dimanche 29 octobre 2017

Les marécages : Un polar en Noirs et Blancs


Début des années trente, Texas. Rien ne semble avoir bougé depuis la guerre de Sécession. Le Klan domine. Les lynchages demeurent. Harry, treize ans, fils du représentant local de la loi, s'émancipe de ce monde qui le choque en s'isolant dans les marais. Il y croise, dans les méandres endormis, celui que tout le monde dit être un monstre insaisissable, un esprit de la nuit. Harry est fasciné. Il a trouvé, près des traces de cet Homme-Chèvre, le cadavre d'une femme noire bâillonnée avec des barbelés. On parle d'un "ambulant", serial killer d'une époque démunie devant ce type de crimes imputés au Mal sans qu'il n'y ait de véritable enquête. La population blanche ne s'inquiète pas. N'importe quel Noir fera l'affaire. Jusqu'à ce que les cadavres changent de couleur de peau...
(Présentation éditeur)

Le gamin qui raconte l'histoire a une dizaine d'années au moment des faits. Il va apprendre brutalement et rapidement ce qu'est le racisme le plus pur dans cette partie des Etats-Unis qui n'a jamais totalement digéré l'abolition de l'esclavage. Son père Jacob est coiffeur, mais aussi constable, autrement dit représentant de la loi dans son secteur. Pas de bol, il y a des meurtres atroces, de femmes torturées puis tuées dans des conditions apparemment terribles. Et qu'on retrouve dans les marécages qui s'étendent dans ce coin du Texas. La première qu'on retrouve est une Noire. Pas grave, donc. C'est l'affaire des Noirs, et ces gens-là n'aiment pas qu'on s'immisce dans leurs histoires, c'est bien connu. Dans une des premières scènes de l'histoire, sans doute la plus emblématique, l'une des plus violentes, le constable demande à un médecin blanc d'examiner le corps martyrisé de la pauvre femme. "Un sanglier", dit-il. Ou un fauve. Ou un jeune nègre, ils ont ça dans la peau. Et puis pourquoi perd-on son temps avec ce cadavre ? De toute façon tous les Noirs se ressemblent, une de perdue... Le constable le contredit, l'insulte, le vire et finit par demander à un médecin noir de poursuivre l'analyse, qu'il procédera de façon scientifique pour tirer les premiers enseignements de ce meurtre.

Justice expéditive

Les difficultés sont lourdes quand on représente la Loi et qu'on refuse les thèses et les pratiques racistes, dans ce coin pourri où sévit le Ku Klux Klan. Alors quand ce n'est plus une Noire mais une Blanche qu'on retrouve assassinée dans des conditions tout aussi atroces que la première, la "justice" se met en branle. La "justice" expéditive, celle du lynchage d'un Noir que le constable a eu le malheur d'interroger, faisant peser les soupçons sur lui. Jacob ne parviendra pas à le protéger de la foule en délire, et s'en voudra tant qu'il sombrera dans une grosse dépression alcoolisée. Pendant ce temps, le fiston Harry poursuit l'enquête dans son coin, et croise de temps en temps un "homme-chèvre" qui lui fait peur et peut-être que c'est ce personnage bizarre qui est derrière tout cela, mais c'est pas sûr.

L'histoire connaît des ruptures de rythmes qui accordent souvent plus de place à la langueur et à l'analyse introspective des personnages qu'à l'action. L'auteur, qui a pourtant écrit des chefs-d'oeuvre de suspens (ou que j'ai déjà chroniqué ici) semble s'être réveillé à la fin de son roman, avec un final tout en action, en stress, en révélations, qui déferle après un - trop - long développement sur les affres de certains personnages, et sur les vraies relations qu'ils ont pu entretenir entre eux par le passé. Ça exhume du lourd, il est vrai, mais ça prend son temps.

Reste le message principal (enfin celui que j'ai envie de retenir) : que ce soit dans les années 30 aux Etats-Unis avec le lynchage, ou dans les années 70 en France avec la guillotine, quand existe une peine capitale, la foule s'excite plus facilement pour demander du sang. Quand la justice s'octroie le droit de punir par la mort, elle donne l'exemple de la violence.

La page 77 (pourquoi la page 77 ? parce que)

Pour aller plus loin

A lire un article du Figaro sur les lynchages aux Etats-Unis il y a un siècle.

Et, le sachiez-vous ? Le terme "Lynchage" vient de la pratique d'un dénommé Lynch : à lire ici.

Pour finir en chanson, rien de tel que la "Messe au pendu" de Georges Brassens pour retrouver notre foule qui se déchaîne pour pendre un homme au bout d'un chêne sans forme aucune de remord.


Les Marécages, de Joe R. Lansdale. Folio policier. 2006.

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