lundi 19 janvier 2015

Le Guide du Mauvais Père : Féliciter sa fille qui dit "Putain de sa race"


Guy Delisle, c'est l'aventure. Ses pérégrinations à Pyongyang (2003), ses Chroniques birmanes (2007), ses Chroniques de Jérusalem (2011), fleurant bon la découverte de contrées lointaines et donc - nécessairement - mystérieuses, nous livrant des descriptions si respectueuses d'autres mœurs, d'autres vies, d'autres gens !

Mais là, le dessinateur n'a sans doute jamais été aussi loin dans l'exotisme et la révélation d'us et coutumes ahurissantes. Pensez donc : n'écoutant que son courage, bravant les intempéries de la vie, faisant reculer les limites de l'investigation, il raconte sa vie de père. De père - nécessairement - mauvais.

Alors oui, c'est le troisième tome du Guide du Mauvais Père qu'il nous livre là, et je n'ai pas lu les précédents. Qu'importe, sans doute comme les premiers volumes, le troisième mêle l'aventure, le suspense, la fourberie, et une pointe de philosophie. Tout y est.

Jugez-en. Comment faire dire "Putain de ta race" à sa fille et l'en féliciter ? Comment pourrir une histoire de Harry Potter avec de la grammaire ? Comment rappeler à son enfant la cruelle vérité de la loi française, qui sanctionne d'écartèlement les élèves qui ne font pas leurs devoirs ?

Et puis l'aventure disais-je, avec un hélicoptère télécommandé. Et le rappel de nos chères têtes blondes aux réalités : oui, Boucle d'Or est une délinquante ! Et la pointe de philosophie en conduisant l'enfant à l'école : oui mon enfant, après tu devras travailler durement, puis viendra la retraite et la mort.

Certes, le recueil de ces tranches de vie se lit un peu trop rapidement, à raison de deux images par page. Mais c'est drôle, c'est parfois raide, et en tant que père je m'y reconnais bien. Eh, Guy, si tu veux créer un Club des mauvais pères, je te suis. Comme trésorier, je ne risque pas de m'ennuyer.

Le Guide du Mauvais Père. Guy Delisle. Ed. Delcourt. Coll. Shampoing. 192 p. 2015.

Et toujours le blog de Guy Delisle, à picorer avec plaisir.

dimanche 11 janvier 2015

Moi René Tardi... Tome 2 : Une longue, longue marche pour une longue lecture


Suite de la mise en images des carnets de guerre du père de Tardi, René, prisonnier au stalag II B, en Pologne, pendant cinq ans durant la dernière guerre mondiale.
Tardi est davantage connu pour ses œuvres sur 14-18, mais il les avait mises entre parenthèses en 2012 pour accomplir un travail plus personnel sur le douloureux quotidien de son père pendant la 2e guerre mondiale. Le premier opus traitait de la vie - de la survie devrais-je écrire - de René Tardi dans le Stalag.
Dans ce deuxième volume, on suit le père Tardi et les autres prisonniers de guerre, évacués du Stalag en janvier 1945, toujours sous les ordres des geôliers allemands, marchant parfois sans trop savoir où aller, pour éviter les redoutables troupes soviétiques, dans un froid extrême, la faim au ventre, la haine des boches au cœur, mais aussi l'espoir en tête, celui d'un retour rapide à la maison tant il est manifeste que l'Allemagne nazie vit ses derniers jours.

Le témoignage est fort, passionnant, rude. Et on comprend l'importance pour Tardi de "sortir" sur papier blanc ces pages sombres de l'histoire familiale. Comme dans le premier épisode, Tardi se met en scène, enfant, auprès de son père, comme une sorte de "fantôme inversé" qui revient dans le passé, questionnant virtuellement son père sur des manques de précisions dans ses carnets, ou l'informant (et nous aussi par la même occasion) de ce qui se passe au même moment ailleurs dans le conflit. Le tout, sans idéalisation du comportement du père : la pendaison des geôliers par les prisonniers, à laquelle participe René Tardi, ou ces véhicules Alliés qui renversent gratuitement des civils allemands juste par vengeance, effraie le petit Tardi virtuel, mais ces choses-là aussi font partie de la guerre.

Mais ce volume a les défauts de son réalisme : la marche forcée des prisonniers devient une lecture forcée d'images répétitives et de textes à foison. La colonne de prisonniers se perd dans les campagnes désolées de Pologne : mais nous aussi, lecteurs, nous perdons dans les noms de villes et dans la géographie. Intéressant, instructif, mais parfois lassant.

On attend maintenant la suite : le retour du père Tardi à la vie civile, à une vie qui ne peut sans doute plus être tout à fait "normale".

"Moi, René Tardi, prisonnier de guerre au Stalag IIB. Tome 2. Mon retour en France". Jacques Tardi. Casterman.