélique, car en 1916, la plupart des combattants étaient certainement aussi racistes qu'Arsène qui, dans cet album, est seul à défendre sa bêtise. Mais l'épisode permet de rappeler le rôle éminent des populations africaines colonisées dans la défense de nos frontières lors de cette guerre (et de bien d'autres, d'ailleurs). Il nous confirme également qu'il y a une personnalité politique actuelle qui est au moins aussi con qu'Arsène : si on est Français aujourd'hui, c'est peut-être parce qu'il y a eu des Gaulois à une époque. Mais plus récemment, c'est aussi parce qu'il y a eu des Africains, et des tas d'autres étrangers solidaires, qui nous ont permis de le rester.

La page 7


14-18 : Le Colosse d'ébène (Février 1916). Tome 5. Corbeyran et Le Roux. Ed. Delcourt. 2016.