samedi 14 janvier 2017

S'enfuir, récit d'un otage : Un lit, un radiateur, un homme attaché



En 1997, alors qu'il est responsable d'une ONG médicale dans le Caucase, Christophe André a vu sa vie basculer du jour au lendemain après avoir été enlevé en pleine nuit et emmené, cagoule sur la tête, vers une destination inconnue. Guy Delisle l'a rencontré des années plus tard et a recueilli le récit de sa captivité – un enfer qui a duré 111 jours. Que peut-il se passer dans la tête d'un otage lorsque tout espoir de libération semble évanoui ? Un ouvrage déchirant, par l'auteur de "Pyongyang", de "Shenzhen", de "Chroniques birmanes" et de "Chroniques de Jérusalem".
(Présentation éditeur)

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Une BD de 430 pages pour raconter l'histoire vraie du quotidien d'un otage qui va vivre 111 jours enfermé dans 15 à 25 mètres carrés (selon les périodes), le poignet menotté attaché à un radiateur ou à un anneau scellé au sol. Un homme qui bouge peu, donc, sauf quelques pas accompagnés pour se rendre aux toilettes ou un quart d'heure sans entraves le temps de prendre un repas plus liquide que solide. Son environnement est restreint : une couche, un radiateur, une fenêtre quasiment obstruée. Et rien d'autre. Rien dans le quotidien pour occuper le temps. Rien dans la pièce pour distraire les yeux. Tout est dans le détail qui rompt la monotonie : des bruits sourds contre les murs, les éclats de voix inhabituels, les sons de la rue. Le rayon du soleil qui parvient à se glisser entre deux planches qui recouvrent la fenêtre. Et ce qui bouge dans la tête : les pensées, les réflexions, les interrogations, les hypothèses de l'otage qui ne sait pas pourquoi il est là, pour combien de temps, si on pense à lui... "Etre otage, rapporte-t-il, c'est pire qu'être en prison. En prison, tu sais pourquoi tu es là et à quelle date tu vas sortir. Quand tu es otage, tu n'as même pas ce genre de repères. Tu n'as rien."

Quatre cents pages d'un vécu monotone - sauf le début avec l'enlèvement et la fin avec la fuite - et le lecteur reste (sans mauvais jeu de mot)... captivé. Il est vrai qu'on a affaire à Guy Delisle, un auteur coutumier des narrations sereines de situations difficiles (voir notamment les Chroniques de Jérusalem). Narration sereine certes, à partir d'entretiens que l'auteur a tenus avec l'ex-otage, mais derrière les dessins chargés de la langueur monotone d'un temps qui passe trop lentement, on ressent la violence de la situation d'un individu qui n'en est pas un aux yeux des ravisseurs. Qui n'est plus qu'une marchandise à vendre très cher sur le marché. Pas de violence physique, pas de maltraitance. Juste la violence d'être privé de liberté de façon arbitraire, et c'est déjà beaucoup. Pas non plus de revendication politique évoquée dans cette histoire, et c'est tant mieux, car aucune cause ne peut reposer sur le déni de l'individu, sauf à vouloir ériger un pouvoir totalitaire. L'otage a su résister dans sa tête pour rester un humain, il a su s'enfuir, c'est l'essentiel. Narration sereine, témoignage suffoquant, mais à la fin, on respire.


La page 77



S'enfuir, récit d'un otage. De Guy Delisle. Ed. Dargaut. 2016.

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