mardi 19 juillet 2016

Le Magasin des Suicides : Un squelette rongé jusqu'à la moëlle



Imaginez un magasin où l'on vend depuis dix générations tous les ingrédients possibles pour se suicider. Cette petite entreprise familiale prospère dans la tristesse et l'humeur sombre jusqu'au jour abominable où surgit un adversaire impitoyable : le joie de vivre...
(4e de couverture)

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L'idée de base est amusante. Contre toute morale, crachant sur l'avenir et l'espoir, mais avec un culot riogolo, une boutique proclame : "Vous avez raté votre vie ? Avec nous vous réussirez votre mort". Dans cette boutique, une famille au nom prédestiné et à la consonnance bédéesque, les Tuvache. Qui depuis une dizaine de générations aident les gens à se suicider, en leur proposant des lames de rasoir rouillées - même si vous vous ratez vous choperez bien un tétanos fatal -, des cordes déjà nouées prêtes à aggriper au plafond ou déjà fixées à un parpaing  - on a le sens du pratique chez les Tuvache -, des bonbons empoisonnés pour les enfants - mais dans le bocal un bonbon sur deux est mortel car la loi oblige, dans cette société futuriste, à laisser une chance aux mineurs de s'en sortir... Les clients sont contents, il y en a même qui invitent les Tuvache à leurs obsèques avant d'utiliser l'article acheté dans leur boutique. 

Non contente de vendre de quoi mourrir en toute quiétude, les Tuvache sont imprêgnés de leur commerce : il faut être triste, leurs enfants sont dépressifs, ils sont contraints de regarder les infos à la télé pour alimenter leur mal-être, et plus ils vont mal, plus ils y sont encouragés. Sauf que le petit Alan, conçu par erreur en testant un préservatif troué - un article de la boutique qui favorise la mort par propagation de MST - va changer cette ambiance, car la vie, lui, il l'aime et il veut en faire profiter tout le monde. Peu à peu, en encourageant le côté artistique de son frère dépressif, en persuadant que sa grande soeur est belle, en tirant une fibre maternelle dont il a saisi la bribe, il finit par imposer les forces de vie sur les forces du mal. 

Comme un hommage funéraire
Jean Teulé a dû s'amuser à écrire ce roman. Son côté fable, ses personnages hauts en couleur, son histoire caricaturale laissent à penser qu'il avait en tête l'idée qu'il puisse être adapté en film d'animation, ce qui fut fait (en 2012 par Patrice Leconte). C'est très bien, entre deux romans plus "sérieux" (le précédent était Fleur de Tonnerre, chroniqué ici), de vouloir respirer. Mais là, Jean Teulé a rongé le squelette jusqu'à la moëlle. Des inventions de produits suicidaires à la pelle (genre d'imagination qui fait un peu peur pour lui et ses proches !), des ambiances mortuaires poussées au maximum du glauque mais attention avec les clins d'oeil car on est dans le registre comique, et qui plus est, du comique de répétition. Et une morale finale de l'histoire aussi gentille qu'un hommage funéraire. Bref ça se lit avec plaisir, vite fait, comme un bonbon un peu trop sucré. Mais pas mortel, si ma main, dans le bocal, ne m'a pas trahi...

La page 7



Le Magasin des Suicides. Jean Teulé. Ed. Pocket. 2007. 

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