samedi 26 mars 2016

Revue Dessinée : Gratter les apparences pour le meilleur et pour le pire


De vrais journalistes qui s'acoquinent avec des vrais dessinateurs de BD, pour réaliser de vrais reportages et de vraies enquêtes. Déjà le 11e numéro de la Revue Dessinée, et la publication atteint un rythme de croisière dans la qualité. Elle peut même se permettre, du haut de ses 11 saisons, de faire un point de situation, un an après, sur un sujet déjà développé dans ses planches. En l'occurrence la crise des migrants, ses milliers de morts en mer mais aussi dans le désert, ses lâchetés, calculs et aveuglement politiciens (au choix, ou en addition) de l'Union européenne et de ses Etats membres.
Comme tout bonne enquête la Revue expose des faits. Le plaidoyer - ici pour une Europe plus lucide et plus ouverte aux réfugiés - coule de source à la lecture. (heureuse initiative de la Revue: on peut lire ici l'enquête de l'an dernier).

Comme tout bon article de journaliste, il n'y a pas de neutralité possible. Il s'agit de gratter les apparences, débusquer et donner à comprendre, mais aussi à débattre :
- Gratter les apparences d'un quartier parisien, le Marais, qui balance entre populo et bobos, pour découvrir les réalités invisibles et violentes des salons de coiffure afro, de la prostitution, des fabriques de vêtements...
- Gratter aussi pour découvrir de belles initiatives, comme le Garage moderne, à Bordeaux. Ou ces démarches de formations aux métiers de bouche, de jeunes parfois en difficulté, aussi bien en France qu'au Pérou.
- Gratter pour démonter le système des "partenariats public-privé", en prenant exemple sur la "Cité sanitaire" de Saint-Nazaire, et qui semblent surtout relever de la pompe à fric pour le partenaire privé. Seul bémol : la démonstration est certes édifiante mais longue et fastidieuse à lire, avec une succession d'images genre pictos aux couleurs qui provoquent des conjonctivites.

Le droit de se moquer des puissants

Sur les autres chroniques de ce numéro, on reste un peu pantois devant une tentative de démonstration que "les maths, c'est beau", en partant de la question démographique. Il faut un peu s'accrocher, là aussi, pour suivre. En revanche la séquence "La sémantique c'est élastique" sur le mot "barbare" est instructive, et amusante, et pourtant la barbarie, en ce moment, on n'a pas envie d'en rire. Charlie Hebdo avait été les victimes, en France, de cette barbarie en janvier 2015 : la Revue consacre justement une séquence historique intéressante sur la caricature et le droit de se moquer des puissants, que ceux-ci règnent sur terre ou dans le Ciel.

Enfin si les Barbares d'aujourd'hui sont aussi de fieffés enfoirés avec les femmes, on apprend incidemment au détour d'une image qu'il a fallu attendre l'an 2000 pour que la gent féminine ait droit d'assister aux compétitions de pétanque nantaise... Dans la chronique sportive, cette discipline "bien de chez nous" est expliquée, avec ses boules rouges qu'on appelle "blanches" et ses boules vertes qu'on nomme "noires" (faut déjà être vicieux), sa piste de lancer aux bords incurvés, et son objectif d'approcher du bouchon comme dans une pétanque méridionale. Cela n'est pas super physique comme sport, mais ça semble donner soif aux joueurs... A part pour le "lever le coude entre hommes", on ne voit pas bien pourquoi les femmes étaient interdites d'assister à ces lancers de boules pépères, il y a encore si peu d'années. Si ce n'est qu'ici aussi, dans nos contrées pourtant républicaines et laïques, on peut être aussi cons et obscurantistes que ceux qu'on accuse de patriarcat ailleurs dans le monde.

Allez, le combat des Lumières est sans cesse à remettre sur le métier. Et la Revue Dessinée y contribue. Restons vigilants.

La page 77



La Revue Dessinée. Numéro 11. Printemps 2016. 15 euros. En librairie.

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