dimanche 9 novembre 2014

Revue Dessinée d'automne : une bonne livraison d'enquêtes politiques et sociales



Oui je sais, le numéro 5 d'automne de la Revue Dessinée est paru depuis début septembre et nous sommes début novembre. Mais on est encore en automne que je sache, donc je suis dans les temps.
Cette nouvelle livraison présente toujours des enquêtes, des reportages, des documentaires très bien fouillés, avec un vrai travail de journalisme mis en scène par une excellente troupe de dessinateurs. Sur le principe, sur la forme, c'est (toujours) très bon.

Les années 70, société violente

Dans ce numéro : une enquête sur l'assassinat du juge Renaud, en 1975. Le titre de cette séquence résume bien le contexte : "Crime d'Etat". C'est la grande époque de la Guerre froide, des "années de plomb" qui suivent Mai-68, c'est le règne du SAC, Service d'action civique, et de ses basses œuvres. C'est une société violente au sens premier du terme. La société d'aujourd'hui est également violente, c'est vrai, mais surtout sur le plan social et économique. A l'époque, on n'hésite pas à poser des bombes ou à tirer à vue sur des gens dans l'espoir crétin de faire triompher une cause.
Face à ces malfrats, il y avait des héros, et apparemment le juge Renaud en faisait partie, qui prétendait pouvoir faire face : "Que ce soit le pape ou le président de la République, des députés ou des sénateurs, j'en ai rien à foutre, si quelqu'un doit aller en taule, il ira !" disait-il. Courageux. Mais suicidaire, dans le contexte, quand on s'attaque, comme lui, ni plus ni moins qu'au financement occulte et voyou d'un parti politique au pouvoir, défendu par le sinistre SAC.

Bref, Benoît Collombat, grand reporter à France Inter, enquête sur cette trouble affaire, sous le crayon de Etienne Davodeau. Et le moins qu'on puisse dire c'est que c'est glauque, et que les affaires qui touchent aujourd'hui l'UMP - ou je ne sais quel tordu dit "de gauche" qui ne paye pas ses impôts ou planque son argent en Suisse - à côté, c'est les aventures du Club des Cinq (pour repiquer dans une littérature jeunesse de la Bibliothèque Verte des mêmes années 70). Une enquête très bien menée. Seul bémol, la BD relate les entretiens avec les différents protagonistes encore en vie, mais du coup le dessin n'apporte pas beaucoup de plus-value par rapport à un reportage écrit. Cette remarque est valable pour d'autres BD de la Revue.

Rions sur la xyloglossie

A propos de politique, j'aime bien la petite chronique sur le langage, "La sémantique, c'est élastique", consacrée cette fois-ci à la "xyloglossie", autrement dit à la "langue de bois". Où on apprend que l'expression vient du russe "langue de chêne", qui se moquait de la bureaucratie tsariste, et qui est devenue "langue de bois" à l'époque soviétique. En Allemagne on parle de "langue de béton" et de "langue de plomb" en Chine... Le "héros" linguiste de la chronique interpelle François Hollande et Jean-François Copé, qui répliquent dans une parfaite xyloglossie, c'est assez marrant.

Côté social, on trouve une enquête intéressante sur les salariés qui doivent se déplacer à la semaine pour renforcer des équipes sur un autre site, éloigné, de leur entreprise. Un univers d'hommes, contraints de s'éloigner de leurs familles toute la semaine, pour garder un emploi. Dommage, ce reportage n'est pas en BD, et les illustrations ne me plaisent pas. Pas inintéressant mais un peu trop prudent : l'auteur ne s'avance pas beaucoup. C'est bien ou pas ? Après tout, la mobilité géographique est une question importante qui mérite d'être questionnée dans un pays où ce n'est pas, loin de là, inscrit dans les habitudes... Mais cette séquence ne permet pas trop d'avancer sur le sujet.

Enfin de la pédagogie économique, avec une explication un peu ardue mais passionnante et éclairante sur le piège des emprunts toxiques dans lequel sont tombés moult communes de France. L'engrenage est redoutable.

En revanche, je reste froid devant la nouvelle rubrique "La Revue des cinés", qui commente et explique une séquence d'un film culte. En l'occurrence un extrait du "Cabinet du Dr Caligari". Je ne vois pas l'intérêt, dans le registre visuel, de reprendre un autre registre visuel. Là aussi, la plus-value de la BD m'échappe.

Mais au total, encore un beau numéro, très pédago, et un appel à s'abonner à cette Revue car elle est une initiative originale qui mérite de s'inscrire dans le long terme.

La Revue Dessinée n° 5. Automne 2014. http://www.larevuedessinee.fr 

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